"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le 15 avril 2010, à Pontorgueil, petite ville d'un triangle imaginaire dont les autres points sont Verrières et Valsaunier, la cathédrale brûle et s'effondre. S'agit-il d'un accident ou d'un acte délibéré?? On ne le saura pas mais, à l'occasion de cet événement, on découvrira que l'évêque entretient une liaison amoureuse avec une paroissienne. Pour le reste, on explore une vie sociale provinciale à souhait, dont chaque protagoniste cache ses turpitudes, soigne ses alliances et cherche avec plus ou moins d'obstination le pyromane?: au choix, un migrant africain qui fait figure de coupable idéal, un fils de bonne famille qui a un mobile solide et aucun alibi, un marginal perdu dans les brumes de sa toxicomanie...
De l'incendie, l'évêque et son amante sortent dévastés. Radicalement séparés et désertés par la foi, ils allument avec plus ou moins de bonheur des contrefeux destinés à protéger ce qui en eux n'est pas encore consumé. Les autres chercheront plutôt à en tirer les marrons, entreprise beaucoup plus pragmatique et, donc, promise à meilleure fortune.
Succession de points de vue différents sur l'incendie et ses conséquences, le roman suit le fil rouge du feu?: celui du désir, de la passion amoureuse, de la controverse ou de l'enfer - feu qui ravage ou régénère selon les cas. On y trouvera avant tout une jouissive chronique de la petitesse ordinaire et un discret éloge de l'indécidable.
Il suffira d’une étincelle
L’incendie d’une cathédrale va provoquer un jeu de massacre au sein d’une petite ville de Bourgogne. Emmanuel Venet nous livre une savoureuse satire sociale où l’évêque est priapique, l’immigré bouc-émissaire et les édiles corrompus. On se régale!
Monseigneur Philippe Ligné a bien de la chance, car deux femmes s'intéressent de près à ses pulsions sexuelles. Il y a d'abord Sibylle Stoltz, sa gouvernante alsacienne qui considère qu'il faut bien que la nature exulte et s'offre à la levrette comme elle dit à l'homme d'Église. Mais il y a surtout Marie-Ange Mourron, une paroissienne dont la plastique provoque en lui des sensations inavouables. La jeune femme va jouer un jeu de séduction de plus en plus osé dans le confessionnal avant de tomber dans les bras de l'ecclésiastique. Sous couvert de formation, il va instaurer des rendez-vous clandestins pour assouvir cette passion brûlante qui va pousser Marie-Ange au divorce.
C'est d'ailleurs lors de l'un de ces rendez-vous qu'ils vont apprendre via une chaîne d'info que la cathédrale de Pontorgueil est en proie à un violent incendie.
Cet événement va ébranler bien des certitudes et remettre en cause la gestion de la sécurité de cet édifice patrimonial d'importance. Les historiens se penchent sur l'édification du bâtiment et ses modifications successives, sur l'architecture et sa stabilité. Les enquêteurs vont chercher à savoir si la société privée en charge de la sécurité et des alarmes incendie a tenu ses engagements, mais aussi si la municipalité n'a pas manqué à son devoir de vigilance en signant un peu vite ce contrat. Tous les édiles sont désormais aux abois.
Cependant, «au terme d'une inspection soigneuse des décombres de la cathédrale Saint-Fruscain menée entre le 19 avril et le 11 juin 2010 et d'entretiens avec les protagonistes de l’incendie à la même période, Valère Graunion, expert près la cour d'appel, conclut que, s’il était assez facile de reconstituer la chronologie du sinistre, il était impossible d'en déterminer avec certitude l'origine.» Des conclusions qui n'empêcheront nullement la population de désigner un coupable en la personne d’un immigré qui avait trouvé refuge dans le lieu de culte. À moins que ce ne soit un toxico. Après tout, il suffit de piocher dans les marges pour assurer sa bonne conscience.
La technique qui consiste à circonscrire un incendie en allumant un contrefeu peut s’avérer efficace. Ici, elle serait plutôt susceptible d’attiser les rancœurs, raviver les préjugés, ramener au jour des affaires soigneusement étouffées.
On l’aura compris, Emmanuel Venet se régale et nous régale avec cette satire sociale explosive. Avec ironie et un humour noir mordant, l’auteur fait voler en éclat les conventions sociales. Sur ce bûcher des vanités, chacun va en prendre pour son grade, entre petits arrangements et grandes négligences, entre soif du pouvoir et envie de faire rapidement fortune. De l’homme d’Église au politique, de l’architecte au journaliste, de l’entrepreneur à l’avocat, tous en prennent pour le grade. Ils s’imaginaient avoir un tempérament de feu mais constatent combien il leur est difficile d’entretenir une petite flamme, toute petite.
Saluons aussi la parution de Marcher droit, tourner en rond dans la nouvelle collection de poche des éditions Verdier. Ce roman retrace la confession d’un homme atteint du syndrome d’Asperger qui rêve de retrouver sa camarade de lycée.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.
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