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Le 20 juin 1864, le monde de l'Église et celui des Lettres se toisent au grand jour. Tandis que journaux, livres bon marché et kiosques de gare font basculer la France en régime médiatique, la Papauté marque avec éclat son hostilité. Par un décret de l'antique congrégation de l'Index bientôt repris par la presse catholique toute entière, Rome interdit la lecture des grands romanciers de l'époque, de Balzac à Flaubert. Les auteurs encore vivants opposent une superbe indifférence à cet anathème, qui couronne trois décennies d'une lutte acharnée contre des "torrents" de papiers impies, dont les catholiques ne cessent de dénoncer l'influence croissante.
S'appuyant sur des sources souvent inédites conservées au Vatican et dans les pays francophones, cette étude dévoile les mécanismes conduisant l'Église à condamner puis à tenter de capter à son profit le formidable outil que représente la fiction populaire, dès lors qu'elle se transforme en machine idéologique propre à imprégner l'imaginaire des masses. Aux romans bannis par l'Église s'opposent dès les années 1830 de "bons" et "sains" ouvrages, distribués dans des bibliothèques contrôlées par les clergés locaux. Une politique de la lecture reposant sur l'observation et la classification de lecteurs populaires se dessine : pour contrecarrer la percée du feuilleton-roman, les catholiques sont les premiers à distribuer gratuitement des livres de fiction expurgés, considérés comme des antidotes à la fièvre de lecture qui gagne les couches populaires.
De l'établissement de la liberté de la presse en 1830 au Syllabus de 1864, la contre-offensive catholique détermine les positions tenues par l'Église face aux poussées successives de la culture médiatique. À la Belle Époque comme à l'ère de la télévision, le clergé tentera de juguler les effets produits par les nouveaux médias, éditant revues et guides pour éclairer le peuple dans la jungle toujours plus foisonnante des produits culturels. L'orthopraxie de la lecture de masse imaginée sous la monarchie de Juillet fait des nouveaux consommateurs de romans des malades curables. L'histoire de leurs comportements face au redoutable dispositif incluant production, diffusion et distribution des "bons" romans nous apprend qu'ils peuvent aussi se montrer rapidement résistants au traitement qu'on leur impose, mieux disposés à cheminer librement dans les vastes provinces de la littérature populaire.
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