"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un petit cirque ambulant, animé par des funambules et des acrobates, pas un de ces cirques qui montrent des numéros avec des animaux, des clowns et des femmes à barbe, un petit cirque à l’ancienne avec des numéros à vous glacer les os, quand Lucia et Arthénice s’envolent d’un même élan et se croisent à des hauteurs vertigineuses . Puis un jour, c’est le drame. Arthénice tombe et se brise la nuque. Une longue errance va commencer pour sa jumelle Lucia, qui n’arrive pas à dépasser cet évènement, elle va abandonner le cirque de ses parents, sa famille et sa vie sur une presqu’île de marais salants et là, elle va essayer de se reconstruire, grâce aux amis qu’elle finira par se faire et qui la guideront doucement vers un lendemain qu’elle n’espérait plus. Un roman qui se lit d’un trait, fluide comme un fil, empreint de poésie, on suit pas à pas cet être brisé, dans sa douleur de l’autre, une funambule au bord du précipice. Un sujet qui n’est pas sans originalité, mais qui n’arrive pas à lui seul, à en faire un livre d’exception.
Zulma a l'habitude de concocter de belles surprises. Ce roman ne dérogera pas à cette règle. A condition d'aimer les livres qui ne racontent pas forcément une histoire avec un début et une fin, d'aimer être surpris et prendre son temps. Car c'est une histoire qui ne se presse pas, des personnages qui prennent le temps de réfléchir sur leur vie actuelle, passée et future. Lucia Antonia rencontrera Eugénie et sa fille Astrée, deux réfugiées, un garçon voilier qui lui tend ses fils et un peintre poursuivi par le souvenir d'un ancien modèle. Tous vont lentement. Tous ont des envies, des souhaits, des désirs qu'ils expriment plus ou moins, des soucis dus à leur art, à leur passé d'artiste ou d'émigrées. Ils se rencontreront pour tenter de repartir ensemble ou chacun de leur côté.
Daniel Morvan écrit un texte plein de douceur, de calme, une sorte d'oasis de quiétude dans les moments d'intensité, de course parfois un peu vaine que l'on peut vivre au quotidien. Un livre qui prend son temps et nous fait prendre le nôtre ! L'auteur procède par ellipses. En le lisant, on ne visualise pas un film, mais plutôt des images arrêtées, à nous de faire le lien ensuite entre icelles, ce qui est automatique et sans effort. Lucia Antonia parle indifféremment de son présent, d'Eugénie, d'Astrée du peintre ou du garçon voilier, mais aussi de son passé avec Arthénice, de l'avant-accident et de son aïeul Alcibiade (son arrière-grand-père) qui écrivait lui aussi sur des carnets, le créateur du cirque et sorte de dandy de son époque.
C'est un récit qui avance par petites touches, 170 chapitres (écrits en chiffres romains = CLXX) pour 128 pages, avec des titres explicites qui permettent de se repérer dans le temps. Un livre superbement écrit, hymne à la liberté, la nature et la vie. Poétique. Onirique. Merveilleux. Lisez, par exemple, comment Daniel Morvan parle des marais salants :
"Sitôt les vannes ouvertes, l'eau se déploie en draperies cuivrées sous lesquelles la plaie séchée des sols craquelés cicatrise. De longues silhouettes arpentent les salines. Une main balaie la surface de l'eau et récolte le premier sel." (p.46)
Ou comment Lucia Antonia parle de son amour pour Arthénice sa presque-sœur et pour son art le funambulisme :
"Le fil est pour moi le lieu de la tranquillité et de la nuit. C'est sur le fil que je suis le plus proche d'Arthénice. J'y marche comme dans une forêt sans voûte étoilée pour l'éclairer. Toute pensée s'absente alors et je ne suis plus que mes pas sur un chemin de quatorze millimètres." (p.86)
"Un enchantement de lecture" est-il écrit sur le rabat de la première de couverture. Enchantement que je partage entièrement auquel je rajouterai même un ravissement. Et comme toujours, chez Zulma, la couverture est superbe et le livre (papier, mise en page, police d'écriture, aération du texte, ...) est un très bel objet.
Lucia Antonia, funambule se sent responsable de la mort de Athénice sa partenaire, son double. Depuis ce drame, Lucia Antonia a quitté le cirque de son grand-père.
Pourtant, sur cette presqu'île entourée de marais salants, où elle a échoué, elle marche à nouveau sur un fil. Elle y rencontre Eugénie et Astrée, deux réfugiées fuyant un pays en guerre, ainsi qu'un artiste peintre et un garçon voilier qui deviendra son ami. Ce lieu isolé va permettre à Lucia de se reconstruire et de mieux faire son deuil de feu Athénice.
Elle rédige alors des notes dans des carnets (quatre au total), des souvenirs, des anecdotes... qui lui permettent d'évacuer le trop plein d’émotions qu'elle gardait concernant Arthénice, sa jumelle funambule, sa fidèle partenaire.
Il y a beaucoup de grâce, de rêverie et de poésie dans ce roman. Lucia Antonia a la nostalgie de son ancienne partenaire et il s'en dégage une douce mélancolie. L’écriture tout en finesse de Daniel Morvan fait mouche.
En effet, en lisant ce livre sur le deuil, la faute et l'amour, on se sent comme sur un nuage, léger … comme une araignée sur un fil. On a alors l'impression que le temps est suspendu.
Ce roman est un très beau texte, un véritable "enchantement de lecture" pour reprendre les mots de l'éditeur.
Voici une sélection d’extraits tirés du livre qui j'espère vous donneront envie de le lire :
-"Ce carnet est destiné à tenir à jour mes exercices. Les pensées que j'ai d'Arthénice me sont dictées par elles depuis son séjour dans les limbes des équilibristes. Je les laisse donc venir sans honte et les consigne ici malgré la promesse faite à mon père de ne rien écrire. Qui d'ailleurs voudrait me lire ? J'écris pour me taire et ne penser à rien." (page 22)
- "Le départ d'une personne aimée fait de nous de grands hallucinés, et nous plaçons dans ces visions, la prophétie du retour." (page 85)
- "Le fil est pour moi le lieu de la tranquillité et de la nuit. C'est sur le fil que je suis le plus proche d'Arthénice" page 86)
- "Par ma faute Arthénice est tombée […] Le cirque a eu raison de me bannir à jamais. Me voici dans la fosse maudite des funambules qui ont causé la mort de leur partenaire." (pages 94-95)
- "La nuit je coupe la trajectoire soyeuse d'un oiseau qui m'effleure. Le funambulisme m'a appris à observer du point de vue le plus élevé, celui de l’effraie sur sa proie nocturne, de l'orage sur l'étang." (page 119)
- "Arthénice avait été ma sœur, elle devint mon pays" (page 125)
Jaqueline Crépet recommande ce livre au micro d'Augustin Trapenard, dans Le Carnet du libraire, sur France Culture, en partenariat avec Lechoixdeslibraires.com
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