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Gwangju, mai 1980. Après la répression sauvage par la junte militaire du mouvement étudiant démocratique, un jeune garçon erre parmi les morgues improvisées disséminées dans la ville, à la recherche de ses camarades. Mais ce jeune homme, sous la plume de Han Kang, se révèle être une âme perdue, en quête de son propre corps assassiné.
Dans un style pur et éthéré, Han Kang nous offre un roman, qui a une double résonnance :
Elle rend hommage aux martyrs du coup d'état militaire et à la fois se positionne politiquement face à la résurgence des vieux mouvements totalitaires : l'actuelle présidente de la République de Corée étant la fille de l'ancien dictateur militaire.
Le garçon du revient est à la fois un roman bouddhiste et politique., spirituel et engagé.
Ce roman est le deuxième texte que je lis de cette auteure coréenne (dans le cadre de mon challenge année de la Corée). J’avais lu et apprécié « Pars, le vent se lève ». Il y avait beaucoup de poésie dans ce texte. « Celui qui revient » est très différent mais j’ai ressenti du plaisir à le lire, malgré un sujet et thèmes très difficile. L’auteure nous décrit une période sombre de l’histoire de la Corée. En mai 1980, en Corée du Sud, une insurrection s’st déroulée et la répression des manifestations a été très violente. Ce pan de l’histoire de ce pays a alors été occulté et une chape de silence s’est abattue sur les victimes. L’auteure décide alors de nous raconter cette quête sur ces victimes. Un texte polyphonique nous permet de découvrir les journées où se sont passées ces événements. Que ce soit du point de vue d’un jeune lycéen, d’une jeune femme qui est devenue traductrice et décide de raconter son arrestation et emprisonnement. Ce texte parle d’événements tragiques, des images fortes jalonnent le texte, que ce soit les manifestations réprimées dans la violence, des séances de torture subies par les prisonniers. Mais il y a aussi des moments tranquilles et il y a surtout un hommage à la résilience de victimes ou parents des victimes/ Comment et peut-on continuer à vivre après avoir vécu de tels événements. Bien sûr, on est en Corée mais ce roman-récit a une portée universelle car de tel événement ont et peuvent se passer dans n’importe quel coin de la planète. A nouveau un roman qui m’a beaucoup impressionné et cela grâce à cette année de la Corée, manifestation si discrète, malgré la venue d’auteurs lors du salon du livre de Paris. En tout cas, des auteurs à découvrir. « Si l’été que je venais de connaître était la vie, si le corps souillé de sang, de pus, et de sueur était la vie, si les secondes qui ne s’écoulaient pas malgré les supplications, si les moments où, tenaillé par une faim humiliante, je mâchais du soja avarié, c’était la vie, la mort devait être comme un coup de pinceau qui faisait disparaître tout cela. » (p129)« L’homme est-il cruel ? Par nature ? Ce que nous avons vécu, relève-t il d’une expérience banale ? Vivons nous dans l’illusion de notre dignité alors que nous pouvons à tout moment nous transformer en moins que rien, un insecte, une bête, une masse de pus et de suint ? Etre humilié, blessé, tué, est-ce là le destin de l’homme tel que le démontre l’histoire ? » (p140)« Quand je pense aux dix jours de cette ville, je vois l’instant où une personne battue à mort ouvre grands les yeux. L’instant où elle fixe son bourreau, en écartant ses paupières lourdes, en crachant le sang et les morceaux de dents qui remplissant sa bouche »
Il y a ceux qui lavent les corps ensanglantés, ceux qui notent une descriptions détaillées des cadavres sur de petites fiches pour permettre une identification, ceux qui entreposent les cercueils, font brûler une bougie, chantent l'hymne national, ceux qui cherchent parmi les corps un ami, un, fils, une sœur. Il y a ceux qui continuent la lutte, armés d'un fusil dont ils ne sauront ni ne voudront se servir et ceux qui sont morts, tombés sous les coups des militaires, qui n'auront d'autre tombe qu'un immense charnier incendié à grosses lampées d'essence. Et il y a ceux qui n'ont pas eu la chance de mourir sous les coups ou les balles, ceux-là, dangereux activistes, ''putes rouges'', terroristes, vont découvrir la promiscuité, la faim, la torture qu'on n'oublie jamais, la peur qui s'incruste dans tous les pores, les souvenirs qui restent gravés pour toujours dans la mémoire, qui empêchent de vivre, qui conduisent à la culpabilité d'avoir survécu quand tant d'autres sont morts, à l'abrutissement par l'alcool, au suicide. Implacable, la dictature de Chun Doo-hwan soumet, plie, réprime, assassine. La pitié n'existe pas pour ceux qui osent revendiquer plus de droits. Lycéens, étudiants, ouvriers, syndicalistes sont autant de cibles pour une armée sanguinaire, encouragée à la dureté, récompensée pour sa violence.
L'assassinat du dictateur Park Chung-hee en octobre 1979 fait déferler sur la Corée du Sud un vent de liberté et d'espoir. Mais dès le mois de décembre, le général Chun Doo-hwan s'empare du pouvoir par un coup d'Etat et met un terme aux mouvements de démocratisation du pays. En mai 1980, Séoul se révolte contre la loi martiale, suivie par Gwangju, foyer traditionnel de l'opposition démocratique. Ce mouvement populaire est réprimé dans la violence, les militaires allant même jusqu'à contenir la foule au lance-flammes. Etudiants, syndicalistes et citoyens sont massacrés, les manifestants armés sont emprisonnés dans les pires conditions et torturés quotidiennement.
C'est cet épisode douloureux de l'Histoire coréenne que Han Kang raconte dans Celui qui revient. Inspirée par l'histoire de Tongho, un lycéen, exécuté alors qu'il sortait les mains en l'air de la sous-préfecture avec d'autres jeunes, elle raconte les quelques jours de mai 1980 où Gwangju, isolée du reste du pays, a été mise à feu et à sang par des militaires fortement encouragés par le pouvoir en place à user de tous les moyens pour anéantir les rebelles. Elle évoque ainsi tous les martyrs qui sont tombés pour la cause qu'ils défendaient, ainsi que les survivants marqués à jamais dans leur chair et dans leur cœur par les horreurs de ce printemps.
Et c'était il y a 30 ans à peine...Les plaies ne sont pas encore refermées et pourtant la Corée est devenue une puissance économique, un pays de progrès, une démocratie qui tente d'oublier un long passé de violence et de souffrance.
Ecrit dans une langue dépouillée, parfois elliptique, cet hommage à tous ceux qui ont combattu pour la démocratie s'interroge de manière fort juste sur la bestialité de l'Homme, sa capacité à faire la mal, mais aussi son âme, pure et innocente. Un très beau livre qui ouvre une page de l'Histoire coréenne que l'on connaît peu sous nos cieux.
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