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Pour lui qui vivait à gheyt-el-enab, la place manshiyeh lui semblait appartenir à un autre monde.
Car son monde à lui, c'était gheyt-el-enab.
Le vaste espace vide de la place manshiyeh, ses bâtiments élevés aux colonnes éburnéennes, ses rangées de palmiers de belle taille, aux minces troncs blancs et lisses alignés fièrement le long des jardins toujours verts et herbus, le tram qui en faisait lentement le tour, avec ses voitures jaunes étincelantes, les fiacres dont les chevaux à la robe rougeâtre faisaient résonner leurs fers mélodieusement sur la chaussée noire brillante d'humidité, toute cette beauté paisible aux amples proportions avait pour lui quelque chose de fantastique, et d'un peu effrayant, de fascinant aussi, lui qui vivait dans un quartier de petits immeubles de deux ou trois étages tout au plus, construits en général en brique rouge sombre, le long de rues non asphaltées, plantées d'arbres et de jardins d'allure campagnarde.
Il dit: "je ne savais pas que pleurer sur les ruines pouvait être aussi douloureux. " les ruines de l'enfance et de la jeunesse, dont quelques traces subsistent encore, bientôt effacées, et celles du coeur, dont les passions véhémentes n'ont laissé debout que les colonnes, qui ne veulent pas disparaître.
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