Lumineuse, féminine, intrépide, l'Antigone d'Henry Bauchau nous est peut-être plus présente que celle des dramaturges. Et sans doute fallait-il un roman pour vraiment incarner les passions de la jeune mendiante qui, après avoir suivi son père, le roi aveugle, des années durant jusqu'au terme de son parcours, contre toute prudence prend le chemin de Thèbes avec l'espoir d'empêcher la guerre entre les fils de Jocaste, ses deux frères tant aimés. Commence alors pour elle une suite d'épreuves, de doutes, d'humbles joies et d'inexorables déchirements. Traversée d'épisodes sublimes où resplendissent la beauté des chevaux, l'éclat des armes et la vaine gloire des combats, l'Antigone de Bauchau n'en est pas moins une oeuvre d'écoute et d'attention à la souffrance, qui chante les regrets de l'amour, l'apaisement des blessures, l'ambivalence des désirs, les mystères de la filiation. Dans une écriture limpide, semblant souverainement précéder toute rhétorique, Henry Bauchau traverse les âges de l'humanité jusqu'à atteindre un temps des origines, une matière première des passions et des arts, d'où il fait soudain jaillir cet événement merveilleux : la naissance du théâtre. Par-delà les éblouissements que nous procure parfois la littérature, il y a bel et bien dans ce livre quelque chose d'éternel. Comme est éternelle Antigone, figure laïque et rédemptrice, symbole de paix et de féminité, qui défie les lois viriles de la haine - et nous éclaire depuis des millénaires, face aux millénaires à venir.
A la mort de son père, le roi aveugle Œdipe, Antigone rentre à Thèbes. Après avoir marché dix ans durant avec son père sur les chemins de Grèce, elle doit retourner dans sa ville natale. Sa ville maudite, puisque ses deux frères jumeaux, Etéocle et Polynice, s’en disputent le trône, et que l’affrontement mortel se rapproche inexorablement. Etéocle occupe le pouvoir, mais Polynice, le traître banni, marche sur la ville avec une armée. La guerre menace, Antigone le sait, et veut tout faire pour empêcher ses frères tant aimés de s’entretuer. Elle sait aussi qu’elle va échouer, mais elle n’a pas le choix, en tant que sœur il lui est impossible de prendre parti pour l’un d’eux ou de les laisser se déchirer, son destin lui commande de s’interposer.
Fraîchement accueillie à son retour à Thèbes, elle y trouve néanmoins sa place, s’occupe de soigner et nourrir les miséreux de la ville. Elle tente une médiation entre ses deux frères, en vain. La guerre est là, les frères ennemis se livrent une lutte sans merci dont aucun ne réchappe. Etéocle a droit à tous les honneurs lors de ses funérailles, tandis que le cadavre de Polynice est laissé aux vautours hors les murs de la ville. Créon, leur oncle et désormais roi de Thèbes, a décrété que le traître ne méritait pas de sépulture, et que celui qui tenterait de l’enterrer serait condamné à mort. A nouveau, le devoir et le destin d’Antigone l’appellent ; elle parvient à jeter quelques poignées de terre sur le corps de Polynice, avant d’être arrêtée. Elle s’en justifie devant Créon : « Je ne refuse pas les lois de la cité, ce sont des lois pour les vivants, elles ne peuvent s’imposer aux morts. Pour ceux-ci il existe une autre loi qui est inscrite dans le corps des femmes. Tous nos corps, ceux des vivants et ceux des morts, sont nés un jour d’une femme, ils ont été portés, soignés et chéris par elle. Une intime certitude assure aux femmes que ces corps, lorsque la vie les quitte, ont droit aux honneurs funèbres et à entrer à la fois dans l’oubli et dans l’infini respect. Nous savons cela, nous le savons sans que nul ne l’enseigne ou l’ordonne ». Elle n’attend aucune clémence, aucun secours, elle refuse que ses amis se révoltent contre Créon et que le sang soit versé en son nom, son destin doit s’accomplir.
A l’école, j’avais dû lire l’Antigone de Jean Anouilh quand j’avais 15-16 ans, et cette héroïne au tempérament entier, intègre, idéaliste, qui voulait tout, tout de suite, m’avait alors bouleversée, subjuguée. Avec le roman de Bauchau, le coup de cœur est moins fulgurant, mais tout de même, quel personnage. Et puis la forme du roman, plus longue que celle d’une pièce de théâtre, permet de pousser davantage l’analyse psychologique des protagonistes, et il faut avouer que le mythe d’Œdipe et de sa descendance est un aubaine pour le psychanalyste qu’était Henry Bauchau. Il y a la question fascinante de la gémellité, avec le brillant Polynice, préféré de sa mère Jocaste, et Etéocle, l’éternel complexé, qui n’existe et ne se construit que dans sa rivalité avec son frère. Et Antigone, vouée dès sa naissance à se sacrifier pour les autres sans jamais pouvoir vivre sa propre vie ni tenir compte de ses désirs, d’aimer ou d’avoir des enfants. Infiniment, terriblement seule malgré tout l’amour de sa famille, de ses fidèles amis, de ses soupirants à qui elle s’empêche de céder, parce qu’une force supérieure l’appelle. Et puis il y a le Destin, celui qui s’accomplira quoi qu’on fasse pour le détourner de son cours.
Il y a l’amour et la haine, les deux faces d’une même médaille, indissolublement liées, et qui conduiront Antigone à la mort. Il y a aussi l’opposition homme/femme, l’individuel et le collectif, la politique et le sacré, la filiation et la maternité, l’amour et le renoncement, la force et la fragilité d’une femme. Antigone l’héroïque est amour, passion, désespoir, désirs, féminité, regrets, révolte, impuissance, résignation. Elle porte sa souffrance et celle des autres et son horreur de la guerre, un poids bien trop lourd pour elle, qu’elle dépose dans un dernier cri de rage, avant le silence du tombeau.
L’Antigone de Bauchau est un texte très (parfois trop) lyrique et un peu long. Mais, parsemé de belles fulgurances et de moments poignants, entre noirceur et lumière, il est l’écho d’un cri qu’on entend encore bien après avoir refermé le livre, et le portrait d’un personnage inoubliable.
Être fidèle à ses valeurs qu’en importe le prix. Superbe personnage.
La tragédie Antigone de Sophocle fut réécrite de nombreuses fois par de nombreux auteurs tels que Jean Cocteau et Jean Anouilh en 1922 et 1944. Cependant, à la fin du XXème siècle, un auteur décide de briser les anciennes versions théâtrales et de raconter la terrible histoire d’Antigone dans le style romanesque. Ainsi, Henry Bauchau publie en 1997 une nouvelle réécriture de ce célèbre mythe grec. J'ai eu l'occasion de lire ce bouquin dans le cadre de mes cours, et au départ réticente, je dois avouer que j'en ressors finalement très surprise !
Se déroulant dans la ville de Thèbes en Grèce Antique, Antigone est issue d’une union inces-tueuse entre Œdipe et Jocaste (mère d’Œdipe). De leur union nait également Polynice, Etéocle et Ismène. Au début du roman, Antigone revient d’un périple voyage avec son père Œdipe, qui a été chassé de Thèbes. Ce dernier décédé, Antigone décide de retourner dans sa ville d’origine afin de revoir ses deux frères. Cependant, lorsqu’elle arrive en ville, une nouvelle aventure démarre pour elle. En effet, ses deux frères se disputent le pouvoir, et la société thébaine semble avoir bien changée depuis son départ. Outre cette querelle, Antigone doit également sculpter sa mère et ses frères après une demande d’Etéocle.
Henry Bauchau a su m'attendrir grâce à sa plume très particulière, et notamment à la place qu’il fait à l’art dans les chapitres. Les couleurs ont une place très importante, et l’auteur réussit à nous délivrer une véritable réflexion de la place de l’art dans la guerre. De plus, son écriture nous présente Antigone comme quelqu’un de très fragile, mais à la fois forte de caractère : son caractère semble évoluer au fil des chapitres, nous laissant peu à peu sombrer avec elle dans sa folie.
Ce livre est un véritable bijou, et les amateurs de mythologie antique y trouvent tout leur bon-heur. La forme romanesque permet au lecteur de découvrir une nouvelle facette de l’histoire d’Antigone, et facilite la compréhension de ce mythe. Ainsi, la modernité de l’écriture de Bauchau nous enivre peu à peu, et sa simplicité rend la lecture fluide et très agréable. Cette version d’Antigone reste une véritable réussite.
Depuis le temps que je voulais le lire! Quel chef d'oeuvre!!!!
Antigone est un de mes personnages préférés dans la littérature ms grâce à Henry Bauchau , elle a surpassé la version d'Anouilh.
Elle apparaît plus humaine, plus vivante et plus fragile que dans les versions précédentes.
Antigone est un personnage complexe car elle est entière, sans demi-mesure. Son sacrifice sert une cause plus importante, son cri résonne encore même après avoir fermé le livre...
Bien que peu férue de mythologie, je me suis complètement laissée séduire par cette version d’Antigone.
Henry Bauchau a l’art de nous emporter aux côtés d’Antigone, de nous faire partager sa force et ses faiblesse, sa joie et ses doutes, son amour inconditionnel pour ses deux frères.
Rien n’est pesant dans ce roman, ni les descriptions, ni les combats, ni les engagements d’Antigone.
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