"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
"Il n'appréhende pas ce qui se joue, ce conflit qui se réveille, entre la manière dont elle se perçoit et les racines auxquelles on la renvoie, paradoxes multiples qui grondent et bouillonnent en elle."
Ava est née en France, issue d'une famille iranienne exilée. Elle vit depuis deux ans avec Simon, juif ashkénaze et l'accompagne en Israël pour le mariage de l'une de ses cousines. Les voici retenus à l'aéroport Ben Gourion lors du contrôle des passeports, les origines d'Ava entraînant tout un processus de vérifications de sécurité. L'espace de cet interrogatoire qui s'éternise, Ava est soudain mise face à des questionnements latents sur sa double culture, la façon dont elle la constitue. Le couple qu'elle forme avec Simon n'est pas des plus "faciles" d'un point de vue familial, d'un côté comme de l'autre. Les façons d'appréhender l'identité et l'altérité diffèrent selon les générations, les influences, les expériences et cela se ressent très bien à travers le défilement des moments et des situations auxquels Ava repense. Jeune femme discrète, plutôt solitaire, tout en retenue et évitant la lumière, Ava a sans doute été aussi formatée par le regard des autres, celui qui demande de façon insistante d'où l'on vient avec ces yeux et ces cheveux si noirs. L'expérience de Simon est différente, marquée par le témoignage de sa grand-mère déportée mais aussi par un rapport complexe à la judéité. Leur curiosité l'un pour l'autre et pour leurs cultures respectives, leur conscience tranquille des difficultés les ont jusque-là préservés d'incursions plus violentes de la part de l'extérieur. Cet interrogatoire les met face aux réalités et vient s'immiscer dans leur pas de deux.
Qu'est ce qui nous définit ? Que recouvre le concept d'identité ? Qu'est-ce que les autres perçoivent de nous ? Des thèmes inépuisables que Suzanne Azmayesh parvient à éclairer d'une façon originale à travers ce moment suspendu, sorte de parenthèse pleine de menaces et de sous-entendus dont on ne sait jusqu'au bout ce qu'il va advenir. Il ne s'agit pas tant d'apporter des réponses que de cerner la complexité, la subtilité de l'alchimie qui forge un être à travers les âges. Capter les nuances infinies qui mènent du noir au blanc et qui n'ont pas fini de nous interroger. Matière en or pour les romanciers.
Un roman subtil qui a trouvé un bel écho en moi.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
Tour à tour ces trois jeunes femmes prennent la parole ou la plume pour dire ce qu'elles ressentent, ce qu'elles vivent et ce qu'elles désirent. Il y a un peu de désillusion, un peu de cynisme, de l'humour, du détachement, mais aussi une envie folle d'exister par elles-mêmes, de se réaliser dans ce qu'elles ont au plus profond d'elles. Elles semblent prêtes à prendre des risques pour y parvenir. Trois femmes de ce qu'on appelle la génération Y (nées entre 1980 et 1995) que l'auteure connaît bien puisqu'elle même en fait partie, appelée aussi notamment aux Etats-Unis, les "natifs numériques". Si je ne suis pas de la même génération, les questionnements et les envies des Y peuvent ressembler à ceux que j'avais au même âge.
Bien que jeune écrivaine, Suzanne Azmayesh se pose beaucoup de -bonnes -questions sur l'écriture et les tourments d'un écrivain : le style, le fond, la description des lieux et des personnages, etc, sur la création artistique en général. Elle décrit ses femmes assez finement, Madeleine, Émeline et Victoria, aux ambitions et aux moyens d'y parvenir différents, elles se complètent. En fine bouche, on peut regretter que le roman se déroule dans le milieu un peu idéalisé de l'écriture et du cinéma, et ne soit pas vraiment ancré dans la réalité, mais sans doute pour cette génération -et c'est encore pire avec la suivante- ce monde-là est-il un rêve, la gloire et la notoriété à portée de tous, d'un clic ?
Pas mal de remarques, apartés et réflexions intéressants sur les différentes obligations faites aux femmes dans nos sociétés, sur une certaine superficialité du monde actuel, principalement dans les milieux ci-dessus-nommés. Ce n'est pas révolutionnaire, Suzanne Azmayesh le dit elle-même d'ailleurs par l'une de ses héroïnes, mais ça a le mérite d'être dit et plutôt joliment. C'est un roman dans lequel les femmes ont le quasi monopole des pages. Est-ce pour autant un roman féminin ou féministe ? Je ne sais pas. Sans doute, mais que les hommes ne fuient pas, le féminisme est aussi notre affaire.
L'autre bonne surprise de ce roman c'est qu'il est bien écrit ; la romancière fait preuve d'un évident talent d'écriture, alternant descriptions et dialogues, les styles aussi, en fonction de l'état d'esprit de la narratrice. Chaque femme est bien décrite et ce que dit l'une ne lui va qu'à elle pas aux autres, très différentes. Bien mené également, c'est un roman à quatre -car Theo fait de courtes apparitions- entrées qui se lit très agréablement. Une belle découverte que cette auteure qui signe là son deuxième roman après un polar.
PS : le titre me faisait de l’œil, me disait kekchose sans que je puisse savoir quoi exactement. Et puis, tac, éclair de génie (bon, très dirigé par Suzanne Azmayesh, page 45) : "Je soupire. Plus que quelques mètres, et le calvaire sera terminé. Je vais prendre le métro. Rentrer toute seule. Prendre mon Xanax. Ecouter de la musique. Éric Satie. Les Gymnopédies. Trois morceaux en forme de poire. M'injecter mon héro (sic). Me coucher." Bon dieu, mais c'est bien sûr le titre d'une oeuvre de Satie que je mets en lien (ici). Un peu plus de temps ? Ecoutez aussi les Gymnopédies et les Gnossiennes du même compositeur, elles sont dans le ton du livre, simples de cette simplicité qui pousse à raisonner, mélancoliques et légères, parfois tristes parfois moins. Oui, la petite musique de Satie est celle qu'il faut écouter en le lisant.
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