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« Pendant que nous buvons le vin blanc acidulé des vignobles de Nashik, je récite ces deux vers du poète et rabbin Yehuda Halevi : « Mon coeur est en Orient et moi au bout de l'Occident. » Je lui raconte la Chine, le Japon, l'Asie du Sud-Est, une histoire familiale liée au passé colonial français, mon grand-père magistrat en Indochine, l'enfance de ma mère sur la baie d'Ha Long, mes études chinoises, mon recrutement surprise par le quai d'Orsay, ces années à Pékin à me tenir le plus loin possible d'une politique verrouillée par le maoïsme - et ce n'était que maintenant que je m'apprêtais à résoudre l'équation : j'avais été longtemps ce « jeune homme bien élevé » mais j'avais besoin du danger pour me sentir vivant. Je me surprends à me comprendre moi-même, à enfin saisir le mouvement qui me fait et me défait.
Je réfute cette consigne de prudence suivant laquelle un diplomate ne doit pas s'identifier par trop avec les heurs et malheurs du pays où il est accrédité. Je pense à l'inverse : dans le grand gouvernement des sensations et de l'inconscient, la seule manière de comprendre est de plonger dans les profondeurs. De courir tous les risques. ».
Dans les rues étouffantes de Delhi, Ahmedabad et Bombay, dans les villages reculés du Bengale ou dans le désert du Thar, l'auteur poursuit des énigmes : qu'est-ce qui pousse un jeune homme bien élevé à partir toujours plus loin de là où il est né, toujours plus avant dans la tanière du tigre ? Pourquoi entraîner sa famille dans une aventure dont on ignore l'issue ? Comment vivre dans la violence assourdissante du monde, et continuer d'aimer ?
De son amitié nouée avec l'écrivain et militante Arundhati Roy naissent des dialogues à bâtons rompus, des rencontres intenses avec la jeunesse engagée d'un pays, des souvenirs d'une autre jeunesse, brûlante et insomniaque, dans les nuits de Pékin.
C'est marqué roman, mais le ranger au rayon journal ou récit ou document serait peut être plus juste. En tous les cas, quand vous plongerez dans "La tanière du tigre" vous ferez un voyage au coeur de l'Inde d'aujourd'hui sur les pas d'un diplomate français ( l'auteur ) chargé des relations culturelles et tout fraîchement nommé à Delhi.
Evidemment quand on représente la France à l'étranger, cela n'a pas grand chose à voir avec celui qui va dans ce pays pour des raisons spirituelles, s'initier au vrai yoga ou rechercher la paix intérieure dans un ashram voire juste parcourir simplement le pays comme un parfait touriste. Nicolas Idier lui se trouve être au croisement de la culture et de la politique. Son regard est donc celui d'un spécialiste qui très vite constate en réel que cet immense pays, tant par sa population, sa superficie et sa puissance économique, continue à rester, voire amplifie, son système hautement inégalitaire. Il met en évidence que son premier ministre actuel, Narendra Modi rejoint sans problème la longue liste des dirigeants qui se disputent la première place dans l'horreur et l'abomination ( en plus de conserver l'odieux système raciste des castes, extermine sans sourciller les musulmans ou ferme les yeux pour mieux approuver le triste sort fait aux femmes).
Courageusement, et peut être faisant fi de quelques recommandations de sa hiérarchie, Nicolas Idier approche de très près les quelques mouvements qui essaient de lutter contre ce fascisme rampant qui gangrène un peu plus chaque jour une société déjà pas bien portante. Il a, de par sa position, la possibilité de discuter puis de devenir ami avec Arundhati Roy ( écrivaine et militante célébrée partout dans le monde) et d'ausculter de l'intérieur les tensions qui agitent une certaine population ( aisée et cultivée ) luttant contre le pouvoir en place.
Tous ces aspects politiques sont parfaitement développés dans ce ...roman... qui parfois, hélas, s'attarde un peu trop sur certaines discussions littéraires ( sur l'oeuvre d'Arundhati Roy ou de V.S. Naipaul notamment), certains flash-backs chinois n'apportent pas grand chose au propos général, donnant seulement un côté plus intime au récit qui se révèle au final tellement hybride que l'on peut passer du grand intérêt à un ennui poli.
Il restera au final, une photographie actuelle de l'Inde fort intéressante, documentée de l'intérieur par quelqu'un qui n'a aucun parti pris, juste celui de l'écrivain prompt à raconter des faits que cette phrase pourrait parfaitement résumer : "Aujourd'hui le lien éclate entre les excès de l'économie, les ravages économiques et le repli nationaliste généralisé."
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