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Le titre de ce premier roman de Felicity Mc Lean ne pourrait pas annoncer plus clairement le thème traité : la disparition de trois sœurs. Mais il est en même temps déceptif : l’œuvre n’est ni un roman policier ni un thriller au suspense haletant mais un roman plus psychologique dont le sujet principal sera moins « les sœurs Van Apfel » que les sœurs Molloy, Laura et Tikka, celles qui restent et n’ont jamais réussi à faire leur deuil.
Tikka est d’ailleurs la narratrice. On oscille entre passé – quand elle est une enfant de onze ans et deux mois- durant ce fameux été de 1992 et présent lorsqu’elle revient à trente-deux ans sur les lieux … de la perte. On a ainsi un va et vient entre deux points de vue : celui de l’enfant qu’elle fut, lacunaire car non conscient des enjeux et des sous-entendus, et celui de l’adulte qu’elle est devenue qui comprend mieux certains événements ou certaines réactions des adultes qui l’entouraient et s’évertue à combler les blancs et à démêler l’écheveau.
Ce qui est apparent et évident pour un adulte ne l’est pas pour un enfant de onze ans ni même pour sa grande sœur de quatorze. Les impressions de Tikka sont un peu décalées et produisent un récit, légèrement décalé lui aussi. Felicity McLean fait un travail formidable pour que la perception enfantine soit parfaitement rendue. Tout le roman revient sur les mécanismes et les rencontres qui ont amené à la disparition des trois filles. La disparition proprement dite le jour du spectacle de fin d’année n’arrive qu’à la fin du roman, mais comme on connait l’issue dès le départ cela crée une grande tension et nous maintient en éveil. La mémoire parfois défaillante de Tikka est assistée de celle de sa sœur, plus mature à l’époque et les discussions ou les comportements qui paraissent étranges à la petite narratrice du passé en deviennent plus clairs pour l’adulte qu’elle est devenue et concomitamment pour le lecteur grâce aux révélations de sa sœur et à celles de la voisine, grâce aux souvenirs enfouis qui remontent.
Ce livre est présenté comme un thriller et je pense que c'est un mauvais service à lui rendre. C’est un roman d’initiation qui montre la fin de l’enfance et de l’innocence et le passage à l’adolescence. Oui, il y a bien le mystère de la disparition des filles Van Apfel, mais il demeure non élucidé, donc les amateurs de mystère et d’enquêtes pourront être déçus. En cela il me rappelle fortement le roman « Virgin suicides » de Jeffrey Eugenides : dans la narration d’abord (vingt ans après par les amoureux devenus des hommes murs mais avec leurs incompréhensions adolescentes), dans la prégnance du souvenir et de la fascination éprouvée ensuite, dans le portait de Cordie qui m’évoque celui de Lux Lisbon enfin.
Comme dans le roman immortalisé par le film de Sofia Coppola, là où ce livre est très réussi c’est dans la peinture des personnages et la description des ambiances. La conversation entre les filles et leurs comportements sont d’une grande authenticité dans leur candeur, leur sensualité, comme dans leur cruauté parfois et les disputes entre les sœurs raviveront certainement les souvenirs de certains ! Les scènes, vues à travers les yeux de Tikka, ont une qualité vaporeuse et floue qui a autant à voir avec la porosité de la mémoire qu’avec la canicule de cet été-là.
L'atmosphère pesante de la petite ville est très bien rendue en 1992 comme en 2012 avec l’importance des ragots, des sous-entendus et des non-dits. L’évaporation des trois sœurs ouvre tout grand la porte à toutes les suppositions de la part de la petite communauté frappée par ce drame, toutes les suspicions, tous les fantasmes, tous les non-dits préalablement couverts par l'omerta ambiante et ensevelis sous une chape de plomb vont se révéler et s’exacerber sous la moiteur ambiante. Les sens du lecteur sont très souvent convoqués dans une écriture synesthésique qui laisse fort bien percevoir la touffeur accablante du bush ou les odeurs pestilentielles qui se dégagent du lit de la rivière. Il y a quelque chose de pourri au royaume de cette banlieue… On perçoit une menace dans les cris stridents des kookaburras ces oiseaux charognards également que la voisine nourrit de boulettes de viande comme elle -même se délecte de ragots. Les personnages secondaires ont tous leurs zones d’ombres, qu’il s’agisse du nouvel instituteur qui semble toujours rôder dans le sillage de Cordelia ou M. Van Apfel très religieux voire fanatique qui force ses enfants à réaliser de fastidieuses études de la Bible et à faire amende honorable en public à chaque fois qu’elles sont prises en faute alors que son propre comportement n’est pas exempt de failles, loin de là … Même les autres adultes sont montrés comme défaillants à commencer par les parents -sympathiques au demeurant - des sœurs Molloy : ils n’ont pas voulu voir, ni dénoncer, ni porter secours quand il l’aurait fallu par crainte d’ingérence.
La disparition des adolescentes n’est ainsi qu’un prétexte pour montrer le délitement de la petite communauté. On a en fil rouge dans le récit l’évocation d’un sordide fait-divers qui avait défrayé la chronique durant les années 1980 et qui passionna le pays durant trente ans : l’affaire Chamberlain. On pourrait penser qu’il s’agit d’une digression un peu incongrue mais Félicity Mc Lean instaure ainsi un savant jeu d’échos. Comme l’Australie est fascinée toute entière par la disparition de la petite Azaria Chamberlain dans le bush, le village l’est par celle des petites Van Apfel. Cette affaire criminelle ponctue les deux époques du récit puisqu’en 1992 il avait marqué la narratrice au point qu’elle avait décidé d’en faire une pièce de théâtre pour le spectacle de fin d’année et qu’en 2012, quand elle rentre au pays, elle apprend par les médias que l’affaire est enfin classée et la mère honnie, réhabilitée. Ainsi, pendant trente ans la solution était sous les yeux des enquêteurs (c’était un dingo qui avait enlevé et tué le bébé) et cela n’a pas empêché un pays d’échafauder maintes théories et de diaboliser certains allant jusqu’à briser des vies et de familles avant l’absolution trop tardive. C’est ce qui se reproduit ici, mais les sœurs Molloy, victimes collatérales, vont finir par se pardonner.
On a souvent comparé ce roman à « Pique-nique à Hanging rock » de Joan Lindsay qui se passe dans le même cadre du bush avec cette ambiance moite et une fin ouverte mais à l’époque victorienne avec différents enjeux. Il me semble donc plus judicieux d’évoquer ici le très beau et polémique roman de Megan Abbott « la fin de l’innocence » (2012). Comme elle, Félicity Mc Lean touche à des sujets tabous : les relations professeur-élève, les relations père-fille qui quelquefois dérapent dans l'horreur… Mais, elle le fait de façon nettement moins crue, elle suggère grâce à la narration particulière qu’elle a choisie. Avec nuance, délicatesse, sensibilité et pudeur, elle se risque à évoquer le pouvoir naissant d’adolescentes qui peuvent se révéler séductrices, elle ose aussi aborder le calvaire familial que certaines d'entre elles peuvent endurer, dans le silence et l'indifférence. Rien n'est tout blanc ou tout noir dans ce roman, c’est une histoire merveilleusement ambiguë dans laquelle les questions que se posent Tikka demeurent sans réponse et hantent le lecteur …
Un roman que je vous conseille donc vivement, plutôt en V.O cependant car certaines tournures dans la traduction de Sylvie Schneiter sont maladroites. Je remercie Felicity Mc Lean, Net Galley et les presses de la cité de m’avoir permis de le lire. #Netgalleyfrance #lessoeursvanapfel
La famille Van Apfel compte trois filles aux personnalités si différents : l’aînée Hannah, Cordelia au caractère bien trempé et la cadette, Ruth. Elles grandissent dans une petite bourgade d’Australie, au fond d’un cul de sac en compagnie de leurs deux amies d’enfance : Tikka et sa grande soeur, Laura. Un soir, les 3 soeurs Van Apfel s’évanouissent dans la nature. Vingt ans plus tard, Tikka, devenue technicienne de laboratoire, vit désormais à Baltimore aux Etats-Unis. Quand elle apprend que sa soeur souffre d’un cancer, elle décide de rentrer en Australie. Son retour fait ressurgir cette sombre histoire de disparition. Mais que sont devenues les soeurs Van Apfel?
Par le retour de Tikka dans la ville où elle a grandit, on se replonge durant l’été caniculaire de 1992. Même si les années ont passé, Tikka n’a pas pu oublier ses amies d’enfances et voit des ressemblances de Cordelia, l’une d’entre elles, dans chaque visage féminin qu’elle croise. Petit à petit, les souvenirs refont surface et certains faits prennent une nouvelle tournure. Pourtant, les non-dits restent mystérieux et on se demande si les fautes de l’enfance peuvent trouver leur pardon une fois l’âge adulte atteint.
Digne des meilleurs page-turners, ce livre pourrait s’apparenter à un thriller mais cela ne semble pas avoir été l’intention de l’auteure. Roman sur l’adolescence, l’importance des choix, les fantômes du passé et le pardon, une fois commencé, on ne peut que difficilement le lâcher tant on espère connaître le sort de ces trois soeurs.
Malgré la clarté de ces décors ensoleillés australiens, ce n’est pas une histoire réjouissante car on pénètre dans les secrets intimes qu’enfouissent les familles ordinaires. Plongée rétrospective dans les souvenirs de Tikka et de Laura, on ne cesse de se demander quels seront les destins de ces trois gamines, qui grandissaient auprès d’un père pasteur rigide et d’une mère apathique.
J’ai beaucoup aimé cette lecture dans cette ambiance caniculaire du bush australien. Le petit bémol pour moi serait que certaines questions restent sans réponse définitive et que le final conserve beaucoup d’ouverture. Comme je l’ai déjà écrit dans l’une de mes chroniques, je ne suis pas une fervente des fins ouvertes. Mais cela n’est qu’un détail entièrement personnel à l’égard de ce livre.
Premier livre de cette auteure journaliste australienne, j’espère qu’elle n’en restera pas à celui-ci car il est indéniable qu’elle possède une plume juste et sincère pour conter des histoires.
Je remercie les éditions des Presses de la Cité pour leur confiance (en particulier, Laura) et Netgalley.
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