"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Au début des années 90 à San Salvador, Olga María Trabanino est froidement assassinée d'une balle dans la tête. Qui peut donc avoir voulu la mort de cette jeune femme apparemment sans histoires ? Au fil de l'enquête, sa meilleure amie, Laura, cancanière, hystérique et jalouse, découvre incrédule tout ce qu'elle lui avait caché : son passé, ses fréquentations, ses vices... Le portrait qui se dessine alors est celui de la bourgeoisie tout entière, qui abrite ses turpitudes et sa corruption sous le masque impavide de la respectabilité.
Le jour où l'assassin s'évade de prison, elle voit le piège se refermer sur elle.
Avec cette intrigue menée d'une plume haletante, l'auteur poursuit sa radiographie au vitriol de la société latino-américaine, gangrenée par les luttes politiques et le trafic de drogue.
Sex and the City vu par Thomas Bernhard.
Lorsqu’Olga Maria Trabanino est froidement abattue chez elle, dans sa riche villa de San Salvador, son amie Laura Ribera, indignée de voir l’enquête piétiner, se sent en devoir de s’en mêler. Ses découvertes sur la vie privée de la victime, et l’imbroglio des enjeux dont elle prend conscience autour de celle-ci, finissent par la mettre elle-même en danger.
Long monologue intérieur de Laura, le récit nous fait entrer dans la tête d’une jeune femme de la bourgeoisie salvadorienne, encore sous le choc de l’assassinat commandité à l’encontre de son amie. Son bavardage oiseux et prétentieux témoigne initialement, par sa morgue incrédule, d’un sentiment d’outrage bien plus que de frayeur. Le meurtre de l’une d’entre elles a l’impensable brutalité d’un pavé dans la vitre, qui protégeait jusqu’ici leur existence d’en haut, du méprisable chaos d’en bas. Qui plus est, l’enquête a l’inconcevable impudence de s’intéresser à leur milieu, jusqu’ici naïvement synonyme pour Laura d’une aisance si naturelle qu’il ne lui était jamais venu à l’idée de penser à sa provenance. Outrée, notre prétentieuse et assez méchante innocente ouvre néanmoins peu peu les yeux, découvrant d’abord, dans un sursaut de colère et de jalousie, les infidélités croisées de son amie et de ses amants, puis, dans un trouble de plus en plus affolé, alors qu’un scandale financier vient soudain éclabousser tout ce beau monde, l’effrayant enchevêtrement des intérêts et des intrigues dans une société corrompue jusqu’à la moelle.
Une ironie presque mauvaise accompagne le dessillement du lecteur en même temps que de Laura. Et c’est bien une forme de dégoût qui transpire de cette malodorante description de l’élite salvadorienne, dont on ne doute pas un instant qu’elle soit l’exact reflet d’une réalité qui a contraint l’auteur, menacé de mort, à l’exil. Profondément original, le parti-pris narratif s’avère toutefois à double tranchant. S’il permet d’épouser habilement les pensées de son personnage, peu à peu déstabilisé jusqu’à en sombrer, il risque aussi de noyer le lecteur dans l’écoeurement d’une logorrhée, d’abord exaspérante d’arrogance et de frivolité stupide, puis déconcertante d’absurdité paranoïaque. Une lassitude et la hâte d’en finir au plus vite m’ont ainsi d’autant plus rapidement envahie, gâchant inexorablement mon plaisir de lecture, que l’intelligence et l’intérêt du roman ne m’ont vraiment sauté aux yeux qu’une fois l’étonnement de son dénouement retombé. Car alors, certes, vous ne connaîtrez pas le fin mot de l’histoire, mais vous comprendrez enfin, vu l’état de pourriture ambiant, que cela n’aurait servi de rien, de toute façon.
Ceci n'est pas un nouveau livre de Horacio Castellanos Moya, mais une nouvelle traduction de "La diabla en el espejo", connu jusqu'ici en français sous le titre de "La mort d'Olga María".
Comme toujours avec Moya, il est question du Salvador et de sa violence perpétuelle. Ici, c'est Olga María qui en a fait les frais : cette jeune femme d'environ 30 ans a été froidement abattue d'une balle dans la tête, chez elle, devant ses enfants, sans motif apparent.
C'est par l'intermédiaire de Laura, sa meilleure amie, que nous ne tarderons pas à découvrir les rebondissements de l'enquête en même temps que la vie sentimentale mouvementée d'Olga María. Car Laura est une amie fidèle, mais une incorrigible bavarde et colporteuse de ragots, naïve et hystérique tendance paranoïaque, et elle ne se prive pas d'étaler les confidences d'Olga María dans un long monologue, ou plutôt dans un dialogue à une seule voix, dans lequel elle s'adresse à une interlocutrice anonyme.
D'abord incrédule et convaincue de la pureté de son amie ("Une tragédie pareille, ce n'est pas possible, ma belle"), cette adorable cruche de Laura découvre, en même temps que le lecteur, les secrets plus ou moins honteux d'Olga María, et en arrive à soupçonner tour à tour les amants de celle-ci, son mari, son beau-père, etc..., et à échafauder les théories les plus alambiquées, du mobile passionnel à la vengeance politico-économico-financière en passant par la corruption et le narcotrafic. Et comme entretemps l'assassin a été arrêté mais s'est échappé de prison sans avoir révélé l'identité du commanditaire, Laura se sent en danger, parce qu'elle se dit qu'avec toute sa sagacité elle pourrait bien avoir mis le doigt sur une vérité nauséabonde...
Comme toujours avec Moya, ce roman est en lien avec d'autres titres de cette "comédie inhumaine" de la famille Aragón, mais il peut parfaitement se lire indépendamment des autres. On y retrouve fugacement le Robocop de "L'homme en arme", et surtout le même type de monologue emporté et virulent du "Dégoût – Thomas Bernhard à San Salvador".
Comme souvent avec cet auteur, la lecture est jouissive, le texte est corrosif et dézingue cette fois particulièrement la bourgeoisie salvadorienne des années 90, foncièrement hypocrite et infréquentable sous son apparence de respectabilité. C'est terriblement triste pour le Salvador et cette pauvre Laura (et je n'en finis pas de me demander qui est la diablesse du titre), mais c'est un pur régal pour les inconditionnels de Moya.
Dire que lorsqu'on ouvre un roman d'Horacio Castellanos Moya, on entre dans un livre plein de surprises est un euphémisme. De Le bal des vipères à La servante et le catcheur, en passant par Effondrement, pour les trois que j'ai lus, à chaque fois, je suis conquis. Cette fois-ci, après l'assassinat, c'est Laura, décrite fort justement en quatrième de couverture comme "cancanière, hystérique et jalouse" qui tient toutes les promesses de passer un excellent moment. Le livre est court (150 pages en version poche) et heureusement, car il est dense. C'est le discours d'une femme blessée qui au petit à petit va apprendre que son amie n'était peut-être pas la bonne épouse et commerçante qu'elle voyait tous les jours. Elle est inarrêtable, son flot est rapide, quasiment sans pause, elle passe du coq à l'âne comme on peut le faire dans une conversation, mais elle en artiste de haut vol. Heureusement, on peut faire des pauses pour ne pas se noyer, mais pour reprendre vite là où elle s'est arrêtée -si tant est que Laura s'arrête de parler lorsqu'on pose le livre, je la soupçonne de continuer.
C'est méchant, drôle, ironique, acide, d'une justesse incroyable : on se voit en face de Laura à l'écouter, enfin, à l'entendre serait plus précis. Horacio Castellanos Moya égratigne la classe politique sud-américaine des années 90 pourrie de l'intérieur tant par les luttes pour le pouvoir que par ses rapports avec les trafiquants de drogue et la bonne société salvadorienne des mêmes années qui ne pense qu'à consommer, à profiter de ses richesses sans voir la pauvreté qui l'entoure.
"Dieu du ciel, regarde les tronches de ces types. Et cet épouvantail, d'où sort-il ? regarde celle-là en minijupe, on dirait qu'elle vend de la cellulite. Les gens n'ont plus aucun sens du ridicule, ma belle ; la règle, c'est le laisser-aller. La plage était très belle : déserte, à marée basse. Ce qu'il y a de bien en semaine, c'est qu'il n'y a pas la populace. Le week-end, c'est insupportable : toute la racaille d'El Majahual envahit San Blas. Que des voleurs et des putains ! Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas clôturer la plage ; c'est ce que dit mon père. Quand on a sa maison en face de la mer, on doit supporter tous ces voyous qui passent leur temps à chercher quoi voler, qui attaquer." (p.83/84)
C'est tout du long comme cela : prévoir une grande inspiration avant d'entamer le livre, un peu comme lorsqu'on plonge dans l'eau -enfin, j'imagine, je ne plonge jamais, je ne sais pas nager-, et n'oubliez pas de remonter de temps en temps reprendre de l'air ; attention à l'ivresse des profondeurs.
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