La revue de presse d’Abeline Majorel
La revue de presse d’Abeline Majorel
Livre posthume dont la publication s’est faite sous l’oeil de son fils cadet, lui-même écrivain.
Nick Harkaway (de son vrai nom Nicholas Harkaway) l’aurait fait publier sans en modifier une ligne. Vrai ou faux ? on ne saura jamais. On reconnait effectivement la patte de John Le Carré. On est tourné et retourné comme une crêpe dans des méandres assez longs au début ; une encore plus grande lenteur peut-être que pour ses autres grands romans d’espionnage tels que « La taupe » ou « La constance du jardinier ».
L’ayant écrit à près de 90 ans, pour ma part j’ai pu accepter cette lenteur supplémentaire dans la première partie où il présentant les indices, les situations et les psychologies des personnages. Puis, d’un coup tout s’accélère pour solutionner les interrogations. Le roman étant court, cela ne m’a pas perturbée. J’évoque ceci principalement pour étayer mes doutes quant à la rédaction de la totalité de cette oeuvre par John Le Carré lui-même.
Disons aussi que cette mise en forme peut dérouter un lecteur découvrant pour la première fois cet auteur.
Deux mots de l’histoire et de trois des personnages clé.
Julian Lawsdsley, initialement trader, achète une librairie dans un village du Suffolk et s’improvise libraire. On a d’emblée des doutes quant à cette conversion improvisée. Un jour arrive Edward Avon, universitaire à la retraite et ancien pote à son père. Ils se seraient perdus de vue lorsque le père de Julian a rejoint des évangélistes pour devenir pasteur, puis que la vie de ce dernier ne s’écroule. Précision, Edward est l’époux d’une spécialiste du Moyen Orient auprès de la Direction des Services Secrets. On retourne d’ailleurs 30 ans en arrière dans des pays comme la Pologne et la Hongrie. C’est Proctor, l’autre grand personnage, qui entre en jeu : il est lui aussi des services secrets. Et, en passant, ces derniers en prennent plein leur pomme par John Le Carré. Amusant.
Edward s’invite chez Julian et c’est partie pour ce dernier ouvrage posthume de notre grand écrivain Le Carré.
Il y a un moment que je voulais le lire et je n'ai pas été déçu ! Une intrigue bien menée, on croit savoir le dénouement mais au fil de l'histoire on doute, on se sait plus ! rondement te densément narrée !
Il en restait donc un dans un tiroir. Un manuscrit achevé mais non publié, et pas le dernier écrit. Il y a des explications sur cette non-publication en fin d'ouvrage mais à moins de faire parler les morts on ne saura jamais exactement pourquoi John Le Carré n'avait pas remis ce texte à son éditeur. Peu importe, pour dire au revoir à un auteur qu'on a toujours aimé lire rien de tel qu'un petit dernier de derrière les fagots.
Le titre français (en v.o. c'est Silverview) pourrait être un clin d’œil à la vie de l'auteur lui-même (je ne vous redonne pas sa bio ici, Wikipedia est fait pour ça). Mais il fait également référence au personnage central du roman, Edward, un bibliophile à l'allure surannée qui devient l'un des rares clients de la librairie de Julian, ancien trader de la City. Dans cette station balnéaire peu fréquentée en hiver, Julian fait l'apprentissage de la lenteur en même temps que de son métier et voit dans la compagnie d'Edward une bonne façon de combler ses énormes lacunes en matière de littérature. Pourtant, de nombreux mystères entourent Edward et l'immense demeure qui les abrite lui, sa femme mourante et leur fille qui semble jongler avec de multiples cartes. Quel était le contenu du message qu'elle a porté discrètement à Londres chez un certain Proctor de la part de sa mère et qui semble avoir activé une minutieuse enquête au sein des services secrets britanniques ?
Ce qui frappe dans ce roman c'est un certain désenchantement. Les espions vieillissent et lorsqu'ils se retournent sur leur parcours à l'aune de l'état du monde... il y a de quoi se demander si leurs actions ont servi à quelque chose. Chez Le Carré la campagne anglaise regorge de familles d'espions (plus facile d'être en couple avec quelqu'un du métier, quoi que...) dont les activités semblent tues de façon tacite par un entourage parfaitement au courant. Peut-on être anglais sans être un espion ? Là est la question. Nous sommes bien loin des héros glorieux et infaillibles, ici les hommes ont vu trop de choses pour ne pas en garder de lourdes séquelles. Reste la petite étincelle, l'ultime pirouette de celui qui parvient, malgré tout à garder la main sur la suite de son destin. John Le Carré s'est échappé, mais il nous reste ses livres et toutes les clés à déchiffrer.
(chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
Le dernier Le Carré s’intitule donc « L’espion qui aimait les livres », jolie pirouette de l’auteur, ex-espion ayant passé la majeure partie de sa vie à écrire des livres.
Tout avait commencé avec « L’espion qui venait du froid », (en réalité le troisième roman de l’auteur) celui qui décida de quarante ans de succès. A cette époque, George Smiley ne se posait pas de question, il faisait la guerre à un ennemi implacable. Et puis, un jour, George triompha de Karla, un autre vit le mur de Berlin s’effondrer ce qui permit à beaucoup de commentateurs de ce côté-ci du rideau de fer désormais bien rouillé de prétendre que c’était la « fin de l’Histoire ».
Les héros de Le Carré firent désormais face à des multinationales pharmaceutiques (la Constance du jardinier), à des trafiquants d’armes (Le Directeur de nuit) et commencèrent à s’offrir le luxe de tomber amoureux (Comme un collégien, la Maison Russie). Ils se posèrent des questions sur le bien fondé de leurs missions (Le Chant de la mission), ils commencèrent à éprouver des sentiments et de la compassion pour les victimes de causes qu’ils étaient chargés de combattre (Un Homme très recherché).
Ici, le héros de la guerre froide a pris sa retraite, il ne s’intéresse plus qu’aux porcelaines et aux livres. Qu’a-t-il vécu en Bosnie ? Aurait-il repris du service à l’insu du « service » ? Les livres qu’il aime beaucoup lui serviraient ils de couverture ?
Inutile de déflorer plus avant cette intrigue subtile et pleine de sous-entendus.
Les espions réclament leur libre arbitre. La saga se termine bien loin de la rigueur de George Smiley mais n’est-elle pas l’exact reflet d’un Occident épuisé, endormi à force de compassion, préférant chercher à comprendre ses ennemis plutôt que les combattre ?
George Smiley est mort, John Le Carré est éternel.
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