"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C’est depuis la pierre tombale, une stèle au milieu du petit village d’Haeryông, que Hyôndo observe le monde qui l’entoure. A neuf ans, il ne comprend pas tout des agitations de la guerre mais il note que les colons japonais quittent le village, chassés par les communistes venus libérés la Corée. Petit-fils de pêcheur et fils d’un propriétaire d’usine, Hyôndo découvre alors que pour les libérateurs russes, la propriété, c’est le mal. Alors que le peu que possède sa famille va leur être enlevé, qu’ils sont considérés comme des contre-révolutionnaires et que la misère les guette, ses parents décident de quitter le Nord. Un exil difficile pour tous ceux qui laissent derrière eux leur pays natal, leurs maigres biens et des membres de leur famille.
C’est avec beaucoup de délicatesse que Jung-hi Oh raconte ce petit village de Corée du Nord à travers les yeux d’un petit garçon. Hyôndo est parfois démuni face au comportement des adultes et surtout face à la marche de l’Histoire. Mais le sens de l’observation ne lui fait pas défaut. Il voit les Japonais fuir, les soldats russes s’installer. Il voit sa famille, jusque là respectée, devenir la cible de gens envieux et haineux. Il voit son oncle revenu d’Hiroshima avec un mal que nul ne peut guérir. Il voit la violence, la souffrance et la peur.
C’est un roman court mais qui en dit long sur les épreuves subies par le peuple coréen, d’abord sous le joug des Japonais, puis sous l’emprise des communistes. Le regard de Hyôndo sur le monde des adultes est innocent, souvent perplexe et montre bien l’impuissance de ceux qui subissent la guerre. Une belle histoire, triste mais aussi lumineuse.
L’âme du vent réunit deux nouvelles, la première éponyme et la seconde intitulée La soirée. Dans les deux, nous suivons deux femmes mariées et mères de famille, à Séoul.
La première est une fugueuse invétérée. Malgré la tristesse de son fils, les remontrances de sa mère, les colères de son mari, elle ne peut s’empêcher de quitter son foyer pour de courtes escapades. Elle erre sans but, à la recherche d’elle-même, incapable d’expliquer ses fugues.
La deuxième est une écrivaine conviée à une réception où elle doit rejoindre son mari. Mais ses enfants ne sont pas prêts et elle-même a taché sa robe en effectuant des travaux de tapisserie. Quoi qu’il en soit, elle arrive dans la belle demeure de ses hôtes. Elle n’y connait personne et doit se composer une figure pour s’intégrer. Derrière le respect des convenances, le masque de l’épouse, la mère, l’auteure, souffle le vent de l’anticonformisme.
Deux femmes différentes mais toutes deux troublées par le rôle que la société coréenne patriarcale leur impose.
L’âme du vent est une nouvelle d’une tristesse infinie. Outre le sort que la société réserve aux femmes en les cantonnant dans un rôle d’épouse et de mère, Jung-hi Oh évoque la quête de soi, l’impossibilité de se construire un avenir lorsque l’on ne connait pas son passé et, bien sûr, la guerre de Corée, sujet récurrent chez les auteurs coréens. Beaucoup de poésie et de pudeur pour une nouvelle subtile qui remue en profondeur.
La soirée est plus légère, moins violente. On y ressent tout de même les questionnements d’une femme corsetée par les convenances et le manque de communication dans un couple où le mari fait peu d’efforts, certain de son bon droit et de la soumission de son épouse.
Jung-hi Oh est assurément une auteure à suivre. Sa plume reste délicate et poétique et sait se faire émouvante même quand elle aborde des sujets très durs. Une belle découverte à poursuivre avec un roman plus long.
En commençant ce livre, j’ai cru que Le quartier chinois était un seul roman mais en fait, cet ouvrage contient trois nouvelles : Le quartier chinois, La cour de l’enfance et Le feu d’artifice qu’on peut penser indépendantes mais qui ont une continuité chronologique dans l’évolution de la Corée du Sud. Ma note de lecture est un peu longue mais j’avais des choses à dire sur chacune de ces trois histoires !
Le quartier chinois 중국인 거리 Chunggugin kôri (également connu sous le titre Chinatown) est paru en 1979. [...] Une allégorie pour dire que la famille quitte le nord ou en tout cas une zone de guerre pour le sud ; pour Incheon, je crois. La famille s’installe dans une maison (élévation dans l’échelle sociale même si la maison est petite et en rez-de-chaussée) avec des portes-fenêtres (ouvertures sur le monde) et le père travaille au point de distribution de pétrole (utilité à la collectivité). Cette ville est aussi occupée par des Chinois (les Japonais sont déjà partis). [...] Dans ce récit, on sent à la fois la douceur de l’enfance et la dureté de la vie coréenne des années 50. Bien que la narratrice soit une fillette, elle voit, elle entend, elle sait et le texte est poétique et cru. La fillette dont on ne connaîtra pas le nom (mais elle est à la fois un souvenir de l’auteur et elle représente tant de fillettes !) passera de l’enfance à l’âge adulte pendant que sa mère accouche de son huitième enfant dans la douleur.
La cour de l’enfance 유년의 뜰 Yunyônûi ttûl (également connu sous le titre Le jardin de l’enfance) est paru en 1980. [...] La fillette, surnommée Yeux-Jaunes par les membres de sa famille, se rend compte que la guerre est « loin » mais elle entend les bruits de la guerre, elle voit les réfugiés arriver, le malheur des familles qui ont tout laissé derrière elles, à part leurs biens les plus précieux : leurs enfants et quelques objets indispensables ou de valeur. Des propriétaires pas commodes et des réfugiés toujours plus nombreux à tel point qu’on ne sait plus où les caser… [...] Terriblement d’actualité, les réfugiés ! Et puis, un père absent, une mère peu présente, une grand-mère âgée et autoritaire, un frère aîné violent. « Les coups de mon frère étaient terribles. C’était un jeune tyran. Depuis le départ de notre père, il avait insidieusement pris sa place et comme notre mère travaillait dans un restaurant du bourg, nous donnant l’impression, en découchant pour des raisons suspectes, qu’elle s’éloignait de nous, les coups qu’il distribuait fréquemment étaient sa façon de nous faire savoir qu’il assumait cette place de chef de famille. » (p. 90-91). Il reste un espoir, le retour du père… [...] La fillette n’est pas stupide, elle sait qu’elle a changé, que les membres de la famille ont changé, que le monde a changé et que son père reviendra changé par la guerre, mais de quelle façon et à quel point ? Une tradition m’a intriguée : c’est le mariage de personnes décédées (afin qu’elles ne soient pas seules dans la mort).
Le feu d’artifice 불꽃놀이 Pulkhon nori est paru en 1986. [...] Bizarrement, cette histoire m’a moins intéressée que les deux autres mais c’est elle qui contient mon passage préféré ! « Dans les histoires, à part quelques benêts incroyablement stupides, les enfants sont tous intelligents et courageux. Ils accordent une grande importance à la confiance, aux promesses ; ils se forment en étudiant à la seule lueur des lucioles ou des reflets sur la neige. Quand leur père est malade, ils fabriquent un remède avec la chair qu’ils prélèvent dans leur propre cuisse ; quand le pays est en danger, ils accourent sur le champ de bataille, prêts au sacrifice. Leur corps est sain, leur esprit profond et ils deviennent en grandissant de bons patriotes. » (p. 157). Je me suis dit que finalement, le discours politique est différent mais a le même résultat de conditionnement au sud et au nord : former de bons patriotes, prêts à se battre, prêts à mourir, à se sacrifier ! Et pourtant l’entrée dans la modernité de la Corée du Sud et ce qui en a découlé, la société de consommation, l’avènement des loisirs (un parc d’attraction est en construction sur l’île) a poussé les Coréens du Sud à étudier, à s’élever dans l’échelle sociale, à réfléchir, à penser (à l’instar des Occidentaux). « L’homme est-il bon ou mauvais ? La facilité, c’est de dire qu’il est les deux ! Tout le monde veut vivre, mais il y a sans arrêt des meurtres. Tout le monde veut la paix, mais il y a partout des guerres. Ce genre de paradoxe… » (p. 181). Alors, peut-on construire un pays sain en oubliant son passé, son histoire, ses traditions, ses croyances (même les plus fantaisistes comme celle du croquemitaine) ?
Dans ces trois récits, Oh Jung-hi parle de la guerre, de la famille, de la séparation des familles, de l’enfant traumatisé qui observe tout, qui perd vite son innocence et devient adulte très tôt, de l’abandon ou de la violence omniprésente ; elle explore la vie et l’âme humaine, sans fioritures, mais avec beaucoup de détails et par touches successives comme une peinture de la Corée (du Sud) qui se modernise – en particulier au contact des étrangers (Chinois, Japonais, Américains) – mais dans la souffrance, dans l’abandon de certaines traditions devenues trop ancestrales et dans l’objectif d’une société de consommation en devenir. De nombreux points rejoignent ce qui était dit dans la série documentaire La Corée du Sud, le pays aux multiples miracles. Un point positif : alors que les réfugiés ont quitté leurs villages pour vivre dans d’autres bourgs, parfois portuaires, qui ont grandi au point de devenir des villes tentaculaires, la Nature a toujours sa place dans le cœur des Coréens, l’eau, les arbres, les fruits, tout ce qui est important à la vie et à la bonne santé.
https://pativore.wordpress.com/2015/11/17/le-quartier-chinois-de-oh-jung-hi/
S’il est intéressant de découvrir une facette de la Corée et de sa culture à travers ces trois nouvelles, qui se lisent assez bien, on ressent une grande retenue chez Oh Jung-hi, qui raconte des situations, mais qui, en s’abstenant de tout jugement, reste d’une certaine manière assez détachée de ses personnages.
On ressent une certaine pudeur, comme s’il s’agissait de fables ou de contes, avec un grand côté poétique, mais sans la jolie morale ou la jolie fin qui clôt l’histoire : ici, le Prince ne vient pas sauver la Princesse.
L’innocence avec laquelle ces nouvelles sont racontées donne une ambiance agréable, très asiatique, mais dans laquelle j’ai cependant eu du mal à entrer pleinement. J’ai regretté de ne pas m’être sentie plus concernée. Je n’en garde pas un mauvais souvenir, mais un souvenir assez flou, qui s’estompe doucement.
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