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Qu'il s'agisse de l'avortement, de la vente d'un rein, de l'addiction aux substances malsaines, de l'élevage en batterie, ou de certaines habitudes au bilan carbone élevé, ces comportements sont fréquemment condamnés moralement en raison d'une prétendue violation de l'ordre naturel. Cependant, ce raisonnement est logiquement intenable : on ne peut pas dériver des valeurs ou des normes à partir de faits. Pourtant, cet obstacle est souvent simplement ignoré dans la pratique de la délibération morale. Pourquoi ?
L'historienne des sciences Lorraine Daston se penche d'abord sur ce qui est proprement considéré comme contre-nature, tels que les déformations monstrueuses, les événements catastrophiques perturbant un certain équilibre naturel et les instances contraires aux lois universelles de la nature. Elle montre ensuite que leur manifestation déchaîne des passions particulièrement fortes. Celles-ci se mêlent, ou ressemblent, aux émotions que nous éprouvons lorsque nous jugeons que l'ordre moral est violé. Dans les deux cas de figure, c'est l'atteinte à « l'ordre » qui effraie : la menace du chaos dans le monde naturel et la menace d'une société dépourvue de normes qui nous permettent de prévoir le comportement d'autrui.
Selon l'auteure, l'analogie entre le naturel et le bon est supportée par notre besoin irrépressible de représenter les abstractions d'une façon accessible aux sens. La qualification « contre-nature » cherche précisément à donner une face visible à ce que nous jugeons moralement inacceptable. Car le « devoir-être » n'est pas, pour nous humains, compréhensible sans nous référer à un ordre, et la notion d'ordre est représentée, au bout du compte, comme un ordre naturel - et pas seulement comme un récit plausible.
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