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Ces deux dernières années ont été marquées par la montée en puissance et la radicalisation des femmes en colère. Des Pussy Riot aux Femen, elles investissent les rues, défilent à moitié nues et se badigeonnent le corps de slogans. Aux lourdes organisations masculines, les femmes préfèrent les commandos. Quatre écrivains se penchent sur des femmes en colère. Politiques chez Didier Daeninckx, revanchardes avec Marcus Malte, éprises de justice en compagnie de Dominique Sylvain ou hébétées chez Marc Villard, elles avancent pour affirmer leur existence et redonner du sens à leur vie.
Quatre grands noms de la littérature noire... qui signent des textes inédits. Les personnages centraux : les femmes ou plutôt LA femme : ce ne sont évidemment pas les femmes qui constituent la majorité des rebelles/voyous/meurtriers/vengeurs en littérature. Ce ne sont pas des collectifs de femmes qui s'expriment, ce ne sont pas des textes sur les luttes féministes, ce sont des itinéraires individuels, des personnages fortement campés et incarnés, qui disent quelque chose de la condition féminine aujourd'hui à travers leurs histoires.
Coffret qui contient quatre nouvelles écrites par quatre auteurs différents et qui ont en commun, comme le titre le laisse entendre, de mettre en avant des femmes en colère. Attaquons dans mon ordre de lecture :
- La sueur d'une vie, de Didier Daeninckx : un groupe de femmes âgées, la plus jeune de 73 ans, décide de monter une opération contre la Nova Caixa, la Caisse d'épargne espagnole. Après avoir réclamé de l'argent, elles montent dans le bureau du directeur et chacune explique les raisons de son geste, raconte ce qui l'a amenée jusque dans ce bureau. "Écoutez monsieur... J'ai 73 ans, et je suis la plus jeune de la bande... [...] Si vous nous traînez devant les tribunaux, je doute que ça fasse une bien bonne publicité à votre établissement dont la moitié des clients sont des retraités A vous de voir. Et si vous nous faites condamner, la prison nous fera économiser les deux repas quotidiens qui affament notre porte-monnaie !" (p.12/13)
- Kebab Palace, de Marc Vilard : Cécile, alcoolique au dernier degré tente de survivre avec Lulu sa fille de 16 ans dans un mobil-home d'une petite ville alsacienne en face d'une communauté chinoise. Un soir d'hiver en rentrant, elles voient le cadavre d'une jeune chinoise ligotée, les yeux grands ouverts. Elles décident de tendre un piège au tueur qu'elles ont repéré. "Cécile avance dans les rues de Ritsheim. Il lui faut un bar. Un endroit où elle pourra trouver du Sherry, du Picon grenadine, un Pouilly fuissé à température quoique ça fasse un peu chochotte, un pur malt de Douarnenez, un Gewurtz évidemment, un litre de Villageoise, une Côte, une vodka russkof, un fond d'Aquavit. Elle passe devant le Pied de Cochon fermé, le Balto fermé, le Rade des Écoles fermé, le Modern Café fermé. La neige fondue lui glace les pieds." (p.7)
- Disparitions, de Dominique Sylvain : Elsa part à Bangkok à la recherche de son ex-mari, Cédric. Il s'est installé dans cette ville avec Issara et leur enfant, qui au départ devait être celui de Cédric et d'Elsa, Issara étant mère porteuse. Mais Cédric est tombé amoureux de la jeune femme. "La rage, c'est un sabre planté dans ton œsophage. Une lame brûlante qui irradie. Ce sabre te fait souffrir. Chaque minute, chaque seconde. Mais en échange, il te donne une grande force. Celle d'aller jusqu'au bout de ce que tu as décidé. Non, ils ne savent pas. Ni elle, ni lui. Surtout lui." (p.5/6)
- Tamara, suite et fin, de Marcus Malte : Tamara, guyanaise, fille d'un bagnard et d'une descendante d'esclave hérite d'une petite ferme en métropole. Elle s'y installe, élève des cochons, mais sa couleur et le fait qu'elle soit une femme seule attisent jalousies et méchancetés. Les pires sont le père et l'oncle d'une fillette d'une dizaine d'années qui convoitaient le terrain. Cette fillette devient la seule amie de Tamara. "La Guyane est le plus grand de tous les départements français. On n'y pense pas toujours. Je suis chez moi, ici. En France. Je n'ai même pas eu à choisir. Et s'il y en a que ça dérange, il fallait y penser avant. A ma connaissance les indigènes n'ont supplié personne de venir les coloniser. A ma connaissance il n'existe pas encore d'instrument pour mesurer le degré d'appartenance à la nation. Une sorte d'échelle, établie en fonction de certains critères et selon laquelle on serait un peu français, beaucoup français, français pur jus. AOC. Gloire à qui obtiendra le fameux label. Ça viendra peut-être ce système. Sûrement que ça viendra, mais en attendant la seule question qui compte c'est : être ou ne pas être. Moi, je suis. J'insiste. Pas parce que je m'en trouve particulièrement fière, mais parce qu'il n'y a pas de raison qu'on me le retire. On l'a payée assez cher, notre franchise." (p.10)
Autant vous dire tout de suite que ces 4 nouvelles sont excellentes. Écrites par trois hommes (?) et une femme, elles sont dans la mouvance des Femen ou des Pussy Riot. Les femmes dont les vies sont racontées, même affaiblies par la misère, l'alcool, l'abandon et/ou la violence qui leur est faite sont fortes. Elles réagissent, ne se laissent pas abattre et même si on peut parfois penser qu'elles ne le font que pour elles-mêmes, leur combat est beaucoup plus large que leur seule personne. Elles se battent pour être reconnues, parfois, juste pour survivre pour se sentir vivantes. Les hommes sont salauds ou lâches lorsqu'ils ne sont pas les deux en même temps.
J'ai déjà lu les trois écrivains masculins du coffret que je trouve très bons : D. Daeninckx excelle dans les romans courts ou les nouvelles, toujours écrits dans un contexte politique, économique ou historique qu'il rend excellemment bien, comme cette fois-ci la récente crise espagnole. Marc Villard écrit également beaucoup de nouvelles noires mettant en scène des gens "normaux", de ceux qu'on croise tous les jours, comme Cécile et Lulu. Marcus Malte est souvent dans des récits un rien pervers, qui jouent avec nos nerfs, alambiqués et terriblement bien maîtrisés avec ici une scène très crue que je vous laisse découvrir. Je ne connaissais Dominique Sylvain que de nom, je la découvre ici, dans cette nouvelle noire, très bien construite, originale et bien menée ; sans doute la plus féminine des 4, celle qui parle du désir d'enfanter, de porter un bébé.
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