"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Sur le front allemand, au printemps 1945 : la guerre ne laisse que mort et destruction dans son sillage. Pour échapper à l'horreur du présent, Al, soldat américain, seul rescapé de son unité, se plonge dans les souvenirs de sa vie new-yorkaise.
Fils d'immigrés allemands, né aux États Unis, il n'a pas dix ans quand, en une nuit, sous l'oeil satisfait de ces Américains anti-étrangers, il perd ses parents et son foyer dans un terrible incendie. Tournant le dos à ses origines, Al n'a pas d'autre choix que de vivre dans la rue ; il devient Bootblack, un « cireur de chaussures ». Avec son ami Shiny, ils parviennent tant bien que mal à survivre en se serrant les coudes. Six ans plus tard, en 1935, ils font la rencontre de Buster et de l'ambitieux Diddle Joe. Et puis, il y a Maggie, cette fille dont Al est amoureux et dont il souhaite ardemment gagner l'estime. Et ce, même si elle lui fait bien comprendre qu'ils ne vivent pas dans le même monde.
New York n'offre aucun avenir pour les miséreux, Al l'a bien compris. Il est donc bien décidé à gagner plus d'argent, quels qu'en soient les moyens. Mais il n'imagine pas, alors, que la guerre qui menace lui donnera bientôt rendez-vous avec son passé...
En 1945, sur le front en Allemagne, un jeune G.I erre au milieu des corps de ses camarades et se souvient de son enfance new-yorkaise. Fils d’immigrés allemands, le jeune Altenberg s’est brusquement retrouvé orphelin à dix ans, en 1929, quand sa famille a péri dans l’incendie des baraquements du Lower East Side qui leur servaient de logements.
Pour survivre, il devient« bootblack », cireur de chaussures, dans un pays en pleine dépression. Il grandit en compagnie de Shiny, un autre enfant des rues en admirant sa belle voisine Maggie la fille du fruitier d’à côté qui l’ignore car ils ne sont pas du même monde. Quand, en 1935, les deux garçons font la connaissance d’un jeune pickpocket, Joseph « Diddle » Bazilsky, Al qui se fait désormais appeler Al Chrysler, décide de s’associer avec lui pour sortir du bourbier et conquérir sa belle…
Après son superbe diptyque "Giant" qui racontait la vie des ouvriers immigrés « célibataires économiques » qui bâtissaient les gratte-ciels new-yorkais dans les années 1930, Mikaël poursuit cette geste avec une seconde histoire en deux volumes. Il ne s’agit pas vraiment d’une suite mais on y trouve des rappels de l’histoire précédente : ainsi, Al et son camarade Shiny apparaissaient en figurants dans le tome 2 de "Giant" et indiquaient au mafieux Frankie et à son homme de main Vito où se trouvaient leurs protégées et l’on retrouve également le duo de malfrats dans ce nouvel ouvrage ; de même l’un des migrants de "Giant" racontait l’histoire du petit garçon devenu muet après avoir assisté à la mort de sa mère renversée par un tramway et ce petit garçon, William alias Buster, occupe une place clé dans ce 1er tome de "Bootblack" puisqu’il fait partie de la bande des « loups de l’East river » que dirige Al.
Mais, là où "Giant" s’appuyait sur une photo célèbre « Lunch at top of a skyscraper », allant jusqu’à en retracer la genèse imaginaire avec le personnage de la photographe, "Bootblack" s’ancre davantage dans notre imaginaire collectif et notre représentation des années 30 et de la grande pomme façonnée par des références plus cinématographiques. On retrouve ici, en effet des clins d’œil à "Des hommes sans loi" de John Hillcoat mais surtout à l’épopée de Sergio Leone "Il était une fois en Amérique" : le voisin des parents d’Alterberg s’appelle Bercovicz comme le personnage de Max dans le film, les adolescents épient les danseuses du club d’à côté par une fente dans la cloison comme David (De Niro) espionnait Deborah et surtout l’album raconte également la naissance d’une amitié et d’une rivalité amoureuse en se situant au même endroit, le quartier de Fulton Market près de L’East river.
Mikael utilise enfin, comme le cinéaste, une narration éclatée qui mélange les époques (1945, 1929, 1935) et donne une véritable originalité et son album. En effet, il met ainsi en place une redoutable mécanique narrative. Un peu à la manière du chœur antique au début de "La Machine infernale" de Cocteau, le protagoniste dans le cadre désolé de la guerre, nous avertit dans son récitatif que tout finira mal. Dès lors la tragédie n’a plus qu’à se dérouler sous nos yeux. Ainsi, chaque fois que dans l’adolescence du héros, l’espoir naît et l’optimisme prend le dessus (dans une palette de jaunes mordorés ou de vieux rose dans les pages consacrées à Maggie), on observe un retour au vert de gris et aux fonds blancs de la guerre en 1945. Ces couleurs vertes « contaminent » d’ailleurs les pages-paysages de New-York et en font une vaste prison et un champ de bataille par avance. Dans Giant, on « côtoyait les nuages » et il y avait de nombreuses scènes en intérieur. Ici tout ou presque se passe dehors ; nombre de plans sont à hauteur d’homme ou plutôt à ras de trottoir.
La magnifique couverture en témoigne d’ailleurs puisqu’on y observe un enfant à genoux, véritable esclave moderne, travaillant pour un salaire de misère (indiqué en gros : 10 cents). Il a le regard baissé, des souliers crottés, évolue dans un environnement insalubre (pot d’échappement, papiers gras, humidité) dans une antithèse parfaite avec l’adulte aux chaussures rutilantes et à la grosse voiture occupé à lire son journal. Le côté écrasant de New-York, « la monstrueuse cité » (p.8) se retrouve dans la contre-plongée sur les immeubles et surtout dans le reflet sur la flaque d’eau : il n’y a aucun horizon au propre comme au figuré.
Alors que "Giant" se déroulait de façon linéaire et adoptait un rythme lent propice à narrer le quotidien répétitif et désabusés des ouvriers ; celui de "Bootblack" est plus trépidant, plus saccadé à l’image de ces jeunes gens qui veulent croquer la vie et croient encore au rêve américain. Il y a davantage de violence avec l’évocation des gangs et des rivalités ethniques et l’on passe de la chronique sociale du premier opus au thriller. Grâce aux flash-backs et aux ellipses, on est, enfin, souvent dans l’implicite. Le lecteur doit être aux aguets, attentif aux moindres détails et élaborer des hypothèses pour résoudre des énigmes pour l’instant sans réponse : qui est ainsi l’homme mystérieux à la Rolls-Royce qui fait surveiller Al par son chauffeur ? La Margaret des dog tags des scènes d’ouverture et de clôture est-elle la Maggie du héros ?
On retrouve ainsi dans ce deuxième diptyque de ce qui s’annonce comme « la trilogie new-yorkaise » de Mikael la même signature graphique (les noirs profonds, l’encrage brut et brossé, les magnifiques camaïeus de couleurs et les cadrages cinématographiques) mais ce dernier est davantage abouti que Giant dans sa construction narrative et surtout dans le portrait de personnages moins manichéens et plus fouillés : que ce soient Al, Joe ou encore Maggie tous sont porteurs de secrets et de contradictions.
Une vraie grande réussite !
Voilà un Tome 1 qui donne envie de lire le tome 2 !
L’histoire d’un orphelin, cireur de chaussures, dans les rues de New-York entre 1935 et 1945. Entre débrouille et magouilles, le désir de sortir de sa condition...
J’ai beaucoup aimé
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