"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
" La vie d'un mafieux est belle, mais courte. "
Dans la Slovaquie des années 1990, nécrosée par la criminalité, règnent en maître le Service de renseignement slovaque et ses policiers corrompus.
Le lieutenant Molnár, jeune policier idéaliste, semble être le seul à souhaiter nettoyer la ville du crime, devenant ainsi l'homme à abattre. Miki Miko, son partenaire, a, lui, depuis longtemps compris les rouages de la machine. Mais lorsque Moly se fait tuer et que le système judiciaire fait l'impossible pour protéger les assassins, il ne lui reste plus que la vengeance.
S'engage alors une chasse méthodique et sans répit pour faire payer un à un chacun des criminels impliqués, le tout sur fond de guerre du pouvoir entre les différents gangs mafieux et les plus hautes sphères politiques du pays.
Dans son troisième roman, Arpád Soltész nous plonge avec force dans les bas-fonds d'un pays gangréné jusqu'à l'os, un pays où il est bien difficile d'être un héros.
Prix du Premier roman slovaque en 2017, pour Il était une fois dans l'Est.
Voilà un polar slovaque bien rugueux qui décoiffe et qui change de nos standards habituels. Arpád Soltész nous plonge en pleine guerre des gangs dans un pays corrompu où il serait vain de chercher à distinguer les gendarmes des voleurs.
L'auteur, le livre (464 pages, mars 2024, 2020 en VO) :
Arpád Soltész est un journaliste de Slovaquie connu chez lui pour ses travaux sur le crime organisé qui a rapidement prospéré à l'Est avec les privatisations sauvages du post-communisme.
Autant dire que nous tenons là un spécialiste de la corruption, des mafias des Balkans, des oligarques et des trafics en tous genres, ...
Un empêcheur de prévariquer en rond dans son pays, qui est obligé de vivre désormais en exil.
Les résultats de ses investigations qui ne peuvent pas trouver place dans ses articles ... il en fait des romans.
♥ On aime :
• Ce polar slovaque va vraiment vous changer de vos lectures habituelles : accrochez-vous, ça décoiffe et c'est plutôt rugueux. Rien à voir avec nos gentils polars de l'ouest, nos histoires pour se faire peur le soir. Immersion au coeur de la pègre d'Europe Centrale. Drogues, putes, mafias, assassinats et corruption à tous les étages. Violence à chaque page, de la part des mafieux comme de la part des flics.
• Et puis l'alcool, comme le sang, coule à flots : à côté du flic Miki qui descend la vodka par bouteilles entières, nos flics imbibés d'Europe de l'Ouest (comme le Jack Taylor de Ken Bruen ou le Harry Hole de Jo Nesbo) feraient figure d'enfants de choeur en train de siroter du vin de messe.
On n'a plus qu'à espérer qu'aucun studio d'Hollywood ne tombe sur ce roman et ne décide d'en faire un scénario : au cinoche, ce serait sans aucun doute insupportable !
• Si Arpád Soltész ne fait guère de concession à nos codes, habitudes ou standards de l'ouest, il est, fort heureusement, largement pourvu d'humour. Une ironie amère et féroce, évidemment, et bien dans l'ambiance de son bouquin.
Par exemple, on sait que chez nous les flics vont toujours par deux : le flic méchant et le flic gentil. Et bien en Slovaquie, c'est tout pareil : un tandem avec un flic méchant et un flic brutal.
Quant aux voyous, ils sont pour la plupart conformes au stéréotype : des gars bodybuildés que l'auteur décrit comme des "brutes-sans-cou en joggings de marque en polyester".
• Et si la prose d'Arpád Soltész, acerbe et sans fioriture, est souvent réjouissante, il n'en va pas de même pour son pays (membre de l'UE depuis 2004) : le bouquin a été écrit en 2020 peu après l'assassinat en 2018 du journaliste d'investigation Ján Kuciak (un confrère de l'auteur donc) qui enquêtait sur la corruption du pouvoir.
En 2018, les réactions dans le pays ont contraint le président Robert Fico à la démission.
Il vient d'être réélu en 2023 et a repris les rênes du pays après avoir échappé lui-même à une tentative d'assassinat début 2024 !
Le canevas :
C'est le lieutenant Mikuláš Miko alias Miki (là-bas, tout le monde porte plusieurs surnoms et diminutifs ce qui ne facilite guère la vie du lecteur !) qui nous invite dans sa charmante ville de Košice dans la région de Prešov dans l'est de la Slovaquie, bien loin de la capitale Bratislava ou plutôt Blava comme ils disent là-bas (quoi ? même les villes ont des diminutifs ?!).
Une ville de la taille de Strasbourg (pour donner une idée) qui accueille des communautés juives ou roms et bien sûr de nombreux transfuges venus d'Albanie et de l'ex-Yougoslavie importer leurs mafias et leurs différents ethniques dans les rues de Slovaquie.
Son jeune et nouvel adjoint Moly (et ça recommence : diminutif et surnom de Igor Molnár) est bientôt retrouvé mort dans sa voiture savamment emplafonnée dans un arbre isolé. Un accident grossièrement maquillé par les mafieux dont le chef a un nom/surnom/diminutif prédestiné : Bandi !
Miko n'appréciait guère Moly mais est évidemment furax qu'on ait osé massacrer son adjoint et il va élaborer une vengeance à la mesure des gangs et des trafics de Košice.
De quoi ironiser sur la sagesse de Confucius lorsqu'il a dit qu'avant de prendre le chemin de la vengeance, il faut que tu creuses deux tombes : parce que deux, ça ne suffit pas en Slovaquie !
Dans sa quête d'une certaine et relative justice, Miko sera aidé par un journaliste d'investigation Schlezi (diminutif ! de Schlesinger), double de l'auteur et hommage à Ján Kuciak.
Ce n'est pas si souvent que l'on nous propose des auteurs slovaques et ça se passe du côté d'Agullo Éditions : J'avais brièvement rencontré Arpád Soltész lors d'un mémorable Quai des Polars, sous des trombes d'eau soudaines, en compagnie de son collègue croate, Jurica Pavičić. Et tout le monde coincé sous les tentes des stands des librairies en attendant que les aléas météorologiques veuillent bien prendre fin. C'est avec ce souvenir-là et son roman Le bal des porcs qu'il m'avait dédicacé, que j'entame la lecture de ce roman noir. La Slovaquie vient d'élire son nouveau président, Peter Pelligrini, pro-russe, conservateur, nationaliste, bref il a tout pour plaire : les Slovaques suivent cette mouvance qui se commence à se dessiner en Europe sur des votes à l'extrême droite. En lisant ce thriller qui plonge en plein cœur du fonctionnement de la société slovaque, je ne suis même plus étonnée qu'une majorité de la population votante ait choisi l'autoritarisme : Arpád Soltész nous a abreuvé d'un portrait d'une société au bout du rouleau, sans plus aucun sens ni structure, dominée par la loi du plus fort, qui est loin d'être le système judiciaire du pays et toutes ses institutions, la policière avant tout.
Arpád Soltész est journaliste d'investigation, il a notamment travaillé sur le crime organisé et son infiltration dans la société et politique slovaque, il sait ainsi de quoi il parle. Ce qui rend ce roman d'autant plus effrayant. D'autant que l'auteur a particulièrement soigné ses avertissements pré narratifs afin d'éluder toute forme de doute pour les éventuels mafieux/voyous de tout acabit qui se reconnaîtraient. J'ai eu envie de la joindre ci-dessous, car la dérision et le sarcasme envers d'éventuels bras armés y sont particulièrement goûteux, l'herbe est coupée sous le pied de façon assez monumentale et fracassante, j'en ris encore.
Nous voilà au milieu des années 1990, après la séparation d'avec sa sœur tchèque en 93, la Slovaquie est devenue une république indépendante aux mains des Oligarques, qui ici aussi en ont profité pour mettre la main sur les richesses du pays au passage de la privatisation, et autres mafieux en tout genre. C'est à Košice, ville historique de l'est du pays, que l'on retrouve le vieux briscard Miki Miko, désabusé, qui a pour partenaire un jeune lieutenant Molnàr, plein d'illusions et d'ambitions.
On ne fait pas dans la dentelle avec l'auteur slovaque, d'ailleurs les mafieux slovaques ne sont pas non plus des champions de la modération et du respect des lois : la violence y est diffuse, incrustée dans chaque recoin du roman, à chaque ligne du récit et d'héroïne, infusée dans chaque verre d'alcool, de gramme de vodka, de tasse de café bus, ingurgités par les têtes pensantes, les bras agissants d'un côté comme de l'autre de la loi. Les deux pages de prologue s'apparentent à un apéritif plutôt costaud, on nous y dévoile du destin de l'un des deux policiers : on encaisse, comme un coup dans le plexus, il nous faut habituellement plusieurs chapitres pour en arriver à la mort d'un des protagonistes. Ici, c'est façon mafia, tout de suite et maintenant, pas de retour en arrière, pas d'oubli, ni de pardon. Trois chapitres se partagent le roman : d'abord Moly, surnom du lieutenant Molnàr, puis Miki, Schlezi, de Schlesinger, le journaliste complice de Miki. La rime des diminutifs des trois individus, deux policiers, un journaliste, amplifie leur similarité, la façon dont les groupes mafieux ont directement influencé sur leur vie d'une manière ou d'une autre mettant fin à l'existence de l'un, l'histoire d'amour de l'autre ou encore à la carrière de l'autre.
C'est dur, c'est violent, ce n'est pas le meilleur côté de la Slovaquie qu'Arpád Soltész nous dévoile là, parfois un peu confus, les morts, les armes, la drogue, l'argent et l'alcool finissent par nous monter à la tête, un mélange qui brouille le cerveau, et la vue, brise les rêves : il faut avoir les reins sacrément solides pour s'être sorti indemne de ce milieu comme Arpád Soltész a pu le faire, en tout cas, il en est resté marqué. Le cumul provoque, volontairement, une ivresse chez le lecteur, bouffi de cette même violence qu'il lit et absorbe, à sa façon, dont est saturé son esprit, comme les innombrables verres d'alcool, les lignes de poudre blanche, les autres drogues en tout genre. Tout est en excès dans le monde qu'Arpád Soltész nous décrit, les frontières entre mafieux et policiers sont totalement abolies, les derniers se mettant au service des premiers pour garder un semblant d'autorité. Tous les repères sautent dans le monde qui semble imprégner l'auteur slovaque jusqu'aux moindres pores de la peau, les policiers apparaissent une prolongation du pouvoir mafieux, sauf quelques fortes têtes qui ont le cuir dur, qui s'acharnent, quitte à sacrifier leur vie personnelle, en utilisant les mêmes méthodes que ces mafieux. [...]
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