"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Roman épistolaire qui nous plonge dans une intrication du vrai et du faux tout en alternance et en contraste dont l’axe de bascule se situe entre le bouillonnement de conversations d’adultes intellectuels plutôt pathétiques et le journal d’une pré-adolescente habitée de pensées naïves mais à l’analyse particulièrement intelligente.
L’écrivain Octave Milton qui va se révéler être un homme geignard, négatif, veule, médisant, condescendant et égoïste est téléguidé par Livia Colangeli, son éditrice, ex-compagne et amie, qui, elle, est calculatrice, dominatrice, cruelle, méchante et jalouse.
Elle va le conduire à postuler pour un séjour à la Villa Médicis à Rome sous prétexte d’écrire un roman imbriquant la grande Histoire italienne avec une légende familiale qui le dit descendant du grand artiste architecte Francesco Borromini qui se suicida à Rome en 1667 « mettant fin à une vie passée dans l’ombre du Bernin », son rival .
Le texte « prendra une forme neuve, celle d’une messagerie électronique. Le livre se lira en ligne (…) le lecteur disposera donc d’une messagerie complète dans laquelle il circulera comme bon lui semble (…) des messages les plus importants aux plus anodins. »
Avec le soutien de Livia dans l’ombre du jury et d’une lettre de recommandation signée Paul Otchakovsky-Laurens, le dossier sera accepté par l’Académie de France à Rome bien que l’écrivain âgé de 45 ans est déjà bien avancé pour une résidence réservée aux artistes débutants.
Lise Charles va souvent faire glisser son propre rôle dans le roman et l’idée de ce projet électronique qu’elle détaille dans le texte était bien réel mais pour diverses raisons n’a pas abouti. Les échanges de mails avec feu le dirigeant des éditions P.O.L ont eux aussi existé. De plus, l’écrivaine a été reçue au concours des pensionnaires de la Villa Médicis où elle a résidé une année et écrit son livre. Ce courant de réalité va se mêler à la fiction tout du long. Vrai/Faux.
« Bravo, cher Octave, c’est une excellente nouvelle. Et comment avance-t-il, ce projet électronique ? Amicalement, Paul »
Arrivé à Rome, Octave Milton ne rencontre que peu d’enthousiasme, critique tout et surtout est en panne d’inspiration.
Son regard sur l’œuvre de son aïeul est négatif et il en vient non seulement à préférer le travail de son rival mais à avoir honte de sa descendance alors que Borromini est mondialement reconnu comme un architecte de génie.
Au lieu d’écrire son roman, il va nous livrer un échange de multi mails entre lui et Livia Colangeli, entre lui et sa maison d’édition, entre lui et son frère, entre lui et sa mère, entre lui et la résidence jusqu’à ce qu’intervienne un message d’une dénommée Prune Mordillac , provinciale coincée, fervente admiratrice qui va s'amouracher de lui sans réciprocité et dont il va se servir sans scrupules pour écrire une courte nouvelle la ridiculisant elle et sa famille, et enfin la remplacer par une aventure d’un soir avec une des résidentes écrivaine, Irina de Bellechose.
Enfin, surgira un message d’une femme universitaire, Marianne Lenoir, grammairienne et stylistique, maitre de conférence en textes classiques des XVII et XVIII siècles. (Profession de Lise Charles à l’université de Nantes)
Octave et Marianne finiront par se rencontrer puis il l’invitera à la Villa elle et sa fille, Louise, une très jolie pré-adolescente.
(Lise Charles a, par le passé, signé deux romans jeunesse sous le pseudo Marianne Lenoir). Marianne Lenoir, hormis que ce soit le nom de l’héroïne du film Pierrot le Fou de Godard, est aussi le nom donné à l’héroïne du premier roman écrit par Octave Milton.
Marianne Lenoir va tomber amoureuse, aimer Octave de tout son cœur. De retour à Nantes, elle va quitter son mari. Elle est d’une sincérité absolue, consentante et bonne élève face à un homme caméléon qui sait se faire aimer le temps nécessaire à ses propres fins et qui se nourrit de l’amour et surtout de la culture de Marianne sans rien en retour sinon faire croire, jouer le jeu… Le jeu… Octave n’a pas été sans croiser le regard de Louise…
Livia Colongeli est au courant de tout car Octave lui raconte tout dans les moindres détails. Très complices et d’une perversité acide, ils se raillent et se moquent, bien que Livia garde une emprise de manipulatrice sur cet écrivain taciturne qui ne sait pas agir sans lui demander son avis et suivre aveuglément ses conseils.
C’est ainsi que Livia va baptiser Marianne « la métalepse » et va être d’un machiavélisme redoutable à l’insu d’Octave.
Toujours est-il que ces échanges de mails virtuoses font un texte très rythmé et culturellement riche. Le lecteur découvre la vie de résident dans la Villa Médicis, visite Rome, ses musées, quartiers et bibliothèques et suit la vie d’un écrivain appartenant à l’écurie prestigieuse de P.O.L et l’univers de cette grande maison d’édition fauchée par la mort subite de son très regretté dirigeant.
Au cours de la lecture, de découvertes grammaticales en explications de textes, d’articles universitaires en chroniques, on sent en arrière-plan, une montée en puissance et on se demande sur quel dénouement cela va-t-il déboucher.
Quelle faille, quel volcan, quelle explosion va rencontrer l’architecture labyrinthique du roman qui somme toute, se tend insidieusement.
Le roman prometteur d’Octave ne voit toujours pas ne serait-ce qu’une première page…
Les mails s’accumulent, les échanges sont plein de bouillonnement d’une voix à l’autre, quand s’interrompt soudainement la parole effervescente des adultes pour laisser place aux mots, au talent d’écrivaine née et à l’intelligence d’une petite demoiselle à cœur ouvert….
« C’est à quel âge que les masques se posent sur les visages ? A quel âge qu’ils collent tant à la peau qu’on ne peut plus les enlever ? »
Lise Charles signe ici un livre cruel sur le vampirisme, le sordide et l’avidité dont le monde des écrivains et de l’édition n’est pas épargné. Ce qu’on voit et le caché. Le vrai qui nourrit le faux…
« Personne, de toute façon, n’invente ex-nihilo »…
Sur le dos de couverture, il est noté : « Nous aurions préféré ne pas avoir à publier cette correspondance. Nous avons jugé que c’était notre devoir. » LC
LC… Lise Charles ? Livia Colongeli ?
Une chute renversante.
Une griffe magistrale…
♥♥ NE PASSEZ SURTOUT PAS À CÔTÉ DE CE ROMAN DÉLECTABLE, DRÔLE, PLEIN D'ESPRIT, DE FANTAISIE ET DE SUSPENSE… C'est mon COUP DE COEUR du moment (et ce sera bientôt LE VÔTRE !) ♥♥
Voilà, au moins l'essentiel est dit !
Continuons maintenant tranquillement...
« Allons allons, Livia, reprends-toi, ça commence »… Non, vous n'êtes ni chez Marivaux ni chez Musset, quoique… Livia échange par mail avec un écrivain quadragénaire à succès : Octave Milton dit Ottavio, son ancien ami, un garçon peu inspiré et un brin velléitaire. Celui-ci lui explique qu'il va tenter de devenir pensionnaire à la villa Médicis (où a résidé l'autrice pour écrire ce roman…) En attendant, Ottavio doit écrire une lettre de candidature mais il a peu d'imagination et encore moins de motivation, il faut bien le dire. Livia lui suggère l'idée d'un roman épistolaire par mails qui mettrait en scène un narrateur, Pedro M. qui ferait des recherches sur son ancêtre l'architecte Borromini (la légende familiale raconte qu'en effet notre Ottavio descendrait de Borromini)… C'est nouveau, ça devrait plaire, l'encourage Livia. Il suffirait au lecteur d'acheter un mot de passe, il pourrait suivre l'échange épistolaire en se connectant…
Ottavio séduit le jury… Ah, les jolies balades dans Rome qui se profilent… Il lui reste à avertir son éditeur Paul Otchakovsky-Laurens qui trouve l'idée intéressante. L'aventure commence donc : découverte du petit monde des pensionnaires et de leur art - qui semble n'en avoir que le nom ! - (c'est piquant, mordant à souhait et si drôle!), du fonctionnement de la villa Médicis, des règles qui régissent toute cette faune étrange et des cris stridents des paons « léon » « léon » « léon » qui se pavanent près de l'allée des Orangers où la directrice a planté des artichauts… Quel microcosme insolite et rocambolesque…
Livia, restée à Paris, veut des détails, Ottavio les lui envoie. Mais l'écriture de son propre roman n'avance pas : inspiration et enthousiasme s'étiolent rapidement. Pourtant, de singulières rencontres ont lieu qui pourraient donner des idées à Ottavio : par exemple, une certaine Prune Mordillac, jeune fille naïve et pleine d'admiration, sagement accompagnée de « son père âgé de soixante-quatorze ans, professeur agrégé honoraire au lycée Henri IV et sa mère, âgée de soixante-neuf ans, sans profession», qui a adoré le dernier roman d'Ottavio, aimerait le rencontrer (en présence de père et mère of course). Pourquoi refuser cette drôle d'invitation ? Tiens, s'il racontait cette rencontre et l'intitulait « Mon coeur, bref », ce serait un beau titre pour P.O.L, non ?
Il lui faut aussi écrire quelques chroniques pour les Inrocks, un mail pour maman, un autre pour le frérot. Paul Otchakovsky-Laurens doit aussi lui rendre visite…
Tout ça est bien sympathique mais le satané roman n'avance toujours pas et Ottavio résume ainsi sa situation : « C'est l'histoire d'un écrivain en mal d'inspiration, qui décide, en suivant le conseil d'une ancienne amante, d'écrire sur ses ancêtres illustres, et qui se rend compte que ce sont de gros ploucs. End of the story, je laisse tomber mon livre, et j'attends que la vie me propose de nouvelles aventures» qui vont se présenter sous la forme d'une certaine Marianne (Octave, Marianne… quand je vous parlais de Musset!) Marianne Renoir (pseudonyme de l'autrice lorsqu'elle écrit pour les jeunes), linguiste, maître de conférences à l'Université de Nantes (tiens, c'est aussi la profession de Lise Charles) qui travaille sur « les pratiques ponctuantes des écrivains contemporains en matière de discours rapporté» (sujet à coup sûr étudié par l'écrivaine!) et aimerait interroger notre Ottavio sur « l'absence de marqueur du discours rapporté dans son dernier roman». Ottavio n'en sait rien, il a écrit « instinctivement », sans trop se poser de questions. Il lui faudrait peut-être interroger Livia, elle aura bien des idées, Livia ! Elle en a toujours !
Quel plaisir de lire ce roman malicieux, érudit, passionnant, plein d'esprit et d'humour et tellement, oui, tellement original : au-delà de son petit côté protéiforme (mails, chronique de presse, article universitaire, journal intime…) et de sa réflexion centrée sur la création, le langage et le rapport étroit entre l'écriture et la vie, il joue subtilement, délicieusement, avec les mises en abyme, les effets d'écho, les registres de langue, les figures de style (ah, la métalepse!)… Jeux de masques, de rôles, de mots et de miroir, de vérité et de mensonge qui nourrissent un dispositif narratif hors pair… Tout est faux : les statues du parc de la villa Médicis, le discours que l'on produit et que l'on adapte hypocritement au destinataire que l'on cherche à séduire et à tromper. Jeu dangereux lorsqu'il s'empare du vrai… « Un drame se joue et nous n'en voyons rien » commente P.O.L au sujet d'un article d'Ottavio. Il faut toujours être prudent avec les mots, on ne sait jamais où ils mènent...
Un texte brillant qui, somme toute, à travers ruses et manipulations, intrigues et manigances, leurres, fausses pistes, s'apparente à une réécriture moderne des Liaisons dangereuses et n'est peut-être pas sans rappeler l'univers rohmérien...
Croyez-moi, il mérite VRAIMENT d'être lu...
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