"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Avec l'éclairage que donne le recul, les années 1920 furent les années vivantes et optimistes de l' " après-guerre ". Quant à la décennie suivante, elle fut sans conteste celle d'un " avant-guerre " morose et tourmenté. Il y a bien une atmosphère des années 1930: une humeur, un esprit distinct qui justifie qu'on les traite comme une entité à part. Si une poignée d'esprits clairvoyants semblent avoir vu la guerre venir dès 1919, plus nombreux sont ceux qui la pressentirent lorsque le réarmement de l'Allemagne prit un tour sérieux et que Hitler se mit à bafouer jusqu'aux traités que son pays avait librement signés. De même la paix intérieure fut-elle gravement troublée lorsque les exaltations et les angoisses du Front populaire alimentèrent la rumeur d'une guerre civile qui pourrait dépasser en horreurs la guerre d'Espagne. Lorsque vint l'heure de Munich, tout espoir de paix à l'étranger et de réforme digne de ce nom à l'intérieur s'était effondré.Tel est, entre autres choses et par-dessus tout, le thème de ce livre: l'inexorable marche vers la guerre d'une société qui était, sans l'être encore vraiment, incapable d'infléchir son destin. Dans leur ensemble, les Français des années 1930 ne purent décider. Ils laissèrent à d'autres le soin de forger leur destinée et eurent à payer le prix de cette abdication.C'est dans ces années-là que l'idée de décadence devint une évidence en tous les domaines. Avant que la politique étrangère se mît à tourner de travers, les troubles intérieurs suffisaient à consterner les Français. Lorsque la crise s'abattit vers 1931 _ plus tard que dans les autres pays industriels _, elle révéla une économie précaire et des foules d'épargnants ruinés. Tout allait comme par le passé, mais tout allait mal. La crise des années 1930, en France, fut autant économique que diplomatique, autant constitutionnelle qu'économique, elle ne fut pas moins une affaire de morale publique, de confiance et de confiance en soi que d'intérêts économiques, d'emploi et de balance de paiements.Professeur à l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), spécialiste mondialement reconnu de l'histoire française des XIXe et XXe siècles, Eugen Weber est l'auteur de nombreux ouvrages célèbres: La Fin des terroirs (1983); L'Action française (1985); Fin de siècle, La France à la fin du XIXe siècle (1986); Une histoire de l'Europe (1987; 2 vol.); Ma France (1991).
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