La vie ne tient qu'à un fil
Avec du fil et une aiguille, Mei, suit mécaniquement les découpes des tissus qu'elle transforme. Les mains à l'ouvrage et le corps tendu, elle s'évade, elle fuit la réalité insupportable des ouvrières de cette usine chinoise. Tout son être est suspendu vers un...
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La vie ne tient qu'à un fil
Avec du fil et une aiguille, Mei, suit mécaniquement les découpes des tissus qu'elle transforme. Les mains à l'ouvrage et le corps tendu, elle s'évade, elle fuit la réalité insupportable des ouvrières de cette usine chinoise. Tout son être est suspendu vers un ailleurs, vers la vie …
Avec du fil et une aiguille, Sophie van der Linden rassemble les morceaux de cette frêle existence : un fragment de rêve se balade, quelques voix se font entendre, une pensée bouscule le quotidien, les habitudes reprennent parfois le dessus … C'est avec poésie qu'elle nous livre les secrets de cette jeune fille, ces espoirs et ses peurs, et le style nous emporte. Il poursuit les émotions et imite à merveille la précision instantanée de la pensée. Les phrases souvent courtes, simples et pourtant efficaces suivent le rythme de l'usine, celui du cœur et des envies.
À travers ce voyage intime, ce flot de vie emprisonnée, nous suivons un personnage très attachant,une jeune fille qui se transforme et prend vie au fil des pages. C'est donc avec impatience que l'on tourne ces pages, savourant pourtant les précieuses minutes qui nous sont offertes … Car le temps est compté dans cette usine où l'on mange en marchant : « J'engloutirai mon bol entre le comptoir de service et celui de la desserte. C'est comme un jeu, rester dans la file, avancer lentement et tout avaler entre le moment où l'on récupère son bol et celui où on fait la queue pour le déposer. Trente petits pas. Quinze coups de baguettes. » voilà la pause déjeuner. Les vies se pressent et se bousculent, heurtant les rêves devenus rares, devenus simples … rentrer pour le Nouvel An, sortir le soir au marché : rien d'autre n'est autorisé.
Dans La Fabrique du monde, Sophie van der Linden confronte rêve et réalité. En effet, dans cette société chinoise dont l'esprit est si bien retranscrit et devient un thème sous-jacent, la seule collectivité garde de l'importance et remplace la famille de ces jeunes filles de dix-sept ans. Comment, dans une entreprise où l'effort et le but doivent être commun, peut-on encore rêver sans se mettre en danger ? Le carcan de l'usine auquel on prête serment chaque matin à travers ces slogans se resserre autour de ceux qui tenteraient de s'échapper, de lâcher prise … L'amour peut cependant encore donner cet espoir doucereux, et Mei découvrira aussi les premiers émois de sa vie de jeune fille. Une question demeure cependant : comment construire et vivre son individualité lorsque l'on reste enfermée dans un système né pour avorter les rêves et élever la force collective ? Il faut veiller à ne pas se brûler les ailes, à ne pas espérer trop haut ni trop loin au risque de tomber dans une crue réalité. Restent les souvenirs et le temps qui peut se faire ami ou ennemi, rempart ou fossé. C'est avec un souffle des plus romantiques que nous plongeons dans cette vérité bouleversante où Mei s'éveille, grandit et évolue sur ce fil à double tranchant que reste la vie.
Sophie van der Linden nous offre ici un premier roman qui confirme ses talents d'auteur déjà révélés dans ses ouvrages sur la Littérature pour la jeunesse. Loin pourtant d'une littérature pour les plus jeunes, nous retrouvons ici une œuvre aux réflexions profondes et aux thématiques contemporaines. Suspendu au fil de l'émotion, le lecteur se laisse guider par une écriture aiguisée, telle l'aiguille qui est à l'origine des plus belles créations. Une histoire touchante aux accents à la fois universels et si singuliers, un style à la Marguerite Duras, un regard sensible ; le tout pour un roman très réussi à découvrir vous aussi !