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Une jeep conquise et la ligne rouge franchie, Mat et Théo se lancent dans une quête haletante à travers le désert, loin de la Cité, loin de cette unique mégapole ayant survécu à une sécheresse et à une guerre planétaires ; loin de son insoutenable bonheur fictionnel qui raréfie les rêves ; les assèche, cloître les désirs, d'une emprise totale. À l'ouest, toute, où se trouve un canyon au-delà duquel gronde, tel un mythe intercesseur qui ouvre aux destinées, l'Océan. Mat et Théo savent le but : en bas, où couve la révolte, évolue la fabuleuse Eurydice, faiseuse d'oracles. Doris et Phèdre, qui ont rejoint Mat et Théo, ressentent elles aussi, confusément mais sûrement, les effluves enivrants d'un point ultime à gagner. Cependant, ils sont là, tout proches, à leurs trousses. Le canyon sera rallié en fin de compte, et la liberté - ou sa fragile présomption, telle une fragrance puissante et inquiétante. Ralliés, oui, jusqu'à ce que tout bascule... Un premier récit éblouissant, fabuleux, onirique, qui tient autant du Road trip enfiévré que de l'épopée, et où le chant résonne telle une ode amoureuse célébrant l'inénarrable pouvoir de la littérature.
Dans son contexte, le roman de Galien Sarde parle de notre futur si rien n'est fait pour limiter notre impact sur la planète, il est l'un de ces romans SF que l'on n'a pas envie de voir se réaliser, mais qui le pourraient tout à fait : "Des hommes y ont vécu, dans ces villes, là comme ailleurs, avec cour ou jardin privé, il existait alors plusieurs firmes, plusieurs marques et plusieurs filières, le monde était encore grand ouvert, qu'irriguaient des réseaux, avant qu'on ne le rétracte, par faiblesse et affiliation -c'était l'époque des fleuves et des mers, des vagues et des icebergs, dont l'épuisement fut précipité par des choix coupables et une sécheresse historique : plus d'un an sans précipitations sur la majeure partie du monde, l'eau venant soudain à manquer, refusant de tomber du ciel dans un déluge inversé, engendrant le pire." (p.14/15) Et dans ce contexte angoissant parce que réalisable, il met deux jeunes gens sur la route pour une vie meilleure. Théo, qui subit plus qu'il ne vit sa fuite : il suit Mat, s'abrutit de haschich. Il n'est pas habitué à une sorte de liberté fût-elle avec le risque de se faire reprendre par la Milice. Et Mat qui a tout organisé, qui mène le duo et conduit la voiture, qui tient à cette évasion et veut absolument voir l'océan.
Superbement écrit avec de longues phrases, très ponctuées, des mots rares ou inattendus : "Avec des clients, je jouais aux dés et fumais pour lasser le temps, déliant au mieux leurs humeurs, déjeunais sur le pouce, buvais des cafés, dormais debout, en corybante." (p.88), dans cette phrase, je ne m'attendais pas à "lasser le temps" ni à "corybante" (prêtre phrygien de Cybèle, pratiquant des danses extatiques selon le Larousse). Galien Sarde use d'autres vocables dont je ne sais s'ils existent réellement ou s'il néologise : "Mes doigts sont engourdis, mon esprit se disperse -ma tempe fulgure de nouveau." (p.42/43), "Quoi qu'il en soit, la vue de ce site en plein désert est pour nous franchement sidérante, effrène notre imagination sans borne..." (p.42) ou des images (ou figures de style qui ont sûrement un nom précis) : "Je n'intervenais pas, j'écoutais, transporté. Mon verre avait un goût de foudre, tout un monde de possibles affluait, qui me traversait." (p.53).
Tout cela fait de ce roman un texte fin, littéraire, d'une écriture soignée qui sonne délicatement à l'oreille. Une formidable histoire, un road-trip -en bon français- ou une odyssée onirique, avec des héros en pleines interrogations qui fuient une vie morne et étroitement surveillée pour une vie autrement plus libre mais avec de gros risques. Ce premier roman de Galien Sarde est une réussite, comme l'est son deuxième récemment lu et chroniqué : Trafic.
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