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Urbain Gorenfan, 25 ans, est le rejeton bâtard d’une famille aisée, les C. Il a été élevé à Torlu, village de la campagne normande, par sa grand-mère maternelle. Aidé par les informations que lui distille un inconnu, Jean-Louis Graffen-Schtol, il parvient à retrouver la trace de sa demi-sœur Beatrix C. Tous les midis, celle-ci déjeune dans un restaurant de Montparnasse. Peu à peu, Urbain se rapproche d’elle, lui rend de menus services et finalement se présente sous un faux nom, Aubain Minville. Une certaine amitié nait entre eux deux. Et quand Béatrix invite Urbain Gorenfan / Aubain Minville, à profiter de l’absence du père pour passer un week-end dans la maison familiale normande en compagnie de sa mère et de son frère handicapé mental, il accepte. Mais sera-ce pour obtenir reconnaissance de sa bâtardise ou pour détruire de l’intérieur cette cellule familiale qui l’a autrefois rejeté ?
« La rhubarbe » est un roman paru en 1965, gratifié du Prix Médicis, mais qui a plutôt mal vieilli. On y trouve un style verbeux et ampoulé qui ne passe plus de nos jours. Une influence du « nouveau » roman (révolutionnaire à l’époque, complètement ringard aujourd’hui) avec ses longues descriptions d’objets, de décors ou de trucs totalement inutiles. Pilhes consacre par exemple trois pleines pages à raconter la progression d’un hanneton sur le montant d’un lit. Passionnant ! L’intrigue est des plus basiques car ne reposant que sur le thème de la naissance illégitime, l’état de bâtard, qui est également celui de l’auteur. Les personnages semblent un tantinet caricaturaux. L’ensemble diffuse assez nettement l’imprécation gidienne « familles, je vous haïs », avant de s’achever sur une fin décevante vu son côté invraisemblable. La présentation éditoriale parle de trois niveaux de lecture (réaliste, policier et poétique). C’est assez exact pour le poétique voire le fantasmagorique, pour les deux autres, c’est moins évident.
Ouvrage très particulier, aux détours inattendus, avec une conclusion qui interroge.
Le rôle des grandes multinationales, l'état d'esprit de leurs dirigeants, y sont très bien décrits, bien que l'histoire en elle-même soit singulière.
La forme du récit est particulière aussi. On est amené à sourire parfois, à réfléchir souvent.
Profondément marqué par ses deux années passées sous l’uniforme en Algérie (1955 – 1957), René-Victor Pilhes, écrivain reconnu, a livré à 82 ans, un roman poignant qui sort de l’oubli Abane Ramdane, « l’oublié, voire l’évacué de la révolution algérienne… Pourtant son rôle a été déterminant et capital. »
Pour faire revivre cet homme liquidé par les siens, au Maroc, le 27 décembre 1957, alors qu’il était le numéro 1 de la lutte pour l’indépendance de son pays, l’auteur donne la parole à un vieux curé qui a recueilli les confidences de Jean-Michel Leutier, jeune lieutenant en train de mourir de ses blessures.
Construisant bien son récit, l’auteur nous ramène quelques années en arrière, à Toulouse, où Leutier est élève en classe de philo car ses parents l’ont envoyé étudier en métropole. Son père est sous-officier de gendarmerie et sa mère, infirmière. Ils vivent à Aïn-Témouchent, en Oranie.
Ébloui par Rolande Jouli, sœur de son meilleur ami, il se fait inviter chez eux, à Albi. Or, Mme Jouli assure un soutien aux personnes emprisonnées, avec sa fille. Jean-Michel, pour gagner leurs faveurs, les accompagne et tombe sur Abane Ramdane avec qui il va parler de l’Algérie…
C’est l’occasion, pour l’auteur, de rappeler ce que furent ces huit années, de 1954 à 1962, avec 1 350 000 conscrits mobilisés pour deux ans, 13 000 morts, 70 000 blessés et des milliers de traumatisés, « sale guerre, honteuse, inavouable, vécue comme quasi déshonorante et perdue. » La torture est pratiquée par les services spéciaux et les unités de choc des paras.
Les colons sont environ 40 000 pour 3 millions d’indigènes mais le drame de Sétif, le 8 mai 1945 annonce ce qui va suivre. L’assassinat du couple Monnerot, deux instituteurs, montre que « les Algériens ne voulaient plus qu’on les éduque mais, désormais, aspiraient à s’éduquer eux-mêmes. »
Avec Abane Ramdane, Leutier parle de l’Algérie : « le comble, c’est qu’il éveillait ma compassion alors qu’il aurait dû me terrifier. » Plus loin, il ajoute : « Cet Abane m’avait flanqué brutalement à la figure ma famille, mon pays natal, mon enfance, mon adolescence, avec une agressivité étrange. » Loin d’Aïn-Trémouchent et de la grande plage de Béni-Saf, il aurait aimé avoir son père près de lui mais le doute instillé par ce cadre politique qui lit Marx, Mao, Lénine, fera son chemin dans la tête du jeune homme…
Lorsqu’il retourne à Aïn-Trémouchent, il constate que ses copains arabes ont changé, que le « syndrome d’Abane » fait son chemin alors que les « pieds-noirs » restent « joyeux et insouciants. »
Au lieu de se consacrer à une carrière d’avocat, Leutier résilie son sursis et devient Aspirant dans le 2ème Peloton du 6ème Chasseurs dans le grand Oranais. Il se bat, prend des risques excessifs mais n’y croit plus jusqu’à cette fameuse nuit où il patrouille dans le massif de Zelemta…
Jean-Michel Leutier, jeune pied-noir quitte son oranais natal pour continuer des études brillantes à Toulouse. Voulant séduire la sœur d’un copain, via la mère experte en bonnes œuvres, il devient visiteur de prison. Le sort le met en présence d’Abane Ramdane, l’un des fondateurs du FLN, emprisonné à Albi, qui, plus tard, sera lâchement assassiné par ses pairs en 1957.
Ses études philosophiques, ses conversations avec Ramdane emplissent son esprit et sa conscience sur l’avenir de l’Algérie. Un avenir où les colons ne sont plus les maîtres de l’Algérie, mais des habitants lambda, où les paysans algériens ne sont plus ravalés au rang de presque serf par les gros propriétaires. C’est avec un regard neuf, décillé que Jean-Michel, lors de ses vacances au pays, mesure le fossé entre les graines que le prisonnier a semé dans son esprit et la vie de ses parents, des habitants de l’Oranais. Cette confrontation entre deux idées de l’Algérie et de la colonisation jette le trouble chez le jeune homme « Jusqu’alors, défricher, bâtir, semer, planter, instruire, enseigner, avait servi de bonne conscience au colonisateur. ». Cette impossibilité pour les colons de comprendre, de voir que tout change autour d’eux « Ce que voyaient ces « Français d’Algérie », c’est qu’il était trop tard. Mais était-ce si évident ? ». Lorsque la guerre, on dit alors, les Evènements, éclate, il suspend son sursis et part défendre ce qu’il considère, avec justesse, son pays.
Blessés plusieurs fois, il se meurt et la visite quotidienne du « petit curé » lui permet de raconter sa courte vie, sa rencontre avec Ramdane et ce qui en découla, la guerre dont la fameuse nuit de Zelemta qui jettera l’opprobre sur ce jeune officier multi médaillé.
Un livre superbement construit qui raconte, expose la guerre d’Algérie sans trémolos, avec rigueur et calme la situation des deux côtés.
Les français de France de l’époque, d’avant la déclaration de guerre, ne se sentaient pas concernés : « L’Algérie, oui, c’était une partie rose sur la carte de l’outre-mer ; mais ce n’était que ça. Non, décidément, ce n’était pas l’Alsace et la Lorraine. »
Je me souviens, pour avoir établi des dossiers, de certains pieds noirs, propriétaires terriens, arrogants avec les subalternes que nous étions. J’avais, à l’opposé, deux collègues fraîchement rapatriés, ceux qu’on appelait « petits blancs » qui pleuraient leur pays. C’était dur à comprendre pour la jeune fille que j’étais, tout en faisant un parfait résumé.
Abane Ramdane a réellement existé. Il fut l’un des créateurs et chefs du FLN, écarté puis tué pour des raisons de pouvoir. « Tour à tour présenté comme un Robespierre ou le Jean Moulin et même le Mao Tsé-toung africain, s’il avait survécu à la guerre, Abane Ramdane reste peu ou mal connu. Cela n’est pas fortuit. Une véritable conjuration du silence en a fait l’oublié, voire « l’évacué » de la révolution algérienne. »
Ramdane vivant, lui qui comparait leur lutte à celle des Irlandais, aurait-il eu le pouvoir et la volonté de faire ce qu’il expliquait à Jean-Michel ? Si le statut Blum-Viollette qui voulait donner la nationalité française aux étudiants « Les étudiants musulmans, tout en restant musulmans deviennent français et qu’aussi imbus de préjugés religieux et racistes qu’ils soient les colons ne puissent leur décrier la fraternité française. » (C’était en 1936) avait été ratifié….
Et la « nuit de Zelemta » me direz-vous ? Je vous laisse découvrir cet épisode humain et très fort.
Un livre, entre fiction et réalité, dans un style très construit ; une belle écriture classique comme je les aime. J’ai trouvé, chez René-Victor Pilhes, beaucoup d’estime pour ces « petits blancs » qui étaient présents en Algérie depuis plusieurs générations ou ceux qui sont venus chercher un avenir meilleurs et, pour les enseignants, un grand désir d’apporter leurs connaissances aux « Arabes », ainsi que pour Ramdane.
Une belle découverte de cette période, guerre qui se cache derrière ces « Evènements » dont on ne parle que très, trop, peu. Un très bon livre.
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