Rome, années Berlusconi, juste avant la chute.
La Ville Eternelle est à la merci de Samouraï, ex-leader fasciste reconverti dans la grande criminalité. Il met la dernière main à un gigantesque projet immobilier qui aura pour effet de bétonner tout le territoire compris entre Rome et Ostie, sous couvert d’un philanthropique programme de développement de logements sociaux. Le projet est pour l’heure top secret, puisqu’il faut d’abord trouver de quoi corrompre (ce ne sera pas trop difficile) les politiciens qui le voteront bientôt. Il faut aussi éliminer les autres obstacles, à savoir la concurrence, et pour cela, quoi de plus judicieux que de s’associer avec ses ennemis, en les « intéressant » au projet et garantir ainsi sa sécurité. Samouraï est donc sur le point de réaliser une union sacrée entre les différents mouvements mafieux œuvrant à Rome, en ce compris (oups) la Banque du Vatican. Une belle brochette de riches pécheurs au service du Dieu Argent.
Mais ce beau projet pourrait bien capoter, parce que dans le camp des Gentils, Marco Malatesta, incorruptible chef d’une unité d’élite des carabiniers, a flairé que quelque chose d’énorme mijotait dans le chaudron des Méchants, et s’est donc mis en devoir de déjouer le plan, avec l’aide de sa belle collègue, d’un jeune procureur, et d’Alice, altermondialiste n’ayant pas froid aux yeux.
Crime, luxe, drogue, argent, prostitution, élites politiques et religieuses, hauts fonctionnaires, tous et tout sont inextricablement entremêlés dans des relations de domination, de chantage et de corruption.
On pourrait dire que les personnages de ce roman nerveux et haletant sont stéréotypées, et que toute cette histoire est trop énorme pour être vraisemblable. Et pourtant, c’est là le plus effarant, il paraît que tout cela est très réaliste et même carrément inspiré de la réalité.
Pauvre Rome, splendide déchue. Et combien d’autres, comme elle, corrompues jusqu’à l’ADN ? C’est quoi, ce monde ?
Alba Nera, Alba Nera dans la version originale parue en 2019, traduit par Serge Quadruppani, a été publié par les éditions Métailié en 2022 dans la collection Bibliothèque Italienne. L'écriture est vive, taillée à coups de mots mêlant italien, langage familier et/ou neutre s'enchaînant à une cadence souvent échevelée: "L'adoration de Luisella pour le ballet avait quelque chose de pathologique. Le mot lui-même offensait ses oreilles. Danse classique. Un rêve de petite fille, brisé par la maladie de maman et le goût du père pour les jeux virils. Elle avait été empêchée de fréquenter les cours, très bien. Elle était devenue, malgré elle, une bonne fleurettiste, bon, très bien. Mais maintenant qu'elle pouvait décider, danse classique comme s'il en pleuvait." (Page 159)..."Avec des gestes calmes et délicats, il la libère du chiffon crasseux. Dessous, elle est nue. Nue et couverte de blessures. Il retire son blouson et le serre autour de la poitrine décharnée, lui écarte une mèche de cheveux du front, elle est brûlante, ses lèvres sont crevassées et lui, il n'a pas une goutte d'eau. Une violente vague de compassion et une compatissante vague de violence le submergent." (Page 15).
Construction: le récit fait de constants allers-retours entre les années 2008-2009, époque à laquelle les trois compères sortaient tout juste de l'école de police et que le monde leur appartenait, et dix ans plus tard lorsqu'ils se retrouvent pour l'enquête sur un meurtre semblable à celui de 2009.
2008. Gianni, Dr Sax et Alba sortent de l'école de police. Ils sont les meilleurs et choisissent leur affectation. Le monde leur appartient. Pourtant, ils ont échoué à résoudre un meurtre.
Dix ans plus tard. Gianni, devenu commissaire, reçoit un tuyau d'un indic. Il se pointe dans un hangar en dehors de son secteur, déclenchant un affrontement armé. Avec deux losers venus pour éliminer une fille. Jusque-là, rien d'inhabituel. Sauf que Gianni prend contact avec Alba et Dr Sax afin d'évoquer cette affaire qui lui rappelle le premier meurtre sur lequel ils ont enquêter. Leur premier échec.
Pour convaincre ses anciens amis, il énumère les similitudes: les nœuds. Les cordes. Les couleurs des rubans. Les blessures superficielles. Tout est identique. Même si cette fois la victime n'a pas été achevée d'un coup de couteau dans la carotide, tout leur rappelle la Petite Sirène tuée par Di Corrado, surnommé le Monstre de la décharge. Ce dernier avait-il un complice qui reprendrait le flambeau? S'agit-il d'un émule? Ou alors, Di Corrado était innocent et le véritable assassin est de retour...
Alba sent que quelque part se niche une fausse note. Pourquoi Sax fait-il tout ce qu'il peut pour réduire l'importance de l'affaire. Cela n'a pas de sens. A moins que...
Toute l'intrigue de Alba Nera tourne autour des trois personnages principaux, charismatiques chacun à sa façon, chacun jouant un rôle au sein de leur trio: Gianni le gentil, l'honnête, le torturé aussi, consumé par l'amour non partagé qu'il voue à Alba depuis leur jeunesse; Alba, la femme énigmatique, manipulatrice et tentatrice, qui a fermé son cœur à tous sentiments qui pourraient lui faire perdre le contrôle d'elle-même, ce qu'elle ne peut envisager; Sax l'homme sympathique, bienveillant, tolérant, mais qui cache bien son jeu, car seule compte sa dévotion à son beau-père dont il est en réalité l'âme damnée; ce que les deux autres ne mesurent pas vraiment...Et c'est ce rôle que chacun joue qui détermine leurs actions, leurs décisions, la façon dont ils vont mener l'enquête: se font-ils confiance? Oui, parfois. Même s'ils ne devraient pas. En tout cas pas toujours...
Un roman puissant, non dénué d'un certain cynisme, à l'intrigue habilement menée, une plongée au cœur d'une Rome méconnue, loin des clichés des cartes postales et des manuels de tourisme. Une Rome dont De Cataldo connaît si bien les ruelles sombres, les recoins obscurs, là où se cachent des tortionnaires sadiques qui s'en prennent aux femmes, des marchands de chair humaine pour qui seul compte le profit, à n'importe quel prix. Une descente vertigineuse dans les catacombes du sexe et de la drogue. Une descente dont on ne ressort pas indemne...
Je remercie bien chaleureusement Babelio et les éditions Métailié pour ce roman épatant, reçu dans le cadre de Masse critique Mauvais Genres.
Amis depuis leur sortie de l'école supérieure de police, Alba Doria, le Blond et Giannaldo Grassi, dit Dr Sax, ont eu des trajectoires aussi différentes que leurs personnalités et leurs histoires pouvaient le laisser pressentir. Formé aux méthodes américaines, la première, brillante, est fascinée par le mal et évolue sur le fil ténu qui la sépare (pour l'instant) des criminels les plus abjects. Le Blond n'a pu oublier leur histoire d'amour et son honnêteté foncière mêlée d'une droiture candide a nui à son avancement à la Criminelle. Quant à Grassi, dont les origines modestes nourrissent l'ambition effrénée, son mariage avec la fille du chef des Services de sécurité, le général Cono di Sangiorgo, lui a permis de devenir le bras droit de son beau-père et d'évoluer ainsi parmi les nantis dans les sphères du pouvoir.
Tous trois se sont éloignés après avoir échoué à résoudre le meurtre d'une jeune femme di ans auparavant. La découverte d'une nouvelle victime, ligotée de la même manière que la précédente, les réunit pour, cette fois, mener à bien leur enquête et découvrir qui se cache derrière ces crimes odieux.
Construit d'une manière haletante, en alternant le récit des deux crimes, le roman nous plonge dans une Rome ténébreuse où les manipulations et la corruption tissent une nasse asphyxiante destinée à maintenir en place des personnages cyniques à l'insatiable avidité de puissance. Le roman déploie des tentacules qui enserrent passé et présent jusqu'à les faire se confondre... comme si, en dix ans rien n'avait changé sinon en pire puisque Alba, le Blond et Dr Sax ont laissé beaucoup d'illusions et une partie de leur âme en chemin. Sans s'appesantir sur la psychologie des trois principaux protagonistes, l'auteur en trace des portraits tout en contrastes, si éloignés de tout manichéisme que leurs réactions sont toujours inattendues.
Cet emmêlement des époques, qu'éclaire l'emploi du présent ou du passé, nécessite, de la part du lecteur, une attention accrue au risque de se perdre dans les méandres des deux enquêtes qui semblent parfois se superposer, voire se confondre. L'effet de suspense, d'angoisse et des menaces latentes en est décuplé. L'image de Rome (du monde ?) que nous renvoie Giancarlo de Cataldo est noire dès le titre, aussi noire que les cercles de l'Enfer dantesque.
Un roman noir particulièrement réussi, donc. Mais pas que...
Car, au-delà de et grâce à cette intrigue vertigineuse, l'auteur sonde les abysses de l'âme humaine et les interactions à l'oeuvre entre l'intime, le public, le politique, qui peuvent faire basculer quiconque aussi bien du côté de la lumière que de celui des ténèbres. Et ce que j'aime particulièrement dans les romans de Giancarlo de Cataldo c'est que la puissance des histoires qu'il raconte agit toujours sur plusieurs niveaux en les reliant habilement : de l'individu à la société en passant par des groupes sociaux, familiaux, professionnels, amicaux, etc. Les rapports de force qui s'instaurent entre les différents personnages constituent les moteurs de l'intrigue, mais aussi d'une réflexion plus générale sur l'être humain et sur son errance. "Alba nera" ne faillit pas à cette règle. Troublant et saisissant !
Rome comme on ne l'a jamais vue -ce qui est vrai, je ne l'ai jamais vue, mais ne désespère pas d'y aller un jour. Rome dont l'auteur, magistrat dans la ville connaît tous les recoins, l'humeur, l'odeur. Rome est un contexte géographique remarquable dans une intrigue qui ne l'est pas moins. Entre des hommes qui aiment dominer des femmes et en faire leurs objets, des tortionnaires sadiques, hauts placés donc protégés, des femmes souvent des étrangères qui tentent de gagner suffisamment pour retourner vivre chez elles, des flics corrompus, l'enquête n'est pas de tout repos. Il y a des manipulateurs, des manipulés, des manipulés-manipulateurs et des manipulateurs-manipulés, si bien qu'on ne fait confiance à personne et que tout le monde est suspect si ce n'est du crime au moins d'autres méfaits pas plus glorieux. C'est dans ce panier de crabes que les trois amis doivent plonger. Et eux-mêmes, sont-ils exempts de reproche ? En dix ans, n'ont-ils pas commis d'actes délictueux ?
Et Giancarlo de Cataldo d'avancer ses pions et nous de s'enfoncer dans une noirceur et un flou total. Il nous balade, nous promène tout au long de son histoire, nous perd. Son récit, malgré les multiples directions qu'il prend va à l'essentiel. Ses personnages sont succinctement décrits mais on en sait suffisamment pour les cerner ou croire qu'on les cerne, mais les surprises affluent. Bref, un roman noir tortueux, maîtrisé de bout en bout, un de ceux dont on se demande comment on va en sortir et dont on aimerait qu'il se poursuive un peu...
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