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Peut-on comprendre la guerre des images qui secoue notre temps sans chercher à en explorer les manifestations passéesoe Peut-on mesurer l'importance de l'image aujourd'hui si l'on oublie le rôle décisif qu'elle a joué dans l'expansion planétaire de la culture occidentaleoe Une piste s'ouvre, qui mène de Christophe Colomb à " Blade Runner ", de 1492 à 2019. Elle traverse l'Amérique hispanique des côtes de Cuba à Los Angeles, après avoir sillonné le Mexique colonial et moderne. Au fil des siècles, l'image venue d'Europe servit à propager la culture occidentale, à coloniser les êtres et uniformiser les mondes vaincus. Par vagues successives et ininterrompues, les images ont déferlé sur le Nouveau Monde: de l'image médiévale à l'image renaissante, de l'image didactique à l'image miraculeuse, et jusqu'aux images électroniques.
Loin d'affronter passivement ces invasions, les populations indiennes, noires, métisses et espagnoles ne cessèrent de s'emparer des images qu'on prétendait leur imposer. Beaucoup parvinrent à en faire l'expression d'une identité, parfois l'instrument d'une résistance et d'une révolte. Rien n'est plus fragile que la maîtrise des images.
A suivre les rebondissements de la guerre des images, on découvre un Mexique colonial et baroque qui paraît étrangement proche du monde où nous nous engouffrons: la fascination et l'omniprésence de l'image partout reproduite, le métissage des races, des religions et des cultures, le recours banalisé à la drogue, le déracinement des êtres et des mémoires. Terre luxuriante de l'hybride et des syncrétismes, le Mexique colonial déroule sous nos yeux un décor exotique et déroutant, en passe peut-être de devenir notre quotidien.
Serge Gruzinski, directeur de recherche au CNRS, est notamment l'auteur de La Colonisation de l'imaginaire. Sociétés indigènes et occidentalisation dans le Mexique espagnol, XVIe-XVIIIe siècle.
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