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Labat J B

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    Couverture du livre « Voyage aux isles » de Labat J B aux éditions Libretto

    Véronique MEYER sur Voyage aux isles de Labat J B

    Début du XVIIème siècle. Le Père Jean-Baptiste Labat, missionnaire dominicain originaire de Paris se porte volontaire pour partir aux Isles afin d'évangéliser le peuple nègre et d'officier auprès des fidèles français installés dans ces colonies. Après une traversée dont l'issue sera mouvementée,...
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    Début du XVIIème siècle. Le Père Jean-Baptiste Labat, missionnaire dominicain originaire de Paris se porte volontaire pour partir aux Isles afin d'évangéliser le peuple nègre et d'officier auprès des fidèles français installés dans ces colonies. Après une traversée dont l'issue sera mouvementée, il débarque à la Martinique où l'attend son diocèse en un lieu-dit dénommé Macouba. Curieux de tout et ouvert à tout ce qu'il va découvrir, le Père Labat nous conte dans ses mémoires, les intéressantes et truculentes anecdotes, découvertes et expériences qu'il va faire durant ses années d'apostolat en Martinique, Guadeloupe et autres îles sous le vent. C'est donc sous la forme d'un journal qu'il immortalise la manière de vivre aux Antilles et qu'il nous transporte d'île en île, des Saintes à Marie-Galante, de la Dominique à Saint-Domingue, de Sainte-Lucie aux Grenadines, pour revenir toujours à ses primes amours en Martinique et en Guadeloupe. De périodes de paix à ces historiques scènes de guerre avec les anglais, d'expériences de flibusterie à la découverte de la sorcellerie créole, c'est un véritable manuel d'anthropologie, d'ethnographie, d'histoire, de géographie, de botanique et même de cuisine que nous livre le célèbre ecclésiastique, ainsi qu'une analyse fine de la société caribéenne et des coutumes esclavagistes.

    Une somme d'informations intéressantes pour quiconque s'intéresse comme moi à ces îles ! Une écriture jubilatoire car l'homme d'église n'étant pas dépourvu d'humour n'a pas sa pareille pour raconter les aventures qui lui seront arrivées en ces contrées exotiques ! Et surtout, une écriture à l'ancienne comme je les aime avec des expressions telles que "il me fit mille honnêtetés" pour dire que les gens étaient aimables avec lui, ou encore ce mot "quartier" qui pour nous évoque la partie d'une ville mais qui pour lui signifie n'importe quel endroit, que ce soit un coin de montagne, de campagne ou de bord de mer !

    Enfin, n'oublions pas qu'il semblerait que ce soit lui qui inventa le rhum alors qu'il cherchait à composer un remède médical (une distillerie que j'ai eu l'occasion de visiter récemment porte d'ailleurs son nom sur l'île de Marie-Galante), et qu'en tant qu'architecte chevronné, il contribua à la construction de nombreux édifices aussi bien religieux que civils.

    Le livre de recettes La cuisine des flibustiers compilait nombre d'extraits des ouvrages du Père Labat relatifs à la cuisine des îles à grands renforts de descriptions. Je confirme que dans son Voyage aux Isles, il relate de nombreuses anecdotes culinaires telles que celle-ci :
    "Voici ce qu'on appelle un boucan de tortue et comment on le prépare. On avait choisi la plus grosse des quatre tortues qu'on avait prises, et sans lui couper ni les pieds ni la tête, on l'avait ouverte par un côté pour en tirer tous les dedans. On avait levé le plastron d'une autre, et après en avoir ôté toute la chair et la graisse, on avait haché tout cela avec ce qu'on avait tiré de la première, des jaunes d'oeufs durcis, des herbes fines, des épiceries, du jus de citron, du sel et force piment, et on avait mis tout ce hachis dans le corps de celle qui était entière, ensuite de quoi l'ouverture avait été recousue et couverte d'un morceau de terre grasse. Pendant que les cuisiniers étaient occupés à ce que je viens de dire, on avait fait un trou dans le sable de quatre à cinq pieds de profondeur et de six pieds de diamètre. On avait rempli ce trou de bois, que l'on y avait laissé consumer jusqu'à ce qu'il fût en charbon, afin de bien échauffer toute la concavité de ce trou. On avait ensuite retiré le charbon, et la tortue avait été couchée sur le dos dans le fond, couverte de trois ou quatre pouces de sable chaud des environs, et puis du charbon que l'on avait retiré, avec un peu de sable par-dessus. Ce fut ainsi que ce pâté naturel demeura dans cette espèce de four l'espace d'environ quatre heures, et qu'il se cuisit beaucoup mieux qu'il n'aurait fait dans un four ordinaire. Voilà ce qu'on appelle un boucan de tortue. Dès qu'on nous vit approcher on commença à déterrer le pâté. J'y fus assez à temps pour le voir sortir du four. Les pieds et la tête de la tortue servirent pour passer les lianes afin de le faire glisser sur les bords qu'on avait abattus en talus et le tirer sur une civière faite de deux gros leviers garnis de lianes traversées, sur laquelle quatre puissants nègres le portèrent au milieu de la cabane où il devait être mangé. Je ne crois pas que les plus grands monarques de l'Ancien et du Nouveau Monde aient jamais eu sur leur table un pâté d'environ cinq cents livres pesant comme était le nôtre, dont le dedans fût plus délicat et la croûte plus ferme et plus naturelle."

    La bombance et cet engouement de la bonne chère est récurrent tout au long du livre. La profusion de nourriture et la façon qu'ont les protagonistes de se goinfrer peuvent être choquants, tout comme la manière dont ils capturent et tuent ce qui finira dans leurs assiettes (des bébés requins retirés du ventre de leur mère, des tortues et leurs oeufs à profusion, des oiseaux par centaines et autres cochons...) Mais le Père Labat ne manque pas d'expliquer ce comportement :
    "On dira peut-être que voilà bien des documents de cuisine pour un missionnaire apostolique ; à quoi j'ai à répondre que quand on est obligé d'avoir soin de son ménage, on est en même temps obligé de s'instruire de bien des choses, dont je ne me serais par chargé la mémoire si j'avais toujours été dans mon cloître ; mais l'obéissance m'ayant employé dans un état, j'ai été en même temps obligé de savoir ce qui était comme des dépendances de cet état, eu égard à la nécessité qu'il y a de vivre et souvent de se préparer soi-même ce qui est nécessaire à la vie."

    Dans un chapitre consacré au café, on apprend que les malouins furent les premiers français à faire commerce du café. En bonne malouine que je suis, cette anecdote m'a bien entendu réjouie ! :
    "Les malouins ont été les premiers de nos Français qui aient trafiqué du café à Moka et qui l'aient apporté en droiture en France. Deux de leurs vaisseaux armés entreprirent ce voyage en 1709. Ils firent quelques prises considérables sur leur route et conclurent un traité de commerce avec le gouverneur de Moka. Ils rapportèrent une quantité considérable de café, avec toutes les instructions nécessaires pour se bien servir de ce simple. On peut dire qu'on leur a l'obligation tout entière de l'introduction de ce breuvage, sur lequel les médecins ont tant écrit et tant parlé pour et contre. Je ne prétends par les approuver ni les blâmer. L'usage doit en être le meilleur juge, et les différentes constitutions des personnes doivent décider sur ce qui vont aux uns et nuit aux autres."
    Je comprends désormais pourquoi un quartier et un collège de Saint-Malo portent le nom de Moka !

    Le rapport aux animaux est particulièrement troublant dans ce livre car ils sont considérés comme des choses, des êtres sans âme, et quand on lit que même le Père Labat, religieux de son état, puisse s'amuser de la souffrance des animaux, on ne peut que s'émouvoir d'une telle cruauté. Mais n'oublions pas que nous sommes au XVIIème siècle et qu'en ce temps-là, on s'amusait comme on pouvait ! Ainsi, alors qu'il venait de faire une pêche miraculeuse de requins à ne plus savoir qu'en faire, le Père Labat raconte :
    "Nous eûmes le plaisir d'en prendre un grand nombre, et comme nous ne savions qu'en faire, nous nous en divertissions en différents manières. Nous attachâmes un baril bien bouché et bien lié à la queue d'un que nous tenions suspendu, et après lui avoir coupé un aileron, nous passâmes une corde au-dessous des ouïes pour décrocher l'hameçon, et quand il fut décroché, nous filâmes la corde, dont un des bouts était attaché au vaisseau, afin que le poisson pût s'enfuir. Il le fit de toutes ses forces dès qu'il se sentit libre, mais le baril qu'il avait à la queue l'incommodait furieusement et l'empêchait de courir, et d'ailleurs il lui manquait un aileron. C'était un plaisir de voir les mouvements qu'il se donnait pour se débarrasser de cet importun compagnon. Il plongeait, il s'enfonçait, mais le baril le retirait toujours en haut et l'empêchait de faire ce qu'il aurait voulu pour se sauver et se défendre contre ses confrères qui, attirés par le sang qui sortait de sa blessure, le mirent enfin en pièces et le dévorèrent. Nous en fîmes ainsi mourir plusieurs, qui nous nous contentions de couper la queue ou un aileron avant de les décrocher, étant bien assurés que les autres les expédieraient bien vite."

    Un peu d'humanité tout de même envers ses pauvres bêtes torturées mais dont ils s'assurent qu'elles soient bien vite dévorées par leurs congénères !!!

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