"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est une longue ode que déploie Joël Egloff dans Ces féroces soldats. Raconter l'Histoire oubliée, celle des Malgré-Nous, les habitants de l'Alsace et de la Moselle obligés de s'exiler et les hommes d'être enroulés dans la Wehmacht pour aller sur le fond de l'Est. Joël Egloff raconte leurs passés à partir des membres de sa famille, à hauteur d'hommes et de femmes, de petits détails d'un quotidien douloureux et incertain.
Et avec le tutoiement, il instaure une proximité témoignant d'une empathie chaleureuse qui rend son écrit bouleversant et singulier à la fois.
Joël Egloff restitue son passé à un grand-père qu'il n'a pu connaître. Et ce faisant, il dévoile une partie de notre histoire proche qui rarement a été racontée, celles des Malgré-Nous, enrôlés de force par l'armée nazie pour combattre le front russe.130 000 hommes obligés de combattre avec ceux qu'ils voulaient combattre.
On chemine avec lui dans son village, dans l'histoire des voisins et de sa famille, un destin bouleversé d'être né et d'avoir grandi au mauvais endroit et au mauvais moment. Dans Ces féroces soldats, l'imaginaire vient combler le manque de souvenirs, ceux que les archives, les photos ne peuvent restituer, celui d'un père trop discret.
Le récit est à la fois un devoir de mémoire et une recherche de la filiation familiale. Parfaitement en accord avec notre actualité, Ces féroces soldats sont un émouvant hommage !
Chronique illustrée ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2024/12/19/joel-egloff-ces-feroces-soldats/
Dans Ces féroces soldats, Joël Egloff retrace l’histoire singulière et absurde de sa famille durant la seconde guerre mondiale et raconte comment son père, mosellan, est incorporé de force dans l’armée allemande en octobre 1943, à 17 ans, comme tous ceux qui vivaient dans la zone annexée par le Reich en 1940.
Il fit partie des « Malgré-nous », ces Français forcés par les nazis de combattre leur pays, s’ils voulaient éviter les représailles sur leurs familles.
Pour cela, l’auteur entreprend de reconstituer le puzzle de l’enfance et de l’adolescence de ses parents sous le joug nazi.
Le 1er septembre 1939, l’invasion de la Pologne par l’armée allemande déclenche la seconde guerre mondiale et, l’ordre d’évacuation de cette « zone rouge », entre la ligne Maginot et la frontière, est donné.
Son père n’a que treize ans alors, et sa mère qui habite un village voisin, huit. Il faut déserter au plus vite et s’éloigner de la frontière. C’est à la mi-août suivante qu’ils apprennent leur rapatriement. Ils sont partis de France et ils rentrent en Allemagne, c’est le retour aux frontières de 1871 mais qu’importe, c’est chez eux et c’est plus fort qu’une histoire de frontière.
La guerre est là et tout à la fois lointaine, jusqu’au jour, où est remis à son père le formulaire « Einberufungsbefehl » avec son nom inscrit : ordre de mobilisation. Il est incorporé en octobre 1943 et comme cent trente mille autres, fera désormais partie des « Malgré-nous ».
En février 1944, il est enrôlé dans la Waffen-SS, il aura dix-huit ans le 1er mars ...
C’est son périple tragique que raconte Joël Egloff, sans fiction, s’appuyant uniquement sur quelques pages d’un carnet retrouvé et sur les témoignages qu’il a récoltés, se contentant d’émettre des hypothèses sur ce qu’il n’a pas dit.
Il dresse dans un premier temps un portrait touchant de ces habitants de l’Alsace-Moselle qui, en trois guerres, tout en restant chez eux ont été Français avant 1871, Allemands ensuite jusqu’en 1919. Français de nouveau jusqu’en 40 et Allemands jusqu’en 45 – une région à l’identité complexe.
Leurs sentiments d’isolement quand ils se retrouvent loin de chez eux, la manière dont on leur fait sentir qu’ils sont différents, Joël Egloff le restitue fort bien.
Nés trop près d’une frontière mouvante, sans cesse écartelés entre deux cultures et deux langues, ils se sentent toujours en dehors. Leur seul refuge étant ce dialecte, le platt, auquel ils se sont accrochés et qui représente en quelque sorte leur territoire.
L’auteur montre également comment les enfants ont eu beaucoup moins de difficultés à s’adapter à leur nouvelle situation, tissant rapidement des liens de copinage avec les gamins du coin.
Mais cette insouciance relative sera vite balayée lors de la réception de l’ordre de mobilisation dans le RAD (Reicharbeitsdienst), l’antichambre de la Wehrmacht, une période durant laquelle on s’acharne à persuader ces enrôlés de force, qu’ils n’existent que par le groupe et pour le groupe et il devra subir des humiliations de toute sorte jusqu’à son incorporation dans la Waffen-SS et son envoi au front… Il sera enfin libéré en septembre 1945 après avoir été fait prisonnier par l’armée américaine.
Joël Egloff signe ici un grand roman sur l’histoire mouvementée de cette région frontalière de l’Allemagne, rappelle le destin de ces Malgré-nous incorporés de force dans l’armée allemande, comme son propre père, dépeignant sans condescendance toute l’absurdité de cette guerre.
En se plaçant à hauteur de regard de l’enfant qu’il a été, l’écrivain désignant son père à la deuxième personne du singulier est un procédé original que j’ai trouvé particulièrement convaincant.
En s’adressant directement au jeune homme qu’était son père lors de cet engagement forcé, et ce tout au long du récit, en évoquant avec subtilité, les questions qu’il a pu et dû se poser, il nous fait ressentir toutes les blessures intimes, la peur, l’incompréhension, les doutes qui ont dû l’assaillir.
Beaucoup d’ironie traverse le texte, notamment lorsque l’auteur retrouve un manuel scolaire de ces années-là avec ses cinquante-huit leçons, « de quoi faire de vous des puits de science, une armée d’érudits, quelques prix Nobel » et plus précisément cette cinquante-neuvième dont l’exercice final vaut son pesant d’or avec notamment la résolution et les commentaires faits par l’auteur lui-même.
Ces féroces soldats, référence à notre hymne national, est un bouquin richement documenté, passionnant, émouvant et bouleversant, empli de sensibilité et un bel hommage aux Malgré-nous.
L’écrivain et scénariste Joël Egloff avait reçu le Prix du livre Inter pour L’Étourdissement, roman que j’avais fort apprécié, tout comme Ces féroces soldats.
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2024/11/joel-egloff-ces-feroces-soldats.html
Une lecture intéressante, sensible et une rencontre passionnante en zoom avec l'auteur grâce à Vleel pour ce texte très intime, bouleversant et qui parle d'un pan de l'histoire, si peu romancé ou raconté, il me semble.
Le parcours du père de l'auteur, né en 1926 en Moselle, département annexé par les nazis en 1940. A 17 ans, il intègre l'armée allemande afin d'éviter les représailles sur sa famille, devenant un malgré-nous parmi les autres Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans la Wehrmacht. Fait prisonnier par l'armée américaine en mai 1945, il est libéré en septembre 1945.
L'auteur a utilisé les témoignages de ses parents pour écrire ce récit, mais aussi sur des archives. Il s'est beaucoup documenté. Et nous découvrir un pan de l'histoire d'une région, de ses habitants ballotés par les aléas de l'histoire. Une histoire intime puisque celle de ses parents, grand parents mais aussi celle de 130 000 "malgré nous" (40 000 ne sont pas revenus).
Des pages bouleversantes , son père avait tenté de raconter son histoire mais avait abandonné le projet et son fils nous et lui offre un beau et sensible texte.
On pourrait penser qu'il y a au beaucoup (trop) de textes sur la deuxième guerre mondiale mais il y a encore des choses à écrire, à documenter, pour ne pas oublier.
Et en fin de compte, qui sont les "féroces soldats", des hommes et femmes ballotés par des décisions politiques, des guerres qui entraînent , broient, obligent à choisir ou pas son camps. Ce texte est aussi un hommage à une région, ballotée par l'histoire et cela a un écho avec notre actualité et les guerres actuelles. Ce texte permet aussi de ne pas oublier que derrière un soldat, il y a un homme avec son histoire, ses choix ou ses non choix.
J'avais déjà lu Joel Egloff et, en particulier ""libellules" des micro fictions qui m'avaient plu et je vais continuer la lecture de ses textes.
J'ai lu et apprécié aussi, hasard des lectures, le texte de Le Tellier, "le nom sur le mur", qui parle aussi de cette période.
#Cesférocessoldats #NetGalleyFrance
Je découvre une très belle plume avec ce récit sensible. Comme l’auteur, on plonge dans la vie de ses parents en Moselle annexée, plus précisément celle de son père incorporé de force dans l’armée allemande à l’âge de 17 ans. On imagine, on se met à la place de, et c’est tout le pouvoir de la littérature.
Le sujet des Malgré-nous est connu en Alsace et Lorraine, mais moins dans les autres régions. Leurs habitants sont passés par plusieurs changements de nationalité, alternant entre français et allemand, avec un retour aux frontières de 1871 lors de l’annexion allemande.
Certains Alsaciens et Mosellans furent obligés de se battre aux côtés des Allemands contre les Français, contre leur propre camp. Certains désertaient et se cachaient. Mais le châtiment se retournait alors contre les familles. Alors ils se sacrifiaient pour que leurs parents, frères et sœurs vivent.
Joël Egloff s’est basé sur les témoignages de ses parents pour écrire ce récit, mais aussi sur des archives. Il s’est beaucoup documenté. Ce n’est donc pas un roman mais plutôt un récit littéraire. Il reste au plus juste de la vérité sachant que l’histoire de son père est très romanesque. Il utilise le tutoiement pour s’adresser à son père et tenter de comprendre ce qu’il a pu ressentir durant ces années de guerre.
Il est d’abord dans un camp de travail avant de rejoindre l’armée qui a subi de lourdes pertes humaines et a besoin d’hommes. Il ne rejoint pas n’importe quelle unité. Il est incorporé dans la Waffen S.S. Il raconte les insultes et la déshumanisation des officiers qui les surveillent.
Il est question d’identité mais aussi du quotidien pendant la guerre et sous une dictature nazie. Au début de la guerre, ses parents sont encore jeunes, 13 ans pour son père. Ils sont évacués, à l’Ouest pour son père, et au Nord pour sa mère. Quand ils reviennent en Moselle, ils sont désormais Allemands, obligés de parler cette langue. La fin de la guerre et l’après-guerre sont aussi des périodes abordées par l’auteur.
Un livre poignant et important pour mieux comprendre notre Histoire et ne pas l’oublier. Sur 130 000 Malgré-nous, 40 000 ne sont pas revenus.
Une rencontre VLEEL très intéressante à (re)voir en replay bientôt.
Je remercie Netgalley et Buchet Chastel pour cette lecture
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