Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Elève consciencieux et intelligent, Antoine Bloyé ira loin. Aussi loin que peut aller, à force de soumission et d'acharnement, le fils d'un ouvrier et d'une femme de ménage.
Ce n'est que parvenu au faîte de sa dérisoire ascension sociale qu'Antoine Bloyé constatera à quelles chimères il a sacrifié sa vie...
Dans un style dont la sobriété fait toute la puissance, Antoine Bloyé constitue un portrait féroce des moeurs et des conventions de la petite bourgeoisie de la IIIe République.
Comme il pourrait être tentant d’affirmer de façon péremptoire qu’il n’y a rien à dire d’Antoine Bloyé, employé consciencieux de la compagnie des chemins de fer à l’ambition modeste et raisonnable, mari sans grande passion ni grandes exigences, père à la présence discrète mais non distante, modèle même , donc, de cette classe entre deux eaux que l’on appelait alors « la petite bourgeoisie », sorte de no mans land un peu fadasse hésitant entre une classe ouvrière gagnant sa vie les mains dans le cambouis et la caste inatteignable de ceux qui les glissent dans des gants de prix , les « Grands Bourgeois ». Ce serait oublier un peu vite qu’il est le personnage central du premier roman de Paul Nizan, né avec le XXème siècle et mort de sa deuxième guerre mondiale, façonné à la philosophie et à l’engagement politique comme à la littérature et au journalisme, à l’image de celui dont il partagera un temps la « thurne », Jean-Paul Sartre. C’est sans doute pour cette raison que l’on sentira affleurer, sous les émanations désuètes qu’exhale par bouffées ce romans comme une savonnette de vieille dame le parfum de violette , la profonde mélancolie d’un homme qui voit sa vie échapper à sa propre volonté et filer entre ses doigts avec une rapidité qu’il n’avait ni anticipée, ni mesurée. Comme tout un chacun.
Car c’est ce qui touche dans ce roman à la fausse simplicité, à la platitude calculée, à l’angoissante lucidité. Derrière la vie suffisamment neutre, équitablement dotée de petites joies et de grands chagrins d’un Antoine Bloyé, apparait en filigrane ce questionnement philosophique qui ne manque pas nous tarauder tous d’une voix plus ou moins forte selon que le bruit et l’agitation de notre propre existence se font plus ou moins envahissants : que ferai-je, que fais-je, qu’ai-je fait de ce temps de vie qui me sera , m’est ou m’a été donné ? C’est d’une beauté pure et triste, un peu comme un mois d’octobre dont le soleil ne fait que souligner l’éclat des feuilles qui tombent. A lire avec un moral solide et une tasse de chocolat chaud !
"L'homme qui cherche à s'élever travaille souvent à préparer sa chute."
Alfred Auguste Pilavoine
"Il connaît le prix de la liberté. Il sait déjà que tout se paie, le repos par la peine, la liberté par les coups, l'amour par l'ennui et la vie par la mort."
"Antoine Bloyé" est le 1er roman (1933) de Paul Nizan qui jusqu'alors avait publié des essais et des pamphlets rendant compte de l'engagement politique, dénonçant la société coloniale, l'aliénation sociale et la bourgeoisie sous la IIIe République.
"Dans les journaux de la ville, dans le Populaire, dans le Phare, on lisait :
Ont la douleur de vous faire part de la perte cruelle qu'ils viennent d'éprouver dans la personne de leur fils, mari, père, décédé dans sa soixante-troisième année.
Monsieur Antoine Bloyé,
Ancien Ingénieur aux Chemins de fer d'Orléans,
Officier de l'Instruction Publique.
Les obsèques auront lieu le jeudi 15 courant, à l'église Saint-Similien, sa paroisse. On se réunira à la maison mortuaire, 19, rue George-Sand, à 15 heures."
Nantes. À l'aube des années 1930. Antoine Bloyé vient donc de s'éteindre dans son lit. À 63 ans. Il laisse une épouse, Anne et un fils, Pierre. Sa fille aînée, Marie-Antoinette, enfant délicate, est morte à 6 ans. Après la veillée funèbre et le passage glacé par un cimetière qui l'est tout autant en compagnie de quelques-unes de leurs connaissances de la petite-bourgeoisie provinciale, le narrateur nous ramène à la vie d'Antoine Bloyé dont le terme vient rappeler que toute dette doit s'acquitter :
"Rien ne se perd finalement des comptes qui sont établis dans le monde."
On comprendra a posteriori, la dernière page tournée, que tout le roman repose sur un scrupuleux bilan comptable dont les colonnes crédit et débit trouvent un équilibre fragile dès lors que chaque degré gravi dans la société s'accompagne immanquablement, comptablement, d'un reniement douloureux de ses origines et de ses rêves.
"Trois ans d'école, dix-sept et trois font vingt… Vingt ans. Si je dure jusqu'à soixante ans, c'était le tiers… il me restait deux tiers de vie… Un an de Montpellier, vingt et un ans… Six ans de chemins de fer, sur les machines… Vingt-sept ans, j'étais marié… Ma fille est morte quand j'avais trente-cinq ans… Nous sommes en 1905, j'ai quarante ans, j'aurai quarante et un ans le mois prochain… Terrifiant…"
Le parcours d'Antoine, fils d'un facteur à la gare d'Orléans, "un homme pauvre ; il connaît qu'il est attaché à une certaine place dans le monde, une place décrétée pour la vie entière, une place qu'il mesure d'avance comme une chèvre attachée mesure l'aire ronde de sa corde" et d'une femme de ménage qui parle le patois et ne sait pas lire, se confond avec la révolution industrielle alors à son apogée à la charnière du XIXe et du XXe siècles.
Le fils d'Antoine Bloyé s'interroge :
"En somme, quel homme était donc mon père ?"
Ce récit de vie sobrement écrit à la 3e personne se garde, avec autant de bonheur que d'adresse, des effets pompeux. Point de lamentations pathétiques ni de récriminations vociférantes portées par une écriture empesée qui se fourvoierait dans des détails abscons. Bien au contraire, l'écriture de Paul Nizan, qui signe ici le roman du père, tire sa force de sa simplicité. Car oui, "Antoine Bloyé" emprunte beaucoup à la vie du père de l'auteur sans être strictement autobiographique ; cet éloignement aidant à la lucidité qui raconte sans fard l'envers du décor de l'ascension sociale et l'inhérent changement de classe.
Élève brillant qui décroche une bourse pour intégrer l'École des arts et métiers d'Angers, Antoine va quitter les bords du Blavet, et tourner le dos à l'insouciance de l'enfance et à sa classe d'origine pour gravir, avec une application patiente et dévouée, les marches de la réussite sociale.
"Comment se refuseraient-ils à abandonner le monde sans joie où leurs pères n'ont pas eu leur content de respiration, de nourriture, le content de leur loisir, de leurs amours, de leur sécurité ?"
Il ne sera pas un ouvrier aigri - non pas lui ! - il sera de ceux qui agissent en tentant de déciller les yeux de leurs congénères
"Un jour, dans la cour des chantiers, il monte sur un tas de poutrelles au moment de la sortie et il parle à ses compagnons de la nécessité de faire grève."
... avant de renoncer. Cet essai non transformé lui ouvrira néanmoins les portes tranquilles d'une promotion sans éclats, comme allant de soi. Maintenir l'équilibre, encore, entre aspiration et quotidien.
"II n'avait pas assez d'imagination pour se décrire son avenir, il adhérait à la vie présente. Il ne pensait pas au lendemain."
Autre tentative avortée, celle de goûter au plaisir et à la liberté dans les bras de Marcelle, accorte et peu farouche tenancière de bistrot
"Marcelle, le refus de parvenir, c'est le côté du grand vent, une marche difficile […]"
auxquels, avec une prudence résignée, il préfèrera l'ennui feutré au côté d'Anne Guyader, jeune fille de bonne famille qui a vu en Antoine un moyen de quitter le foyer familial sans déchoir.
"Anne, c'est le côté abrité du monde, le coton de la paix, l'air étale, les bons sentiments et l'approbation du père, de ses chefs, c'est le côté de l'ordre."
Il lui faudrait être bien dupe pour ne pas sentir "qu'un piège de tranquillité, d'avenir se tissait autour de lui."
Tourné tout entier vers son métier dans cette usine, "le séjour de son importance", où
"Antoine n'avait pas de loisirs pour d'autres mouvements humains que les mouvements du travail. Comme tant d'hommes, il était mené par les exigences, les idées, les jugements du travail, il était absorbé par le métier. Point d'occasion de penser à soi, de méditer, de se connaître, de connaître le monde. […] Pendant quatorze ou quinze ans, il n'y eut pas d'homme moins conscient de soi et de sa propre vie, moins averti du monde qu'Antoine Bloyé."
employé fiable et apprécié, Antoine va aller au gré des promotions vers des villes de plus en plus grandes, occuper des maisons de plus en plus cossues, élargir son cercle et fréquenter des personnes de plus en plus en vue. Cependant, gardant la conscience aiguë d'où il vient, il s'élève autant qu'il s'écartèle,
"Il y avait une résistance dans Antoine qui l'empêchait de franchir certains pas."
contrairement à son épouse qui, née dans cette société, aimerait recevoir la bourgeoisie provinciale ; exposer son train de vie n'est-il pas le plus sûr marqueur de la réussite sociale ?
"Anne avait choisi un jour pour "recevoir", le deuxième vendredi de chaque mois : cette cérémonie avait marqué pour elle une étape de son progrès social."
Mais ce monde-là n'est pas celui d'Antoine. le travail reste son seul équilibre et lui offre, selon toute apparence, la reconnaissance d'un monde auquel, il le sait, il n'appartient pas. C'est qu'Antoine n'a jamais tout à fait réussi à accepter la promotion sociale à laquelle il a pourtant oeuvré des années durant, partant en vacances au bord de l'océan à Quiberon, "un mois arraché à l'existence du travail" à "cette vie des usines, une erreur irréparable dont personne ne s'apercevait", peinant à goûter avec son fils des moments complices où il se sentirait enfin "sans failles et sans contradictions."
Mais les questions macèrent :
Où est sa place ? Se serait-il perdu en chemin ?
Qui a-t-il trahi ? son père ? alors que dès le départ il avait "sent[i] un commencement de séparation, il n'[était] plus exactement de leur sang et de leur condition, il souffr[ait] déjà comme d'un adieu, comme d'une infidélité sans retour."
Les fils doivent-ils venger leur père ? son fils, Pierre, le vengera-t-il ?
Est-il un imposteur ? un transfuge ?
"Il vivait sans doute, qui ne vit pas ? Il suffit d'avoir un corps bien étanche pour imiter les attitudes de la vie. Il agissait, mais les ressorts de sa vie, les mobiles de son action n'étaient pas en lui. L'homme ne sera-t-il donc toujours qu'un fragment d'homme, aliéné, mutilé, étranger à lui-même ?"
La transgression, la trahison du milieu d'origine appellent-elles une punition ? Y a-t-il là une faute à expier ?
Voilà qui me remet en tête une phrase trouvée dans "Fief" de David Lopez : "Réussir, c'est trahir."
Il semblerait que oui.
Un presque rien va faire sortir Antoine des rails sur lesquels sa vie filait, lui échappait depuis des années, alors qu'il n'avait eu, légitimement, que "les ambitions des jeunes gens [qui] sont bien souvent limitées au désir de dépasser leur père."
Il suffira que le dévoué Antoine Bloyé soit convaincu d'une seule faute pour que se rompe l'équilibre et s'amorce la dégringolade.
"— Bloyé, tu ne savais donc pas ? Mais il a eu une sale histoire, il a été envoyé en dégringolade, je ne sais pas trop oui [...]
Dégringolade, c'était le mot qu'ils employaient, c'était presque un mot de métier, comme les militaires disaient limoger. C'était cela : une chute."
Viendra alors le temps d'avoir le temps, celui entre autres de dresser un bilan introspectif
"Toutes les eaux vont à la mer, toutes les épaves vont aux abîmes, - ces choses arrivaient parce qu'une des barrières qui lui avaient caché la mort, le néant, s'était abattue, la barrière sociale de l'orgueil, la barrière du métier, parce qu'il avait eu un jour un avertissement du côté du coeur, pour si peu…"
de cette vie ordinaire, courageuse, mais aliénante. Antoine Bloyé a oublié de vivre.
"Il y avait des moments où il aurait voulu abandonner cette existence qu'il menait, pour devenir quelqu'un de nouveau, quelqu'un d'étranger, qui serait vraiment lui-même. Il s'imaginait, tout seul, perdu, comme un homme qui n'a pas laissé d'adresse, et qui fait des choses et qui respire."
Terrible.
Qu'importe que Paul Nizan ait écrit ce roman en 1933. Beaucoup ont dit qu'il a su saisir une époque et ses contemporains, et c'est vrai que les chamboulements qu'a connus la société du début du XXe siècle sous la IIIe République y sont formidablement croqués.
Je termine ma lecture en saluant la richesse de la réflexion qui m'est proposée :
• "Antoine Bloyé" est-il le récit d'une ascension sociale que l'ingratitude de la hiérarchie fauche en plein élan ?
• celui d'une trahison de classe ? du père ?
• celui de la chute attendue/convenue/programmée d'un homme venu du prolétariat et que les petits-bourgeois n'ont jamais reconnu comme un des leurs et aux yeux desquels il n'a pas existé ou si peu ?
• dégringoler était-il, au final, son inéluctable destin ?
Cette biographie du père, écrite dans une langue dont les phrases simples rehaussées de moments poétiques font toute la beauté, est un hommage digne à un homme qui n'avait que son instruction et sa vaillance pour s'élever par le travail et entrer dans un monde qui ne pouvait être le sien. J'admire, au passage, que la violence de la chute de cet employé modèle ne donne pas lieu à un déferlement d'amertume abreuvé par une écriture revancharde.
Enfin, eu égard aux remarquables qualités intrinsèques du récit et de l'écriture de Nizan, je m'abstiendrai de faire la comparaison avec les romans d'Émile Zola qui confessait,
"J'ai l'hypertrophie du détail vrai, le saut dans les étoiles sur le tremplin de l'observation exacte. La vérité monte d'un coup d'aile jusqu'au symbole."
Car si à la lecture d'"Antoine Bloyé", on a une pensée, bien sûr, pour le maître de Médan, la langue de Nizan, elle, est d'une militante sobriété. Nulle hypertrophie. Pour le meilleur d'un roman qui sonde des sujets (relation du fils à son père, aliénation sociale, lutte des classes, etc.) toujours d'actualité sous notre Ve République.
"La vie est bien une lutte quand même, tu sais…"
Lu pour la sélection anniversaire 5 ans des #68premieresfois
https://www.calliope-petrichor.fr/2020/08/13/antoine-bloyé-paul-nizan-éditions-grasset/
Avec Antoine Bloyé, Paul Nizan a écrit le roman de la trahison. Mais aussi un traité sur la lutte des classes, un essai sur la relation père-fils et un cri de révolte qui n’a rien perdu de son actualité.
La mort, omniprésente de ce livre et dans l’œuvre de Paul Nizan, se devait d’accueillir le lecteur dès les premières pages du livre. C’est donc sous la forme d’un faire-part de décès que nous faisons connaissance de l’homme qui sera au cœur de ce roman: « Dans les journaux de la ville, dans Le Populaire, dans Le Phare, on lisait: ont la douleur de vous faire part de la perte cruelle qu'ils viennent d'éprouver dans la personne de leur fils, mari, père, décédé dans sa soixante-troisième année.
Monsieur Antoine Bloyé, Ancien Ingénieur aux Chemins de fer d'Orléans,
Officier de l'Instruction Publique. Les obsèques auront lieu le jeudi 15 courant, à l'église Saint-Similien, sa paroisse. On se réunira à la maison mortuaire, 19, rue George-Sand, à 15 heures. »
Pour accompagner le défunt à sa dernière demeure, on trouve au premier rang son épouse Anne et son fils Pierre, témoins et héritiers d’une histoire qui aurait pu être belle, si le tragique ne l’avait rattrapée en chemin. Car Antoine a grimpé les échelons les uns après les autres, fils de prolo, il a travaillé et réussi un beau parcours scolaire, même si dès la première année de collège, il a compris qu’il ne faisait pas partie du même monde que les enfants de notable qu’il côtoyait alors, comme le fils du commandant Dalignac. À partir de ce moment, il est confronté à un terrible dilemme. Plus il va grimper et plus il va sentir qu’il passe d’une autre – mauvais – côté. Qu’il trahit les «siens». Un malaise qui ne va cesser de grandir et qui va entraîner Antoine vers une douloureuse remise en cause lors de déambulations solitaires.
Ce que décrit très bien le roman trouvera plus tard une traduction politique tranchante faite par Nizan lui-même: «la culture bourgeoise est une barrière. Un luxe. Une corruption de l'homme. Une production de l'oisiveté. Une contrefaçon de l'homme. Une machine de guerre.»
Dans son éclairante préface, Anne Mathieu, co-fondatrice du Groupe Interdisciplinaire d'Études Nizaniennes, appuie où cela fait mal: «en nous faisant partager ses espoirs, ses doutes, ses regrets, en décrivant les moindres méandres de ses pensées, Nizan donne au problème de l'héritage culturel prolétarien et de l'oppression culturelle bourgeoise une prégnance rude, froide, quasi physique, dans laquelle le lecteur est entraîné avec malaise.» Avant d’ajouter que ce roman terriblement noir «appelle à la révolte. Contre la mort, contre la bourgeoisie, contre cette société où l'on ne promet que le conformisme des machines, contre ce monde du scandale où l'homme se perd.»
Si la minutie des descriptions peu ennuyer un lecteur d’aujourd’hui, la force du message n’a elle rien perdu de son actualité, plus de 150 ans après. Le combat pour faire de la devise de notre République une réalité trouve – surtout en période de crise – un écho immédiat. Si les rêves des communistes se sont effondrés avec la chute des régime si prétendaient les incarner, l’envie de davantage de liberté, d’égalité et de fraternité persiste.
https://urlz.fr/dCsT
Les 68premiéresfois fêtent les 5 ans de cette aventure : découvrir des premiers romans mais aussi au fils des années des seconds romans. Pour son cinquième année, une sélection de premiers, deuxièmes romans et des conseils de lecture de primo écrivains. C'est ainsi que j'ai découvrir le roman de Paul Nizan. Antoine Bloyé est un roman social, qui nous raconte l'ascension sociale d'un jeune garçon. Il monte dans l'échelle sociale grâce à l'instruction publique et de simple ouvrier à la compagnie des chemins de fer il va devenir chef d'atelier et devenir un chef et un petit bourgeois dans une petite ville de province. Mais le déterminisme social existe et demeure le plafond de verre, car il ne se sentira jamais accepté par la bourgeoisie provinciale. Et regrettera parfois sa position de chef face à la solidarité des ouvriers en particulier lors de mouvements de grève. J'ai été émue à la lecture de certaines pages, en particulier sur le travail à la compagnie des chemins de fer. Arrière petite fille, petite fille et fille de cheminot, certains épisodes résonnent dans des souvenirs familiaux. Avec une belle écriture, cette lecture est un plaisir même si cela n'est pas gai et que c'est malheureusement toujours d'actualité. Paul Nizan parle très bien de l'évolution de la société, de la vie rurale à la vie urbaine, le long des lignes de chemins de fer, du développement de l'industrialisation, de l'évolution sociale et des moeurs. Un texte qui m'a incité à continuer la découverte de cet auteur, dont je pense qu'il fait partie des écrivains un peu oubliés de la littérature française. M'a donné envie aussi de relire certains romans de Zola, d'Aragon et d'auteurs de cette époque, qui nous parle du début du 20e siècle et des changements d'époque.
La question des transfuges de classes fait régulièrement l’objet d’articles, reportages télévisés, études sociologiques : quels sont les marqueurs du passage d’un monde économique et culturel à l’autre ? Comment le vit-on ? Passer du monde des pauvres à celui des riches, est-ce trahir ses origines ? Rester dans son monde d’origine, est-ce une garantie de bonheur ?
Le roman de Paul Nizan ne répond pas directement à ces questions mais les évoque de façon subtile, et oblige le lecteur/la lectrice à se les poser.
Il fait entrer dans le corps et l’esprit d’Antoine Bloyé, pur produit de la méritocratie scolaire chère à la IIIe République ; issu de parents qui n’ont pas reçu d’éducation, il est totalement hermétique aux questions de classes sociales, de dominants et de dominés, mais il est fasciné par la vitesse et la technicité de son temps. En même temps que ce jeune homme intelligent accède au savoir et aux études et devient ingénieur ferroviaire, il intègre la bourgeoise provinciale en se mariant dans un monde auquel il n’appartiendra jamais et que Nizan montre comme limité, paisible et hypocrite. Et même si Antoine Bloyé sent bien que quelque chose cloche dans sa vie apparemment empreinte de réussite, il ne pourra jamais mettre le doigt sur ce qui le gêne confusément, au faîte de sa richesse comme au soir de sa vie lorsque sa position sociale aura décliné.
L’écriture est réaliste et précise, parfois froidement rageuse, toujours stylée.
Le roman s’ouvre sur une citation de Karl Marx. Mais selon que l’on croit ou pas à la lutte des classes, que l’on croit ou pas que les révolutions les feront disparaitre, le livre de Paul Nizan se lira comme le roman d’un ascension sociale brisée ou l’inéluctable chute d’un homme du peuple que la bourgeoisie n’a jamais vu comme un de ses fils.
Lu dans le cadre des 68 premières fois, ce livre voyage auprès des lecteurs/lectrices engagé.e.s dans l'aventure.
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