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Que n’a-t-on pas écrit sur Ingres ? Il a été très souvent considéré comme académique alors qu’il était révolutionnaire. Il a été la cible de la nouvelle génération de peintres avec, en tête, Eugène Delacroix. Et, bien sûr, il y a l’éternel violon, régulièrement déformé ou parodié en « dingue ». Mais c’est aller un peu vite en besogne et négliger que Jean Auguste Dominique Ingres fut avant tout un ogre gourmand à la recherche d’un beau idéal, mais froid comme une banquise, comme un marbre antique, comme une femme inaccessible.
Après sa jeunesse à Montauban, il intègre l’atelier de Jacques Louis David où il fait preuve d’un sérieux exemplaire, ce que Charles Baudelaire, le plus féroce de ses critiques, appelait : «un immense abus de volonté ». Mais ce que le poète ne discerne pas, c’est qu’Ingres est déjà en train de se démarquer des autres élèves davidiens. Il ne s’encombre guère de morale, d’éthique, de message édificateur destiné aux foules, ni même de l’antiquité gréco-romaine. Il recherche déjà la forme pure, éternellement belle car évidente dans sa simplicité. Voilà les raisons de cet étonnement du public, voire du jury du prix de Rome, reçu en 1801, à la vue des premières œuvres. En Italie, en 1806, il découvre la peinture de Raphaël qui deviendra sa référence essentielle. Mais le malentendu perdure : il ne respecte rien, ni la perspective, ni l’anatomie, ni les règles de la peinture d’histoire. Et devient un portraitiste recherché, parvenant à traduire les matières et les textures, les ombres et les lumières, les reflets et les matités, les carnations et les chevelures. Mais il ne peut s’empêcher de fantasmer la femme qu’il représenté : ici, sa tête est un œuf (Mademoiselle Rivière) ; là, sa main est déformée (Madame Moitessier) ; et là, encore, ses bras sont trop longs (Paolo et Francesca). Même « Œdipe face au sphinx » n’échappe pas aux approximations physiques.
Son œuvre graphique est bien moins connu, bien que le grand public se contente de la « Grande Odalisque » et du « Bain turc » du Louvre pour la peinture. Aussi voilà un ouvrage particulièrement intéressant. Ingres était un exceptionnel dessinateur au trait sûr, net et précis. La plupart de ses tableaux ont été nourri d’un grand nombre de croquis, d’esquisses, d’études, où le geste du dessinateur se révèle comme une évidence. Et si pour certains, il n’est pas un grand coloriste (ce qu’il faudra me démontrer clairement), il est un incontestablement un génie de la ligne. Bien sûr qu’Ingres détestait Pierre-Paul Rubens qu’il comparait à un marchand de viande, évidemment que sa fascination pour Raphaël le conduisait à la citation littérale, mais un dessin d’Ingres restera à jamais un dessin ingresque. Rien qu’au Musée Ingres à Montauban, 4500 dessins sont conservés. Il existe bien un catalogue raisonné dû à Georges Vigne mais, ici, la sélection est probante. Certaines feuilles sont fascinantes par leur modernité (ce qu’avait très bien compris Pablo Picasso). Ainsi cette femme nue du Bain turc avec ses multiples bras évoquant Civa. Ou les jambes d’une autre nudité qui se superposent comme dans une photo ratée (on songe au futurisme). Mais surtout la parenté qui s’impose est celle des nus féminins de Paul Delvaux, tout aussi dessinés, tout aussi statiques, tout aussi empreints d’un érotisme glacial.
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