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Les réponses de Marie Barthelet aux lecteurs de son roman "Celui-là est mon frère"

Rentrée littéraire 2016 Buchet-Chastel

Les réponses de Marie Barthelet aux lecteurs de son roman "Celui-là est mon frère"

Cet été, les explorateurs de la rentrée de lecteurs.com ont lu et aimé Celui-là est mon frère (Buchet-Chastel). Un premier roman fort, signé par Marie Barthelet, au style déjà très affirmé et à la construction impeccable, qui a suscité des questions de la part de nos premiers lecteurs.
Marie Barthelet a eu la grande gentillesse d’y répondre et prolonge ainsi l’intérêt et le plaisir qu’on a trouvé en lisant son livre.

 

Gaëlle M :

Pour un premier roman, le choix du sujet de votre livre est très particulier, comment l’avez-vous trouvé ?

 

Le sujet est tiré d’une histoire du livre de l’Exode, dans la Bible, contant l’affrontement du pharaon Ramsès et de Moïse pour la libération des Hébreux, alors esclaves des Égyptiens. De nombreuses adaptations de ce récit, notamment cinématographiques, ont déjà été proposées, aussi ne voulais-je pas en faire une simple réécriture. J’ai conservé l’idée principale et la trame des événements, mais j’y ai greffé d’autres thèmes comme celui de la famille et du pouvoir, qui ne sont pas les sujets principaux du texte d’origine.

 

Pourquoi ce choix de narration, une longue lettre ?

 

En réalité il s’agit d’un monologue, d’une confession que fait le narrateur à son frère en fin de récit, lorsque tout se dénoue. Le ton du roman, l’adresse à un « tu », m’est venu spontanément. Il me semblait juste de rendre la parole à un personnage méprisé de l’histoire, un tyran, celui dont on répugne à sonder l’esprit.

 

Vous êtes-vous inspirée d’un fait d’actualité, historique ?

 

A part le récit de l’Exode, j’avais en tête tous les conflits ou phénomènes historiques qui ont opposé deux peuples ou deux cultures dans le partage d’un territoire : l’esclavage, la colonisation, la stigmatisation de minorités, etc. Cela fait bien sûr écho à notre actualité – je pense à l’accueil des migrants et des immigrés en général – mais je n’ai pas voulu écrire ce roman en réaction à un événement particulier de notre actualité.

 

Pourquoi avoir choisi de rester très vague sur le lieu géographique de l’histoire ?

 

Pour en renforcer le caractère universel. J’ai pris le ton du conte, on pourrait dire aussi celui du mythe, en gommant toute localisation, toute temporalité et en m’abstenant de nommer les personnages principaux, afin que le lecteur puisse s’approprier l’histoire et la relier à ses préoccupations, à son vécu.

 

Geneviève Munier :

Les événements actuels ont-ils été le déclencheur de ce roman ?

 

Non, ce roman a d’abord été écrit sous la forme d’une nouvelle en 2014, puis réécrit et augmenté entre février et juillet 2015 pour aboutir à un court roman. Il ne s’agit donc pas d’un texte rédigé en réaction aux attentats. Bien sûr, il se fait tout de même écho de notre actualité ; le terrorisme, le soulèvement des peuples (comme par exemple le Printemps Arabe), le problème de l’accueil des migrants, j’avais tout cela en tête en écrivant, mais en arrière-plan. Je cherchais d’abord à raconter une histoire, celle de ces deux frères.  

 

Les relations fraternelles sont-elles un écho de votre propre vie ?

Je m’en suis en effet fortement inspirée. J’ai deux sœurs dont je suis très proche. Je ne peux pas imaginer que l’une d’elles me tourne le dos ou disparaisse, bien que cela puisse arriver. Je me suis donc facilement projeté dans mon jeune chef d’État, l’affection presque amoureuse qu’il porte à son frère adoptif, son désir de le retrouver tel qu’il était auparavant et son incompréhension face au changement.

 

Comment commence-t-on un tel roman ?

 

Il y a d’abord eu l’envie de sonder les zones d’ombre dans le duel entre Pharaon et Moïse, en me plaçant du côté du tyran. Je me faisais ces réflexions : « Cet homme méprisé a forcément des sentiments pour son frère adoptif. Il fait peut-être face à un dilemme intenable. Que ressent-il ? Comment peut-il choisir entre la sécurité de son pays et le bien-être de ses habitants et son frère sur le retour ? L’amour peut-il aveugler à ce point ? Qu’éprouvent les hommes de pouvoir face à une situation de crise ?… » J’ai ensuite fait quelques recherches sur le récit d’origine et son sens véritable, puis je m’en suis éloignée pour composer mon histoire. Je prends beaucoup de notes en écrivant, je recopie des passages de poèmes, je rassemble des images susceptibles de m’inspirer, j’écoute de la musique. L’écriture de ce roman a été hantée par la lecture des poèmes de Mahmoud Darwich, des Nouvelles Orientales et de Feux de Marguerite Yourcenar.

 

Clara Defachel :

Dans une vidéo dans laquelle vous présentez votre roman, vous expliquez qu’il s’agit en fait d’une réécriture d’un passage de l’Exode. Pourtant, aucun nom n’est mentionné dans Celui-là est mon frère, aucun élément spatio-temporel majeur non plus. Parce que ceux-ci étaient superflus, ou pour donner un caractère universel à cette histoire ?

 

Cette histoire, l’affrontement entre deux peuples ici incarnés par deux frères, me paraît universelle et atemporelle. Mais la restituer dans son contexte d’origine ne me convenait pas. Cela l’aurait datée, aurait demandé beaucoup de recherches et les lecteurs se seraient sûrement dit qu’ils la connaissaient déjà, qu’il n’était pas besoin d’une énième version. Je préférais garder l’idée et le déroulement du récit d’origine (avec un changement significatif pour la fin), en l’inscrivant dans un monde un peu plus actuel, où résonnent les pétarades des voitures et où l’on se procure des armes à feu, où les médias jouent aussi un grand rôle… Un État qui ressemble au nôtre. C’est le parti-pris de Yourcenar dans des nouvelles du recueil Feux : réécrire un mythe de l’Antiquité grecque en le plaçant de nos jours, par de discrets éléments de décor. C’est mon choix d’écriture pour ce roman, un conte oriental, mais un conte contemporain, qui parle de nos problèmes. En abolissant les précisions de localisation, de temporalité, d’identité des personnages, chaque lecteur pourra se réapproprier ce récit.

 

Merci à Marie Barthelet pour ses réponses !

 

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Commentaires (3)

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