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De 1953 à sa mort en 1978, le peintre Norman Rockwell vit à Stockbridge, une petite ville du Massachusetts. Il y fait notamment de nombreuses couvertures pour le Saturday Evening Post, parfois en prenant des habitants de la ville pour modèles. À en croire l'histoire racontée dans ce roman, vers la fi n de sa vie il peint Rebecca, une fi llette de Stockbridge.
Une fois adulte, Rebecca épouse un autre peintre, Peter Milton, avec qui elle a deux enfants, Tom et Hannah. Tandis que Rebecca rêve de devenir écrivain mais n'arrive visiblement à rien, Peter devient progressivement un grand artiste. Il propose un jour à une jeune Française, rencontrée dans le Vermont, de venir vivre dans sa famille ; en échange, elle devra poser pour lui et enseigner le français à ses enfants. Comme Ulysse est l'histoire de cette Française, racontée par elle-même.
De la narratrice, on ne connaît ni l'âge, ni le nom véritable ; elle se fait appeler Lou et se présente le plus souvent en adolescente écervelée, un peu ignare et mal dégrossie. Alors qu'elle ne devait rester aux États-Unis que le temps d'un séjour linguistique avec sa soeur, elle y passe plusieurs années, d'abord à New York puis en Nouvelle-Angleterre, et ses souvenirs de France (sa vie à Paris, ses vacances en Bretagne), de plus en plus douloureux, doublent le récit de ses aventures américaines, au point que la côte Est apparaît comme un mauvais refl et de la côte bretonne.
La nostalgie est aussi celle de l'enfance. Lou raconte à la fois ses relations avec le peintre, sa femme et leurs amis, et ses longues conversations avec Tom et Hannah.
Ces deux enfants un peu fantomatiques semblent évoluer dans un univers qu'elle comprend de moins en moins. Ainsi, de même qu'elle fl otte entre deux langues et deux cultures, Lou n'a-t-elle sa place ni dans le monde des adultes, ni dans celui de l'enfance.
Quelle que soit la nostalgie qui enveloppe ce roman, il est d'abord un récit d'aventures, conduit légèrement et avec désinvolture. Le langage est familier, parfois vulgaire, les phrases se brisent et partent dans des directions aussi imprévues que la pensée de Lou, qui enchaîne les digressions et préfère toujours se contredire plutôt que de se corriger. Même quand l'histoire tourne mal et que sont racontés des événements tragiques, le style reste vif et entraînant. Si la réalité est décrite de manière simplifi ée et enfantine, c'est peut-être que la narratrice, incapable d'appréhender le nouveau, doit toujours ramener l'inconnu au connu (Rebecca devient ainsi un double obscur de sa mère, la plage de Newport se confond avec celle de Sainte-Anne-la-Palud.). Lou, qui se plaint de manquer de vocabulaire et d'avoir perdu son français aux États- Unis, aplanit le réel et peine à percevoir les nuances entre les êtres, qu'elle confond ou au contraire oppose violemment.
Ses dessins en noir et blanc, qui ponctuent la narration, apparaissent eux-mêmes comme un vague écho, simple et naïf, des tableaux de Peter.
Mais jusqu'où pouvons-nous suivre Lou ? Les contradictions du texte laissent penser qu'elle accommode la réalité à son gré, afi n de donner la meilleure image possible, voire de dissimuler une éventuelle culpabilité. Plus radicalement, des indices nous amènent à douter de la réalité même de ce séjour américain. Dès lors, nous sommes libres d'imaginer que la trame n'est pas fi xée d'avance, mais qu'elle s'élabore progressivement dans l'esprit de la narratrice, à mesure qu'elle la raconte. Pour elle, il ne s'agirait donc pas de ramener l'inconnu au connu, mais au contraire de fabriquer de l'inconnu à partir du connu. Ce serait l'apprentissage du métier d'écrivain. Lou inventerait un scénario de fi lm américain à partir d'éléments triviaux de sa vie française, chacun de ses proches, chaque lieu aimé et familier, trouvant un double déformé et menaçant dans cet autre monde.
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