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Rentrée 2016 : la mort à l’œuvre, si si !

La revue de presse d’Abeline Majorel

Rentrée 2016 : la mort à l’œuvre, si si !

Arnaud Viviant dans « Le Masque et la Plume » aura fait rire tout le public en affirmant haut et fort que la rentrée littéraire n’est pas faite pour les désespérés, ou plutôt trop faite pour eux : « La mort est partout dans cette rentrée littéraire ». 

 

Elle est à l’œuvre chez Jean-Paul Dubois. En cette rentrée littéraire, l’auteur du Cas Sneijder revient avec La Succession (L’Olivier). A Toulouse, dans la maison de ses parents qu’il habite, il a reçu David Carzon de « Libération ». Il y parle notamment de son sens du détail, comme celui qu’il attribuera au père médecin de son narrateur qui se scotche la mâchoire avant de sauter du huitième étage, et qui vit dans sa mémoire : « Celle de plusieurs personnes qui se sont suicidées dans le même immeuble aux Etats-Unis, dont la dernière s’était scotchée tout le visage. Ce détail m’a obsédé, j’ai essayé de trouver une réponse à ce geste sans vraiment y parvenir. Ne pas crier ? Garder un visage présentable pour ses proches? » « J’ai dans l’idée qu’on vivrait beaucoup mieux si on pouvait choisir nos souvenirs, élaguer ce qui nous pourrit la vie. » Pour le bien de ces lecteurs, espérons qu’il ne taille pas à la hache dans ses souvenirs. 

 

Et qui dit mémoire, dit temps. Le temps assassin (Presses de la Cité) est le dernier opus du best-seller Michel Bussi. Il a dû souffler un Mistral Gagnant sur le « Magazine des livres qui a emporté toutes les ambitions culturelles de la rédaction mais qui a le mérite d‘avoir ramené le populaire auteur pour boucher les trous et répondre à cette perspicace question : « Trouvez-vous personnellement Le temps assassin ? Oui, d’une façon générale, je trouve le temps assassin, comme tout le monde. C’est universel. » Petits meurtres entre amis de l’originalité. 

 

En cas de meurtre, il y a enquête, et quoi de mieux que de chercher le meurtre originel, celui qui serait l’origine de la violence. Dans l’excellent magazine « Books », vous trouverez un article sur l’homme qui a mené l’enquête et qui a résolu « le meurtre originel du père de la «horde primitive»» : Freud et son ouvrage « L’homme Moïse et la religion monothéiste ». Son hypothèse de départ : interroger la judéité de Moïse. A partir de là, il se livre à une déconstruction méthodique du monothéisme et bien sûr de lui-même, dans son rôle de croyant qui « participe à la grandeur de son dieu, et plus son dieu est puissant, plus efficace est la protection qu’il peut assurer ». On se croirait dans «Le Parrain» mais c’est plutôt « Usual Suspects », où comment « passer du meurtre symbolique du père au meurtre très réel de ses enfants infidèles. »

 

Et parlant de meurtre : de qui a-t-on souvent le plus envie de se débarrasser ? De ses voisins évidemment. La philosophe Hélène L’Heuillet livre en cette rentrée un formidable essai « Du voisinage » (édition Albin Michel) et explique dans « Elle » le potentiel romanesque de cette figure du voisin : « On vit ensemble dans une promiscuité physique, et pourtant on ne se connait pas. Qui est-il (le voisin) ? On le surveille, il nous surveille ? La nouveauté c’est que les voisins tournent. Chaque arrivant déclenche une inquiétude : ne représente-t-il pas une menace, un danger ? C’est la paranoïa ordinaire. » 

 

Mais même surveillés, il reste des jardins secrets. « On éprouve à la fois du plaisir et de la gêne lorsque l’on découvre trop tard les talents cachés d’un être que l’on a profondément respecté mais jamais vraiment bien connu. » C’est par ses mots que John Le Carré rend hommage à Mimi Perrin, sa traductrice avec qui il formait une sorte de couple littéraire et dont il ignorait la passion dévorante pour le jazz. Découvrir à la mort de cette femme de 84 ans en 2010, tout un univers que ce maitre des enquêtes n’avait jamais soupçonné, c’est ce que tente de dévoiler Vanity Fair dans un magnifique portrait de cette fan de jazz qui traduisit aussi les biographies de ces amis jazzmen comme Nina Simone, Miles Davis, et Dizzie Gillepsie. 

 

La mort rode aussi dans «L’Obs», où Veronique Cassarin-Grand nous parle du dernier roman de Niccolo Ammaniti, Anna (Grasset), uchronie dans la Sicile de 2020, frappée par un virus mortel «La Rouge» qui décime la planète. «Seuls les enfants sont épargnés jusqu’à l’âge de la puberté. La mère d’Anna et d’Astor, avant de mourir leur a confié un «cahier des Choses Importantes» où elle a consigné tout ce qui pourrait être utile à la survie dans un monde voué à retourner à l’état de nature... Tel un démiurge, Ammaniti, en éliminant les «Grands» de la surface de la terre, comme pour les punir d’avoir failli à leur mission, offre à Anna la conquête d’une liberté nouvelle.»

 

S’il en est qui pourrait nous parler de la survie, de la conquête des libertés et de la mort, c’est Harry Parker, auteur d’ Anatomie d’un soldat (Christian Bourgois), vétéran américain de la guerre d’Afghanistan ayant perdu ses deux jambes. Et pourtant, il nous parle de la vie, de la reconstruction de soi dans «Les Inrocks», et de son roman qui « est écrit du point de vue des quarante-cinq objets auxquels son corps eut affaire, directement ou indirectement, de son déploiement sur le terrain à son retour au pays : le garrot qui lui sauva la vie, son gilet pare-balles, sa nouvelle prothèse etc...» «Chaque objet a une tonalité, un timbre, une intonation spécifique.» Et puis « La peinture m’a appris deux choses : comment tout se tient, une question de formes, et à quel point on peut dire beaucoup de choses avec presque rien.»

 

Colum McCann lui a trouvé une solution pour ne pas laisser tomber dans l’oubli les histoires d’anonymes et il le raconte à Marianne à l’occasion d’une interview pour la sortie de son dernier opus Treize façons de voir (Belfond) : «Narrative 4 est une organisation, fruit de la collaboration d’artistes et d’étudiants, de professeurs et d’activistes. Notre philosophie est la suivante : si tu te mets à ma place, je me mets à la tienne. Si tu racontes mon histoire, je raconterai la tienne. Durant la dernière année, ce ne sont pas moins de 25 000 enfants, originaires d’Afrique du Sud, d’Irlande, du Rwanda et d’ailleurs, qui ont pu partager leurs histoires entre eux. Imaginez un protestant de Belfast qui se met à la place d’une femme arabe de Haïfa.»

 

Enfin, parlons de l’auteur et de sa mort que l’on annonce partout et qui n’advient pas, en citant cette nouvelle polémique qui secoue le monde de l’édition et dont «Libération» se fait l’écho après un post du réputé bloggeur bibliothécaire-juriste Calimaq, à propos de la publication par Glénat de «Pepper et Carrot» de David Revoy. Originellement publiée sur son site en licence Creative Commons, c’est à dire permettant toute réutilisation même commerciale par n’importe qui, l’auteur de «Pepper et Carrot», David Revoy, vient de signer un contrat avec les éditions Glénat qui évoque un partenariat pour la publication des premiers chapitres fonctionnant ainsi :  «Comme la BD est sous licence libre, Glénat, qui ne voulait pas se faire traiter complètement de dernier des radins, devient mécène en versant, désormais, 350 dollars (312 euros) par chapitre (depuis juin et pour une durée indéterminée)». Fureur à peine contenue des auteurs qui comme le démontre la dernière étude du CNL se paupérisent de plus en plus. Pourquoi ? Parce que l’usage actuellement est de payer l’auteur en avance sur droit, puis en droit d’auteur sur la vente des livres. Certes souvent cette deuxième partie est chiche mais en cas de succès, elle peut permettre à l’auteur d’en vivre. Ce partenariat ouvre un précédent inquiétant pour eux. Reste à compter sur l’éthique des lecteurs, qui pourront choisir de suivre Glénat dans cette démarche... ou pas. 

 

La bonne nouvelle, c’est qu’être lecteur, même de la rentrée littéraire, retarde votre mort. En effet, une étude de l’Université de Yale, dont «Le Figaro» se fait l’écho, démontre que « lire plus de 3H30 par semaine aiderait à prolonger l’espérance de vie de 20% sur 12 ans », soit deux années au moins de vie supplémentaires. Et bonne lecture à vous ! 

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