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Toussaint Marcus Moore, détective afro-américain, accepte une mission à Mexico où il débarque pour tirer au clair la demande d'une jeune veuve qui veut la preuve que son mari a été assassiné par un toréro célèbre surnommé El Indio. L'enquête l'emmène dans les bas-fonds de Mexico et à Acapulco. "La Mort du toréro" illustre parfaitement l'essence du véritable roman noir. Une intrigue à suspense, avec de l'action, des rebondissements mais d'où le social, l'historique et le politique ne sont jamais absents.
J'aime quand les maisons d'édition exhument des romans tombés plus ou moins dans l'oubli, d'auteurs qui le sont tout autant. C'est le cas de ce polar américain sorti en 1964, et ça valait le coup.
Toussaint Moore reprend du service comme détective privé, il a besoin d'argent pour accueillir son premier enfant. Il est envoyé au Mexique auprès d'une jeune veuve qui veut prouver que son mari, journaliste d'investigation, a été assassiné par le célèbre matador qui torée sous le nom d'el Indio.
L'intrigue est très habilement construite, l'enquête se révélant bien plus périlleuse et éprouvante que prévue, d'autant que Toussaint ne parle pas espagnol, n'a aucun statut légal au Mexique ni contact. Tout en disséminant de nombreuses scènes d'actions portées par un rythme vif et une écriture très visuelle, Ed Lacy prend le temps de poser ses personnages en leur apportant un supplément d'âme grâce à une caractérisation soignée : Toussaint est très attachant, puissant colosse animé par une réelle éthique et une sensibilité qui le tourmente lorsqu'il pense à son rôle de futur père ; mais aussi les deux personnages féminins très réussies qui renversent les clichés de la femme fatale, chacune à leur manière.
Ed Lacy est un auteur au profil atypique, de son vrai nom Leonard Zinberg ( 1911-1968 ) : juif communiste marié à une Afro-américaine, vivant à Harlem, progressiste, militant des droits civiques, victime du maccarthysme. Son Toussaint Moore est le premier détective privé noir, forcément il détonne parmi ses collègues blancs de littérature. Une façon pour l'auteur d'aller plus loin dans la critique sociale et politique, au plus près de l'essence même du roman noir.
Il est ainsi très intéressant de voir comment Toussaint s'adapte à un pays étranger comme le Mexique, pays qui n'a pas connu la ségrégation, et qui dans sa description, ne fait jamais carte postale, l'auteur ne jouant jamais sur un exotisme de pacotille. Voici ce que lui dit un compatriote noir rencontré à son arrivée :
« Il y a une sorte de système de castes fondé sur la couleur, les descendants des envahisseurs espagnols, les Blancs, dominant ceux d'ascendance indienne. Naturellement, les Espagnols, en partie Maures bien avant d'avoir entendu parler du Mexique, avaient un teint plus que café au lait. Pas vraiment les salades à la Jésus Christ. Une barrière par le fric : pour la faire courte, peu d'Indiens, ou de métis, ont assez de pognon pour fréquenter des endroits agréables. Pour autant, ils sont corrects. Ironiquement, on nous met dans le même sac que les touristes blanchots et on nous classe dans la catégorie des gringos détestés. En tant que touristes, vous n'avez rien à craindre. Si vous allez jusqu'à Acapulco, vous y trouverez des peaux plus noires : les pirates ont essayé d'importer de nos ancêtres africains comme esclaves mais ça n'a pas marché. »
Le scénario pétarade d'action et de morts, mais en sous-texte, le racisme est très présent, à travers le vécu de Toussaint ( sa couleur de peau peut lui attirer des ennuis, même au Mexique ), ses réflexions et ses réactions ; ou lorsqu'il est question des discriminations vécues par les Amérindiens. Et de façon plus large, ce polar aborde des thématiques plus larges, qui semblent étonnamment modernes pour un roman de 1964, et qui sont traitées avec une pertinence toujours d'actualité, par exemple la question d'avoir ou pas des enfants dans un monde difficile, ou encore le rôle du sport ( ici la corrida ) comme dérivatif à la colère sociale.
Si Toussaint, malgré son prénom de combat qui le lie aux causes nationalistes noirs, est un personnage apolitique dans le sens où il ne revendique ouvertement rien, on sent qu'Ed Lacy, par son recours au point de vue interne, en fait un porte-parole, comme lorsqu'il fustige la pratique tauromachique, sans pour autant s'en prendre aux aficionados du peuple.
Une chouette découverte, il ne me reste plus qu'à lire le premier volet Toussaint Moore,
Original, serré comme un café fort, magnétique, « La Mort du toréro » d’Ed Lacy est un roman noir, dont la carte majeure est celle d’une fine sociologie.
Engagé, aux multiples signaux, ce classique-né tisse avec habileté, une intrigue qui file à toute allure. Les diktats sociétaux et politiques dans les années 70 en Amérique et au Mexique sont tirés au cordeau. Rein n’est laissé au hasard.
D’emblée ce livre est une fierté éditoriale. Une référence dans la grande lignée des chefs d’œuvres de la littérature.
Ed Lacy est le nom de plume de Leonard Zinberg. Pour être publié en tant que tel, il a dû cacher son identité. Il était juif, non croyant, communiste et mariée à une noire.
Serait-ce le double de Toussaint Marcus Moore, la tête d’affiche de ce roman qui mêle avec brio, une histoire qui tire les débats à elle et sa vie personnelle ?
Ed Lacy, côté ville était un homme épris de justice. Ici, dans le vif de ce récit, on ressent son double cornélien. C’est en cela aussi, que ce livre est dévorant d’authenticité.
Toussaint Marcus Moore est un facteur. Quoi de plus ordinaire ? Il vit à New York avec sa femme Frances. Sans être un anti-héros, sa vie lisse semble en mimétisme avec l’époque. Ne pas faire de vagues. Il est noir et de suite dans une Amérique raciste et clivante, il risque d’emblée l’ensevelissement mental.
Ce protagoniste apprend que sa femme est enceinte. C’est un choc pour lui, une sidération.
« Toussaint s’interroge sur le fait d’avoir des enfants dans un monde -déjà- à la dérive. »
Il est réfléchi et lucide. Son éthique semble l’évocation d’un devoir envers et contre tout. Il va trouver fortuitement un deuxième travail. La précarité dévore le nid conjugal. Il va être missionné par un ami détective. Partir au Mexique, plus exactement à Acapulco et Mexico. Un journaliste spécialiste des corridas, vient de mourir. Un crime ?
Il va rencontrer sa femme, Grace. Une passionnée des serpents. Atypique, mais quelque peu fragile et fantasque. Elle est persuadée que son mari a été tué par l’emblématique toréro El Indio.
« Mon mari se passionnait pour la corrida, pour lui, elle représentait la quintessence de la grâce, le combat éternel de l’homme contre la mort. »
Juan est mort d’une morsure d’une vipère à tête noire. Que s’est-il passé ?
Le récit glisse sur les rebondissements, les réflexions politiques, historiques, et intuitives. On ressent un livre empreint de convictions. La tauromachie, plus qu’une institution, ici, est une mise en abîme symbolique.
« Je crus facilement Frank lorsqu’il m’expliqua que Mexico avait les plus grandes arènes du monde ; archipleines, elles retentissaient du bruit d’au moins 50 000 personnes. »
« La Mort du toréro » est implacable, ne cède rien aux compromis. Ici, entre la jubilation d’une trame trépidante et le constat amer d’un auteur qui sait le monde à la dérive. Entre le bien et le mal, les passions et les articulations psychologiques des personnages, « La Mort du toréro » est une arène où les traductions sont indéfectibles.
El Indio, l’ancien esclave tient sa revanche.
Ce livre presque charnel, fascinant, stimulant est dévorant dans cette immense force analytique. Ici, est le règne viril de deux contraires assemblés. El Indio et Toussaint Marcus Moore.
N’oublions pas, Jean Ferrat qui chante : « Ce n’est pas par plaisir que le toréro danse, c’est que l’Espagne a trop d’enfants pour les nourrir. »
À méditer. Traduit de l’anglais (américain) et préfacé par Roger Martin. Publié par les majeures Éditions du Canoë.
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