"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Deux hommes, au sud de la Corse. L'un très âgé, l'autre dans la cinquantaine. Un père et un fils. Ils se racontent leur vie, L'auteur remue des ombres, les déplace avec sa plume d'un profil à l'autre. Le mouvement de ces ombres qui bougent est celui du livre tout entier. C'est aussi celui du temps, d'un siècle passé à toutes vitesses, avec ses guerres, ses apocalypses, ses désirs d'aventure et de fraternité, ses espérances trahies, ses souffrances. Le père et le fils se précipitent au fond d'eux - mêmes, des souvenirs grondent, d'autres s'apaisent, des visages s'effacent. Copains disparus du Komintern, écrivains de passage, femmes aimées. Leur histoire est aussi notre histoire, nous qui sans vraiment nous en rendre compte avons changé de peau, de désirs, d'espérances et aussi sans doute d'idéal.
Magistrale fresque du XXème siècle qui traduit, dans un déroulé cinématographique, les grands évènements qui ont marqué la marche du temps forgée d’espoirs et de déceptions dans un renouveau constant.
En mêlant ses personnages de fiction issus du commun à des personnages publics, l’auteur fait revivre de l’intérieur, en nous plongeant dans le cœur des actions de façon remarquable et palpable, les évènements successifs de 1900 à l’an 2000.
Augustin, a quitté son foyer familial bourgeois et il fréquente le milieu maoïste des années 68. Il est pianiste. Par une lettre laissée au décès de son père, il apprend qu’il a été adopté en 1945. On ne sait ce que sont devenus ses parents sinon que le père s’appelait Pierre Perrignon. Il le retrouvera vivant à Bonifacio. C’est en se racontant que le vieillard né en 1900 et Gus alors cinquantenaire, vont nous livrer leurs parcours et ainsi dépeindre le XXème siècle.
Enfant paysan de l’Est de la France travaillant dans les vignobles et forêts, quand la fin du 19eme siècle se terminait de façon épouvantable avec les vignes mourant des attaques du phylloxera et les mafias qui faisaient du vin frelaté envoyant ainsi les fermiers à la faillite, Pierre Perrignon se lancera à 11 ans avec fougue dans la révolte champenoise de 1910. Activement recherché par la police, il se sauvera vers Nancy où il sera récupéré par un curé malveillant, sera enfermé dans un orphelinat nauséabond duquel il s’échappera pour devenir un enfant des rues vivant de petites rapines. Quand la guerre sera déclarée, comme la majorité des Français, il voudra rejoindre l’armée. N’ayant que 14 ans, il trafiquera son identité et sera incorporé. Daniel Rondeau nous fait vivre l’horreur de Verdun et des tranchées avec un réalisme effarant.
A la fin de la guerre, Perrignon se lancera dans les luttes ouvrières et rejoindra le très puissant mouvement communiste de l’entre-deux guerres et y côtoiera les cadres du parti dont Maurice Thorez avec qui ils iront à Moscou vénérer Lénine et Staline et aussi porter par bateau des armes aux républicains espagnols.
A l’aube de la 2ème guerre mondiale, nombreux sont ceux sympathisant avec l’idéologie hitlérienne car elle aussi a la destruction de la bourgeoisie pour cible et ainsi pensent ils récupérer le fruit de leurs luttes ouvrières. La guerre mondiale déclarée, les Nazis voudront éradiquer les Juifs mais aussi les communistes.
Pierre sera arrêté par la police française de Vichy. Il s’échappera de la prison et rejoindra le célèbre Guingoin dans le maquis de la montagne limousine.
Puis ce sera Buchenwald. L’horreur nazi est dépeinte avec un tel réalisme qu’on en ressent les douleurs. Leurs gardiens seront les communistes allemands prisonniers à la solde de l’armée nazie.
Envoyé sur un chantier extérieur, Perrignon fera connaissance d’une femme française veuve d’un allemand qui l’aidera à s’évader et sera la mère de Gus.
A la libération cette femme aura disparu. A la libération la déception du communisme est immense et de Gaulle est vénéré. Les scènes de la libération sont d’un vivant réalisme. Rondeau fait résonner ce qu’on sait, ce qui nous a été dit, ce qu’on a entendu, ce qu’on ne savait pas, ce qui a été tu, ce qu’on se refusait d’entendre…
De son côté, Augustin dit Gus, va suivre le mouvement maoïste des années 70, intervenant dans les milieux ouvriers pour convaincre d’une alternative prolétarienne à la bourgeoisie et au capitalisme. Encore de grosses déceptions et démantèlement des partis de gauche prolétarienne extrême.
Gus va rencontrer une femme qui va changer sa vie du tout au tout. Une cantatrice mondialement connue, épouse d’un milliardaire, amie de Bernstein et bien d’autres. Ils tomberont amoureux. La plume de l’auteur est trempée dans une fibre sexuelle à fleur de peau et de sentiment. Il l’accompagnera en tant que secrétaire. Rondeau nous embarque dans le monde de la musique classique, des opéras, des grandes scènes de Vienne et New York.
Elle l’abandonnera à New York où il se vautrera dans la drogue et la Pop en devenant un habitué du célèbre Max’s Kansas City club. Les nuits de NY empestaient le sexe dans ses fraicheurs marines quand « les clochards plongeaient la tête et les épaules dans les poubelles. »
Premiers échos d’une épidémie de peste gay…
Gus crée un groupe avec son ami Aron en mettant en scène un des premiers shows filmé sur scène. Ils écriront un tube qui les fera connaitre mondialement. Il retrouvera son amoureuse cantatrice à l’opéra de Paris mais la fin de leur histoire sera tragique. Le jeune homme écrasé par les dettes est contraint de quitter les US.
Suite à une interview, Pierre Perrignon va réaliser que ce musicien aux cheveux roux comme les siens est son fils…
Ceci n’est qu’un pâle résumé de ce roman tonitruant qui tisse notre histoire dans lequel, et comme dans chaque chef d’œuvre littéraire, chacun se retrouve derrière une virgule…
« C’est souvent l’après qui explique l’avant. »
Un uppercut !
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