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Si Fredi Melchior Murer est unanimement reconnu comme un des plus importants réalisateurs suisses, il n'existe que quelques publications consacrées au cinéaste, celles en français se comptant sur les doigts de la main. Le succès public de Vitus (2006), le dernier film de Murer à ce jour, ainsi qu'une récente rétrospective montée par la Cinémathèque suisse nous ont incités à réunir un dossier proposant d'une part des analyses fines de certains films et permettant d'autre part de réinterroger certains aspects réputés centraux dans la carrière de Murer. Celle-ci a suivi des orientations extrêmement diverses, d'un «cinéma privé» parfois quasi expérimental au long métrage narratif et humaniste en passant par le portrait d'artiste, le documentaire ethnographique, le film de critique sociale, l'allégorie utopiste ou le drame oedipien. Tout en soulignant ces variations, il s'agissait donc de dégager certains traits récurrents, notamment le rapport que Murer entretient à la société qui l'entoure. Car si comme plusieurs critiques et historiens l'ont souligné, Murer cherche souvent à se dégager du lieu dans lequel il vit pour élargir son propos à des questions plus générales, nombre de ses films ne sauraient cependant se concevoir et être perçus hors de cet espace dont il tire son inspiration et avec lequel il se confronte - ne serait-ce déjà qu'au plan de la réception critique, ses films ayant circulé en premier lieu en Suisse.
C'est en effet dans un dialogue constant avec des acteurs locaux du champ cinématographique que les films de Murer ont paru et ont circulé. Le témoignage de Marcel Leiser insiste ainsi sur l'impact que les premiers films de Murer ont eu sur toute une génération, notamment suite à leur présentation aux premières Journées de Soleure et aux débats qu'ils suscitèrent. Le cinéaste Richard Dindo s'appuie ainsi sur Wir Bergler in den Bergen sind eigentlich nicht schuld, dass wir da sind (1974) pour affirmer qu'il est possible en Suisse de développer une pratique cinématographique authentique au plan documentaire: en mettant à jour les fondements idéologiques d'un peuple, le documentaire révèlerait ce qu'il y a «de mensonger dans les récits de notre histoire». On pourrait ainsi repartir de zéro selon Dindo et, grâce à cette pratique documentaire, fonder un cinéma de fiction qui échappe à la tradition, au patriotique. Grâce à ce regard documentaire, Grauzone, bien que situé dans un avenir de science-fiction, dresse un portait fidèle de notre société. On le voit, Murer se trouve ainsi propulsé à une place élevée dans la hiérarchie du cinéma suisse, comme le soulignait aussi Freddy Buache.
Mais plutôt que de revenir sur la place de Murer dans ce classement, il nous a paru utile de nous replonger plus directement dans les films et notamment sur certaines périodes moins connues de la carrière du cinéaste. François Bovier resitue les premiers films de Murer - réputés «expérimentaux» - par rapport aux avant-gardes en insistant sur le décalage qu'ils présentent avec les films de ses contemporains, Schoenherr notamment. Ce «cinéma privé» le mène à une interrogation des frontières entre des genres jugés totalement hétérogènes. Il en va de même pour Christopher & Alexander (1973) qui questionne les limites du film de famille: Alexandra Schneider montre comment le film redéfinit les notions de cercle privé et d'intime en se présentant comme un faux film de famille. Une même interrogation formelle est au fondement de Hohenfeuer (1985) qui tout en étant situé dans le cadre traditionnel du cinéma suisse cherche par diverses stratégies finement analysées par Jacob Lachat à échapper à la représentation de la montagne majestueuse et chargée de connotations morales et patriotiques.
Enfin, ce sont les derniers films qui ont retenu l'attention. Marcy Goldberg propose une analyse transversale des fictions de Murer, dont la forme allégorique cache une critique sociale radicale. Les deux derniers longs métrages de Murer, Vollmond (1998) et Vitus, présentent un contraste marqué avec ses oeuvres antérieures, particulièrement Vitus dont se dégage un manifeste souci de divertissement. Il convenait de saisir en quoi ces films marquent un tournant dans la production du cinéaste tout en montrant que, malgré ces différences manifestes, des thématiques se retrouvent, présentes dès les débuts de Murer. Il convenait aussi de se demander dans quelle mesure les modifications des aides fédérales et plus généralement du financement du cinéma suisse ont eu un impact sur la carrière phénoménale de Vitus. Christian Davi, producteur du film, s'en est expliqué à Marthe Porret. Malgré la différence générationnelle, c'est un souci commun de faire leurs films dans l'indépendance, de pouvoir travailler hors de la pression du succès qui réunit ces deux cinéastes.
Par ailleurs, dans ce qui constitue un cahier à part, nous publions certaines esquisses de Fredi Murer qui figurent dans le scénario original de Hohenfeuer.
Enfin, comme à l'habitude, des articles liés à l'actualité nationale complètent le dossier. Alain Freudiger s'est ainsi penché sur Un vivant qui passe de Claude Lanzmann (1997), consacré à Maurice Rossel, délégué du CICR qui se rendit à Auschwitz durant la guerre. Alors que ce sont une série de trois dvd (Zeitreisen in die Vergangenheit der Schweiz) qui ont retenu notre attention dans la mesure où ils permettent de découvrir un pan encore peu connu de l'histoire du cinéma suisse: les courts métrages de commande, Séverine Graff rend compte de la sortie du dernier numéro de la Revue historique vaudoise consacré à divers aspects de l'histoire du cinéma en Suisse romande, tandis que Patrick Straumann fait le compte rendu de la dernière publication de Margrit Trohler, Professeure au Seminar für Filmwissenschaft de l'Université de Zurich, publication consacrée au film choral.
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