C’était l’un des nombreux temps forts de ces Correspondances 2020 : Miguel Bonnefoy, écrivain en résidence à Manosque en 2018, revenait en Provence pour présenter son nouveau roman Héritage (éditions Rivages), très en vue lors de cette rentrée littéraire.
L’auteur franco-vénézuélien, également juré du Prix Orange du Livre cette année, a eu l’immense gentillesse de nous accorder un entretien où il explique les racines de sa fresque familiale et évoque avec passion les thèmes de l'exil, du partage et de la transmission.
Interview de Miguel Bonnefoy pour Héritage
- Qu’y a-t-il à l’origine de ce roman ? Quelle est l’envie première ?
Je voulais exhumer de l’oubli l’aventure extraordinaire des Français au Chili, pouvoir raconter l’histoire de ces hommes du Jura, de ces Basques et de tous ceux venus de tant de régions différentes de France. Ils sont partis pour diverses raisons : le phylloxéra, mais aussi suite à la Commune de Paris, parfois en raison du déboisement, ou pour fuir des guerres intestines en Europe. Ils sont allés en Argentine, au Chili, parfois en Californie dans la Napa Valley pour aller replanter ces pieds de vigne sur les flancs de la cordillère et faire souche là-bas. Ce sont des hommes et des femmes qui ont recréé une « petite France » à l’étranger, à 12 000 kilomètres de distance, avec les coutumes, les traditions, les mœurs françaises.
J’avais aussi envie de raconter une fiction en inversant les rôles, en montrant que les Français aussi avaient été des migrants autrefois. Hier, ils faisaient le même chemin que ceux qui aujourd’hui prennent des bateaux de fortune dans l’espoir d’une vie meilleure. C’était donc aussi une façon de mettre en lumière cet aspect de la France.
C’est un peu l’histoire de ma famille en un sens, car il semblerait que les Bonnefoy viennent du Jura, soient allés au Chili, aient fait souche là-bas avant de revenir au moment de la dictature de Pinochet, 100 ans plus tard. Et l’idée est aussi de dresser un livre qui puisse élever des ponts entre les peuples, favoriser un dialogue entre les cultures, à une époque où les métissages et les croisements se font de façon de plus en plus en plus obscure et blessée. Il était important de faire entendre une voix qui montre qu’il y a eu des croisements, qu’il y a eu des grandeurs et que lorsque les peuples se sont mélangés, ils sont parvenus à faire de belles choses.
- Nous aimerions vous faire réagir par rapport à cet avis déposé par notre lectrice Nathalie : « Une fresque familiale haute en couleurs qui s'étend sur un siècle. Chaque membre est à la fois fort et fragile. On aimerait savoir ce que devient la génération suivante encore et encore. Porteront-ils toujours cet héritage si douloureux et si beau à la fois ? »
C’est très beau, et en effet, comme vous pouvez le voir, la première phrase du livre est une dédicace à ma fille, Selva : « Toi qui es la seule à connaître la suite ». Ce que j’observe, c’est qu’à force d’héritage ou d’atavisme, tu finis par reproduire des schémas que tu as combattus autrefois. Tu finis par ressembler à tes ancêtres sans même le vouloir, tu reproduis leurs erreurs, les petitesses et les grandeurs. En étudiant la généalogie, j’ai été étonné de me rendre compte que nous étions depuis très longtemps des familles de déracinés et d’exilés. Et alors, par un système atavique, tu te dis « moi aussi, je vais être un exilé, un déraciné ». J’ai 33 ans, et je dois reconnaître que je ne fais que voyager, me déraciner et m’exiler.
Il y a aussi l’idée de pouvoir s’exiler de soi-même pour écrire le livre : un exil intérieur. Sortir de son histoire familiale, de ses petites affaires pour pouvoir aller vers la fiction. Il y a d’une part la réalité, qui est folle et invraisemblable, et en parallèle la fiction qui est une sorte d’exil de la réalité. Je trouvais que c’était beau d’avoir cette mise en abyme, avec cet exil qui n’est pas seulement géographique mais aussi à l’intérieur de soi.
Alors, quels sont les prochains dilemmes, que se passera-t-il avec les prochaines générations ? Est-ce que ce sera vraiment un exil géographique ou au contraire, n’est-on pas dans une autre modernité ?
- Vous avez fait partie du jury du Prix Orange du livre 2020. Pouvez-vous nous raconter cette expérience et nous dire un mot du lauréat ?
Il n’y a rien de plus beau que les prix démocratiques ! Nous sommes nombreux, de plein d’endroits différents, avec des métiers, des classes sociales et des âges différents. C’est génial de parvenir à tous se mettre d’accord, sans aucune sorte de lobbying, pas d’affaire sous la table, de question de gratitude… C’est juste, essentiellement, de la démocratie, et le plaisir de la lecture.
Quand on reçoit à la maison ces 55 ou 60 romans, on se dit que c’est fou, vertigineux et qu’on n’en viendra pas à bout. Mais à force de les lire, on avance avec plaisir et on se fait une idée. Ensuite, c’est difficile de délibérer et de choisir car tous les textes sont extraordinaires, mais vraiment ce que je retiens encore une fois c’est le plaisir de cet échange, cette table ronde. C’est un souvenir éblouissant, fabuleux !
En ce qui concerne Guillaume Sire et Avant la longue flamme rouge, il était dès le départ dans mes préférés. On voit tout de suite les livres qui ont une cohérence, une alchimie par rapport à leur sujet, à la langue, à la structure : quand tout s’encastre parfaitement. C’est ce qu’a le livre de Guillaume Sire : il est alchimique.
Ce qui m’a particulièrement touché, c’est le côté homérique, biblique et mythique de son livre. Le voyage que fait Saravouth est le voyage d’Ulysse, un éternel retour, un récit d’apprentissage. C’est un héros providentiel et il y a tous les éléments du récit mythique, mais avec cette portée politique et historique et une langue hallucinante. Tout était grand dans ce livre de Guillaume Sire. J’y ai trouvé quelque chose de très fort : d’arriver à manier le « hier » et le « aujourd’hui » sans problème, être à la fois pudique et puissant avec une porosité parfaite.
- Que pouvez-vous nous dire de ces Correspondances de Manosque 2020 où vous venez partager Héritage ?
Etre ici, c’est revenir à la maison. Le criminel revient toujours sur les lieux du crime ! [NDLR : Miguel Bonnefoy a été écrivain en résidence à Manosque en 2018]
C’est un endroit où je me sens très à l’aise, où j’ai des amis. Il y a des collégiens, des lycéens, des professeurs qui ont été extraordinaires et m’ont montré à quel point les ateliers d’écriture et la transmission du savoir sont essentiels. Je retrouve aussi les lieux, les places, les ruelles qui m’ont inspiré pour le premier chapitre du livre.
Et là pour les Correspondances, je retrouve des amis, des écrivains, des animateurs, des organisateurs de Prix. A Manosque, on sent que l’héritage de Jean Giono permet de créer des ponts, des liens entre des univers, des langues et des structures. Manosque est ce creuset où viennent se fondre différentes musiques et j’en garde un souvenir ébloui.
Ici, je me sens chez moi, moi qui n’ai pas « une » maison mais au contraire plusieurs. Je me sens chez moi à Paris, à Caracas, à Santiago ou à Rome… Avoir le même sentiment à Manosque, c’est un vrai bonheur.
Propos recueillis par Nicolas Zwirn
Quel style ! Lire « Héritage », c'est être frappé, dès les premières pages, par la prose brillante et enlevée de Miguel Bonnefoy. Comment ne pas être happé par l'énergie qu'insuffle l'auteur à son récit et être ému par la merveilleuse galerie de personnages qu'il nous présente ? C'est aussi admirer le talent de l'auteur qui sait mêler l'histoire intime d'une famille chilienne d'origine française et la grande Histoire du XXème siècle, marquée la violence et les guerres.
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Merci pour l'interview. Un auteur que j'apprécie depuis son premier livre. J'ai bien sûr retenu celui-ci à la bib
J'étais à Manosque, ravie de rencontrer à nouveau Miguel Bonnefoy ( en 2018, il y parlait du Voyage d'Octavio) Il était à Lille, juste avant les Correspondances: j'ai lu Héritage dans le train!
nb: il est chilien et non vénézuélien (c'est sa mère qui l'est, je crois) Il a épousé une danoise (ou d'un autre pays du nord) et sa fille est la première à avoir des yeux bleus!
Un point très important pour lui:
"J’avais aussi envie de raconter une fiction en inversant les rôles, en montrant que les Français aussi avaient été des migrants autrefois. Hier, ils faisaient le même chemin que ceux qui aujourd’hui prennent des bateaux de fortune dans l’espoir d’une vie meilleure. C’était donc aussi une façon de mettre en lumière cet aspect de la France."
Il espère que l'Europe et en particulier la France accueillera ces exilés dont certains vont l'enrichir de leurs talents. Un très bon livre et un auteur très tonique.
Interview à lire tres intéressant qui tente de découvrir son livre est decouvrir l auteur que je ne connais pas
J'apprécie l'univers de Miguel Bonnefoy et je lirai certainement ce livre
Après Sucre noir, un roman qui m'avait surpris, Miguel Bonnefoy confirme comme son excellente interview le confirme. Un autre chois ne m'a pas permis de l'écouter aux Correspondances de Manosque et c'est dommage car cete écrivain est d'un enthousiasme communicatif, mais je me rattraperai en lisant Héritage !
Une très belle et très intéressante interview sur un auteur que j'apprécie beaucoup et qui est quelqu'un de très chaleureux. Cet entretien renforce mon désir de découvrir "Héritage". Merci !
J'ai très envie de lire ce roman !
Bonjour et merci pour cet interview très intéressant !