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Par quoi les écrivains sont-ils habités ? Souvent par d'autres écrivains.
Pas seulement parce qu'ils s'influencent ou s'inspirent les uns les autres mais parce que parfois ils écrivent à l'ombre de l'oeuvre d'un autre, à la lumière du rayonnement laissé par un confrère célèbre, vivant ou mort, qu'ils admirent, qu'ils fuient, qui les enrichit ou les entrave. Ils écrivent alors en contrepoint de l'oeuvre d'un autre, en dialogue ou en résistance. Ils sont travaillés par la présence d'un aîné ou d'un contemporain qui est pour eux une autorité à honorer, à dépasser, à combattre.
Ce rapport à l'écrivain est une occasion de fécondité, de rivalité, au pire un véritable empêchement. Dans tous les cas, cette intime obsession, cette hantise les oblige à trouver leur propre voix, chercher leur propre espace et plus largement, décider du sens qu'ils donnent à leur propre quête. Ces fantômes d'écrivains sont donc bien ce qui hante leur création : ils la visitent et l'inquiètent, la rendent plus vivante, plus personnelle, la forcent à affirmer ses contours, fût-ce dans la destruction de cette figure intérieure qu'elle porte en elle et que tout à la fois elle enfouit et exhibe.
Il s'agissait donc de traquer les fantômes dont est peuplée la littérature... Les articles de ce recueil explorent divers cas de relation intime entre un écrivain et un autre, diverses conditions singulières de création " hantée ".
Le purgatoire, c'est-à-dire cet intervalle de temps qui court de la mort d'un écrivain à son retour sur la scène littéraire, apparaît souvent comme un passage obligé, comme le cruel prix à payer avant que l'un d'eux se rappelle à la mémoire des hommes.
D'ailleurs, quelle que soit la durée dudit purgatoire, la postérité prend quelquefois des détours inattendus. Ronsard ainsi a été remis au goût du jour par Sainte-Beuve qui passa lui-même à côté d'un contemporain capital : Baudelaire. « Je serai compris en 1935 » indiquait Stendhal, montrant par là qu'au fil des décennies, loin des engouements passagers, une œuvre littéraire peu à peu finit par livrer au public son vrai visage.
« Le cas d'antonin Artaud m'a retenu plus longtemps, écrit de façon péremptoire Georges Pompidou. On se sent coupable de lui refuser « cette existence même avortée » qu'il demandait à Jacques Rivière pour une œuvre si tragiquement restée en-dessous de son auteur. » A travers ces quelques lignes, dans son « Anthologie de la poésie française », celui-ci, d'un trait de plume, le congédie avec une certaine brutalité. Aucun de ses textes ne sera jugé digne d'y figurer. Avait-il raison ?
Non, car depuis bien des lustres, Artaud n'a cessé d'être lu et relu.
Le purgatoire de Georges Perec a-t-il jamais existé ? Romain Gary, alias Emile Ajar, a-t-il tant soit peu été oublié ? Même l'espace de quelques années, Victor Hugo, le grand Victor Hugo, a-t-il connu un semblant de désaffection ? Je ne le crois guère. On peut de la sorte s'interroger sur le bien-fondé de ce concept pour le moins élastique. Quand une formule en effet souffre de trop d'exceptions, ne conviendrait-il pas, en dernier examen, d'en abandonner l'utilisation ?
En outre, il n'est point rare que sous d'autres latitudes, le renom d'un écrivain contredise les « vérités » de sa patrie d'origine. « Vérité en deça des Pyrénées, erreur au-delà » se plairait à affirmer Pascal..
Jean-Edern Hallier, que suivait un parfum de scandale et dont la mégalomanie était quasi proverbiale, semble quant à lui, depuis sa disparition, être recouvert d'une ombre épaisse. S'agit-il, là encore, d'une forme de purgatoire ou, terrible destin littéraire, des prémices d'un oubli définitif ?
https://www.accents-poetiques-editions.com/produit/la-blessure-des-mots/
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