"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Il arrive qu'on se suicide sur un malentendu. C'est l'heure du rapport : un "code rouge" pour Karmen. À Palma de Majorque, la jeune femme avec ses cheveux roses et ses taches de rousseur, habillée d'une combinaison noire de squelette pénètre dans l'appartement d'une coloc étudiante. Elle se rend tout droit à la salle de bain où Catalina s'est taillé les veines. Dans l'instant suspendu entre la vie et la mort, l'introspection commence pour la jeune fille et son chagrin d'amour, emportée dans une narration fantastique qui jongle en mises à distances et dimensions parallèles.
Une plongée entre le réel et le fantastique dans une intrigue avec énormément de force. Un découpage poétique et réaliste pour un conte qui mène dans un autre univers à la fois étrange et mystérieux. Cette BD dont l'intrigue est très bien sublimé par son graphisme et sa palette de couleurs rouge et vert.
Une mise en page pop
« Karmen » reprend le thème d’« Essence » de Benjamin Flao : un ange vient accompagner une âme pendant les quelques secondes qui séparent de vie à trépas. Si la vraie héroïne de l’album est Catalina, Guillem March a souhaité insister sur le côté ésotérique de l’aventure en faisant de l’ange l’héroïne éponyme de son album et en la mettant en avant sur une couverture d’un rouge claquant : rouge comme le sang qui s’écoule de la jeune suicidée, rouge comme le code, rouge comme la passion aussi. Karmen (avec un K comme Karma) est présentée dans une étonnante pose de contrition : elle ne regarde pas le lecteur et a la tête baissée comme prise en faute. Sa chevelure rose et sa combinaison de squelette donnent l’impression qu’elle porte un déguisement d’Halloween. Le rose adoucit la violence de la couleur du fond et donne du peps. Cette couverture attire l’œil. On ne sait pas trop vers quelle histoire nous allons être embarqués d’autant que la quatrième de couverture est énigmatique : elle ne montre que l’héroïne en plein vol, sur trois vignettes, entourée d’autres gens. On a donc envie d’en savoir davantage.
La mise en page est tout aussi détonante et surprenante : styles et format des cases varient. Il y a des pleines pages et même des doubles pages qui s’affranchissent du gaufrier. Les fonds ne respectent pas la tradition non plus : ils sont souvent en couleurs. La première page est très intrigante et ressemble à un tableau de Pollock passé sous le pinceau pop d’Andy Warhol ! Elle est reprise à la 4eme. Seul le récitatif change et l’on comprend qu’on a affaire à une sorte de prologue.
Une œuvre entre poésie et dynamisme
Le prologue met en place des flashbacks qui seront explicités par la suite. La juxtaposition et l’ellipse pourraient perdre le lecteur mais l’on comprend qu’à chaque fois ces épisodes concernent Catalina et son ami d’enfance Xisco. L’arrivée de Karmen et son rôle sont très bien expliqués également par le raccourci : on voit Catalina assise à discuter sur les toilettes de la salle de bains et quand elle sort en compagnie de Karmen, son corps inanimé est dans la baignoire rouge de sang. Au départ, l’histoire peut paraître étrange par ce mélange des genres : l’auteur hésite entre une chronique amoureuse et une histoire fantastique. L’album est volumineux (160p) et séparé en 4 chapitres de longueur très inégale ; C’est d’ailleurs le reproche principal que je lui ferai : un déséquilibre dans la composition. La promenade à Majorque de Catalina et Karmen est trop longue et pas assez rythmée. On a l’impression que March se fait un « trip » de dessinateur au détriment de l’histoire. Les trois autres chapitres : ceux de l’introspection, de la rencontre des autres, de la résolution du quiproquo amoureux et de la confrontation de Karmen et des fonctionnaires de l’au-delà paraissent, au contraire, trop courts pour brasser tant de thèmes.
Certains dialogues sonnent un peu creux aussi mais l’album a cependant un atout indéniable et de taille : son dessin !
Les couleurs sont plutôt pastel. Ce qui surprend vu le thème. Les décors sont particulièrement soignés et réalistes et permettent d’accorder plus de crédibilité à cette histoire fantastique. Certaines planches deviennent abstraites. Il y a de très beaux effets de transparence et de superposition. March rend un vibrant hommage à sa ville natale : on voit Palma de Majorque sous tous les angles … et l’héroïne aussi. L’auteur réussit l’exploit de ne pas tomber dans la grivoiserie alors que Catalina se promène nue tout le temps. Les prises de vue et les perspectives alors qu’elle vole accompagnée de son ange gardien au-dessus de la ville sont très inventives.
March a travaillé pour les comics et ça se voit dans sa façon d’accélérer ou au contraire de ralentir le mouvement. Il mêle poésie et dynamisme. Il aurait été impossible de publier ce roman graphique en noir et blanc tant la couleur (en collaboration avec Tony Lopez) est importante pour le ressenti du lecteur. Les fonds multicolores permettent d’isoler les séquences « fantastiques » tandis que le fond blanc ramène les lecteurs dans la réalité. Les couleurs joyeuses permettent également de donner une tonalité optimiste voire « feel good » à l’ensemble.
Portrait d’une génération perdue
Je ne suis pas particulièrement fan du personnage de Karmen. Son côté frondeur, iconoclaste est un peu trop appuyé dans ses dialogues et ses attitudes à la limite du scatologique parfois. L’ange de Wim Wenders dans « les ailes du désir » avait bien plus de classe ! Mais en revanche j’ai bien aimé la description de Catalina. Sa présentation est assez subtile : elle apparaît réservée, inhibée et malheureuse et égocentrique…plutôt antipathique au fond. Karmen la « débloque » lors de leur vol au-dessus de la ville : elle s’émancipe en s’affranchissant par son invisibilité du regard des autres et en devient plus légère au propre comme au figuré ! Mine de rien l’auteur en dit beaucoup sur une jeunesse qui vit une situation précaire (Cata habite en colocation par défaut car elle « ne trouve que des contrats de merde »), sur la désocialisation, la dépression, la difficile mutation vers l’âge adulte et le besoin d’être à l’écoute les uns des autres.
C’est donc une œuvre un peu brouillonne, qui aurait gagné à être élaguée ( tandis que son carnet graphique aurait lui tout intérêt à être plus fourni : 3 pages c’est mince !) mais qui fait preuve de beaucoup d’inventivité surtout au niveau du graphisme. On espère que ce coup d’essai se transformera en coup de maître au prochain album. En tous cas, le potentiel est là !
C’est avant tout la couverture qui m’a attiré, je sais, c’est primitif, mais ça match bien parfois…
Et là, ça l’a vraiment fait… Les rêves sont parfois le prisme de nos angoisses, désirs les plus enfouis… Ainsi débute Karmen, représentation de la mort, assez badasse et franchement drôle, qui vient cueillir Cataline qui a décidé d’en finir avec la vie…
Les planches sont sublimes avec les tonalités de roses et bleus, apportant une luminosité incroyable, oscillant entre l’ambiance douce, intimiste et l’explosion des couleurs, comme un pendant aux sentiments contradictoires que traverse Catalina.
Palma de Majorque est magnifiée avec des plans en plongés, permettant de visualiser la ville sous tous les angles.
Une BD qui navigue entre réalités et rêveries, entre les joies et les peines, pour mettre l’accent sur la beauté de la vie. Catalina fait un voyage entre la vie et la mort et je me suis baladée à ses côtés, pour mon plus grand plaisir. C’est à la fois surréaliste, avec une touche de légèreté, drôle et profondément humain.
On dit souvent que lire est synonyme d’évasion. Pour certains, le besoin d’évasion est tellement grand, qu’ils commettent parfois l’irréparable en s’ôtant la vie. Karmen, à travers le suicide de Catalina, nous permet, de nous évader, pendant le temps de sa lecture, vers un après, léger et grave, coloré et sombre, une mort croquée de manière douce, poétique et sensuelle.
L’histoire que nous conte Guillem March dans Karmen, est avant tout celle de Catalina, qui, nue dans sa salle de bain, après s’être taillé les veines, à demi consciente, voit débarquer une jeune femme dans un costume de squelette, qui danse et sans pudeur, utilise bruyamment ses toilettes. Cette dernière, Karmen, l’invitera à aller se promener dans la ville. Une promenade, qui lui fera prendre conscience de son geste et peut-être de son erreur…
Les premières planches de cet album, sont assez déroutantes, on se demande où l’on met les pieds, mais très vite, par la qualité des graphismes et la profondeur du récit, nous nous retrouvons embarqués dans cette histoire, un brin philosophique, oubliant ce qui nous entoure.
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