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SEPT QUESTIONS A YUSEF KOMUNYAKAA1/ Une autobiographie en quelques mots.Je suis né et j'ai grandi à Bogalusa, en Louisiane, dans ce que l'on nomme l'Empire Vert à cause des forêts de grands pins. Dans la langue des premiers habitants, les Indiens Cree, le mot signifie eaux sombres. Mon père était menuisier, ma mère, au foyer. Je dirais que j'ai attrapé la poésie à l'âge de cinq ans, lorsque j'ai commencé à mettre mes propres paroles sur les airs entendus à la radio. À treize ans, Madame Williams, chez qui je tondais la pelouse, me fit cadeau des Poèmes Complets de Yeats. Néanmoins, il me semble que j'ai ressenti le vrai choc de la langue l'année suivante, lorsque j'ai découvert James Baldwin dans Nobody Knows My Name et Notes of a Native Son.2/ Comment répondre à une injonction brusque : « Définissez la poésie. »La poésie ? Même si je me définis comme écrivant en vers libre, sans tenir compte des formes régulières ou de la longueur des vers, je crois fermement aux rythmes du discours incluant les alternances de l'accentuation. Aujourd'hui, j'ai l'impression que la poésie se matérialise rarement dans le vers. Pourtant, le poète a intégré la prosodie ; il en connaît les règles, avant de les violer délibérément.3/ Prose et poésie, la distinction a-t-elle un sens ?Parfois, pour l'oeil, poésie et prose semblent ne faire qu'un. Ce qui les sépare néanmoins, ce sont les images et la musique ; et l'impression demeure que le lyrisme se ressent mieux dans le vers libre que dans la prose. Certes, ce genre de règles et de procédés n'est pas étanche car le son véhicule les images et le message. Hors de cela, pas de poésie. 4/ De la forme (et du formel) en temps de crise.Le poème est un montage. Artificiel, il s'adresse au coeur et à l'esprit. La forme ne devrait jamais se contenter du rôle de lit de légumes. Oui, en période de crise nous demandons souvent au poème de chanter. Dans le cas présent, je pense plus précisément à la poésie des temps difficiles qui s'apparente au cantique, comme dans les poèmes traitant des horreurs du Onze Septembre. Sauf que la voix n'a nul besoin de tailler des paires de pentamètres iambiques pour se draper dans l'émotion authentique.5/ Quel avenir pour la poésie ?La poésie s'est d'abord adressée aux mystères de notre monde : elle a fait apparaître tout un développement d'éventualités en ayant recours à la métaphore. J'espère qu'elle poursuivra son oeuvre dans les mondes intérieur et extérieur et que, désormais, avec ou sans l'usage d'aiguillons, elle sera peut-être à même de courir les galaxies biologiques du corps, de l'intellect et de l'esprit. Et faire, pourquoi pas, le grand saut intersidéral. Si nous nous attendons à trouver une prosodie dans les poèmes en prose, la poésie en vers libre se déclame, ces temps-ci, sur fond d'accompagnement musical.6/ La part de la prosodie dans l'élaboration du poème.Si un poème, qui est fabrication, prend de l'importance à la mesure du vaste monde, il reste porteur d'une musique propre à son époque. Sinon, ce ne sera jamais qu'un gadget sonore déconnecté de la vraie vie.7/ La place de la traduction dans l'écriture poétique.La traduction ouvre le champ et la portée du poème. Le traducteur devient créateur associé. De nos jours, si nous parlons en termes de globalité, il existe des poèmes qui ont acquis une dimension internationale bien avant l'Internet et la mise en place des hautes technologies de communication. Les livres se transportent mais ils passent aussi de main en main et franchissent les frontières. C'est la raison pour laquelle certains soi-disant dirigeants surveillent toujours les poètes du coin de l'oeil.Et, codicille du traducteur :J'ajouterai que, pour ce qui est du passage de l'anglais au français (et vice-versa), le traducteur de poésie évolue nécessairement dans un système contraignant clairement paramétré. Si ces deux langues ont le même nombre de sons voyelles et diphtongues, pas un seul n'est identique, à l'infime exception près du 'U' français qui correspond à peu près à l'écossais dans True Scot, par exemple. Par ailleurs les rythmes nobles, instinctifs, diffèrent aussi : si le pentamètre anglais se retrouve, dans le miroir, en alexandrin français, ils n'ont rien en commun. Au rythme iambique anglo-saxon, porteur ou non de rime (5x 1+1) nettement accentué sur le mot, fréquemment monosyllabique, correspond le dactylique/anapestique, lesté de rime, qui n'est qu'accent de phrase (4x3). Je passe sur les variantes indispensables pour vaincre l'ennui naissant de l'uniformité. Mais cela débouche sur un rapport proportionnel incontournable : si l'on considère, théoriquement parlant, cela va de soi, que le sonnet, poème par excellence, vaut de façon très souple 14x10 syllabes en anglais, il en vaut très rigoureusement 14x12 en français, soit exactement 20% de plus. À différente musique, différente partition. Le traducteur se doit de re-composer : il est donc « créateur associé » comme vient de l'écrire Yusef Komunyakaa. La mauvaise traduction aura tendance à dépasser cette norme. La moyenne s'y tiendra, plus ou moins. La bonne descendra le plus possible. Quant à l'excellente, qui existe à l'occasion, il lui arrivera de faire plus court encore. Si ce n'est pas toujours possible, il y a très souvent mieux à faire, après réflexion.Tout ceci, bien sûr, ne concerne que l'écrit. Souvent, lorsqu'il s'entend pour la première fois en traduction, l'auteur a l'impression de se découvrir une face cachée. C'est la surprise du chef.
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