Depuis neuf ans, l’opération des Explorateurs de la rentrée de lecteurs.com est tout autant un rendez-vous incontournable qu’une magnifique expérience collective, stimulante, créatrice de liens et d’échanges, de celles que nous encourageons à chaque moment sur ce site.
Le palmarès 2021 des 10 meilleurs romans sélectionnés par nos Explorateurs de la rentrée littéraire est enfin paru. Vous allez pouvoir découvrir ces romans français ou étrangers écrits par de nouveaux talents de la scène littéraire. Nos 50 lecteurs s’en sont délectés et vous font part de leurs coups de cœur. 10 livres, 10 chroniques qui vont vous mettre en appétit, si ce n’est déjà fait, et vous permettre de faire votre propre sélection.
Géraldine C, l’une de nos exploratrices de la rentrée littéraire, vous présente le roman de Nina Wähä, Au nom des miens (Robert Laffont), N°5 de notre palmarès dans la catégorie littérature étrangère.
"Robert Laffont nous fait une belle surprise en publiant le premier roman traduit en français de Nina Wähä, auteure suédoise, bien connue dans son pays pour avoir exercé ses talents dans d'autres domaines artistiques comme ceux du chant et de la comédie. Elle signe ici une fresque familiale empoignante, celle de la tribu Toimi, singulière à plus d'un titre, tant par l'histoire de sa famille que la diversité des caractères qui la composent.
Parlons d'abord de la forme. Elle se démarque du roman-fleuve par la présentation de son récit - avec ses didascalies remarquables au tout début du récit et qui chapeautent chacun des chapitres - qui fait de lui un hybride entre une fiction narrative et un drame en trois actes. Il n'y a pas qu'au niveau de la forme que l'auteur a décidé de pratiquer un mélange des genres tout à fait personnel, elle a également décidé de mêler Suède et Finlande, les deux pays voisins ont toujours eu une histoire liée, et quelques expressions anglaises, qui marquent vraiment un décalage entre la voix narratrice, très présente, et ses protagonistes. Ce mélange de codes, que je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer ailleurs que chez Nina Wähä précédemment, est à mon sens une façon inédite (ou peu expérimentée, je n'ai pas la prétention d'avoir tout lu) d'explorer le destin d'une famille sommes toutes semblable à tant d'autres familles finlandaises, exception faite du nombre d'enfants qui est de quatorze enfants, rappelons-le, en comptant les deux aînés disparus. Une façon de souligner, cette tragédie intime, qui s'est joué dans le cadre utérin de la fratrie, par les parents. Tragédie qui reste l'un de ces innombrables accidents de vie qui a frappé d'innombrables familles recluses dans une époque, un lieu de vie et une situation sociale difficiles. La mort d'enfants.
Le fil de l'histoire, je ne l'ai pas lâché d'un bout à l'autre du roman ou plutôt, c’est le fil qui ne m'a pas lâché. Car une fois qu'on a surgi dans la vie des Toimi, bien difficile d'en trouver une voie de sortie. La focalisation interne nous fait passer d'intériorité en intériorité, découvrir chacun des Toimi sous divers angles, tellement différents qu'ils constituent à eux seuls un bel échantillon d'une société finlandaise divisée, fragmentée. Chaque personnage apporte sa vision de ce prisme qu'est cette grande famille. Le point de vue des uns, des autres qui défilent dans un récit dense, sans fin, m'a permis d'appréhender les mécanismes de fonctionnement de ce clan, sous le signe d'un père taiseux, d'une sauvagerie qui confine la bestialité, qui domine les siens avec son aura de chef de famille despotique, d'une mère dominée, mais aimante. Il vous faut absolument lire ce texte jusqu'à la fin pour tenter de comprendre ces stigmates qui ont crucifié le père de famille dans le rôle de l'impie, qui ont sanctifié la mère au point d'en faire une sainte, quasiment.
Pleine d'une écriture concrète et précise, aussi solide que les membres de la famille Toimi, parfois volontaire elliptique - car certaines évidences se devinent toutes seules, l'action de l'auteur s'arrête là où commence l'imagination du lecteur qui n'a plus qu'à relier les fils- Nina Wähä a concocté une drôle de tragédie septentrionale, avec ses personnages finement façonnés, qui fait de ces lieux improbables, reclus dans une solitude qui a gelé le passé, les lieux de ces tragédies, qui entachent les familles frappées d'un drame, qui frappent comme une malédiction."
Merci à lecteurs.com de m'avoir permis de découvrir ce roman venu du Nord!
Au nom des miens Nina Wähä Éditions Robert Laffont
Roman autobiographique, captivant et sombre, parsemé de quelques moments drôles.
Ce récit commence par l’apparition d’Annie, jeune femme enceinte qui vit à Stockholm avec Alex et retourne voir sa famille pour les fêtes de Noël. D'autres personnages se dévoilent au fur et à mesure. Les vies des 14 frères et sœurs dans leur complexité mais surtout l’incroyable destinée de Siri, cette mère courageuse grâce à laquelle nous voyageons depuis la Carélie jusqu’à Tornio en Finlande et plongeons dans la réalité historique de ce bout de terre où tant de personnes souffriront, seront déplacées et devront fuir pour ne pas tomber sous le joug russe de la dictature communiste: saga qui raconte la vie de cette grande famille réunie pour Noël. Chapitre après chapitre, des souvenirs sur les enfants et les parents sont évoqués, décrits en détail, leurs différences de caractère soulignées parfois de manière crue, le désir pour les uns de s’éloigner de cette terre et de cette ferme et pour les autres au contraire de mieux s’enraciner, sont relatés avec les détails même les plus sombres. L'auteur raconte l'enfance de Siri, sa rencontre avec Pentti et son mariage, puis son installation en Tornéladie, l’exil causé par la guerre et le partage des terres. Les traumatismes liés à son enfance ressurgissent comme la fuite vers le nord et la vie dans le camp de base à Joeusuu au Nord de la Carélie, dans l'attente d'être répartis vers d’autres fermes. Elle retrouve Pentti: ils se marient puis partent à Rovariami dans la ferme où la vie n’épargnera personne.
L'auteur rappelle également l'origine Sami de Pentti, sa vie auprès de son père, un austère prédicateur laestadien qui vit avec sa deuxième épouse suédoise et qui ne laisse beaucoup de place aux sentiments. Pentti sera élevé dans la souffrance et même dans la haine. Ce départ dans la vie ne l’aidera pas à ménager sa propre femme ni à montrer son amour à tous ses enfants envers lesquels il sera violent jusqu'à les terroriser. Chacun devra se construire comme il le pourra.
La vie à la ferme semblait si dure à Annie qu'elle avait toujours rêvé de la quitter au plus vite. Elle s’installe en Suède, à Stockholm, dans le quartier des Finlandais, à Brandbergen où elle travaille sur un ferry puis dans un restaurant.
Tatu, l’un des frères, vient chercher Annie à la gare juste après être sorti de prison où il a purgé 12 mois. Alcoolique comme beaucoup, il tue deux femmes dans un accident. Il a en outre des relations malsaines avec sa copine Sinikka.
Lauri, le petit frère, travaille aussi sur un ferry et pendant un moment partage avec Annie l’appartement à Stockholm. Il est homosexuel et rêve de partir à Copenhague pour avoir encore plus de liberté.
Riico et Elina, leurs premiers enfants, sont morts jeunes. Ce drame sera presque insurmontable pour Siri et Pentti.
Hirvo, sylviculteur bègue et sauvage, a été traumatisé par un père diabolique capable des choses les plus ignobles. Il l'aime pourtant et reste avec lui après le déchirement de la famille. Mais comme le père a failli le tuer, il s’enfuit dans la forêt pour construire une cabane et y vivre seul en liberté.
Arto est tombé dans l’eau bouillante a quatre ans et a failli mourir.
Onni, la petite dernière, a six ans, trop petite pour comprendre ce qui arrive dans la famille. Elle adore jouer avec Arto.
Tarmo vit à Helsinki et travaille dans un magasin. C'est un homosexuel à l'intelligence brillante mais qui est suicidaire.
Esko, le fermier, vit avec Seija, une institutrice, dans la ferme familiale de Aapejärvi qu' il veut acheter. Finalement il réussira à s’y installer par une ruse incroyable et à y construire sa propre ferme.
Lahja a 14 ans. Son petit ami Matti la maltraite déjà. Mais finalement elle est attirée par Maire, une fille dont elle se sent très proche. Elle aime beaucoup lire et a une forte complicité avec son frère Tarmo.
Helmi, l'une des plus jeunes sœurs, s’entend bien avec Annie et vit avec Grand Pasi, qui est concierge, et leur petite fille de trois ans, Petit Pasi. Ils ont tous les deux un sérieux penchant pour l’alcool. Toutefois sa relation avec Annie se détériore peu à peu.
Valo, le grand frère, brûle le garage pour extorquer de l’argent à l’assurance mais il n’a pas vu que son frère Tatu était dedans et qu'il a failli y rester: il est défiguré à vie! Il ment pour se justifier en prétendant avoir vu son père mettre le feu au garage.
Voitto, l’aine des frères, est d’une nature cruelle et massacre souvent les animaux. Faisant carrière dans l’armée, il revient d’un service militaire effectué à Chypre. Il ne l’avouera à personne mais il n'y retournera pas car il a été en quelque sorte « remercié ».
Les frères et sœurs organisent une réunion pour convaincre leur mère de divorcer. Finalement celle-ci prend la décision de partir pour refaire sa vie avec un homme qui l'aime: elle connaîtra enfin le bonheur à plus de 50 ans!
Pentti reste dans la ferme familiale et y succombera lors d'un incendie.
Ce récit témoigne de la vie dure des paysans de Carélie et des contrées les plus septentrionales de l'Europe, des changements entre les générations des années 1940 et celles des années 1980 qui aspirent à la liberté, ne veulent plus rester travailler la terre et trimer dans une ferme. Il témoigne aussi de la difficulté pour ces peuples à se comprendre et à s'accepter dans la diversité des langues et des cultures.
Ce roman polyphonique se termine avec le départ d'Annie, qui, malgré toute sa volonté, ne réussira pas à connaître la vérité sur ce qu’elle pense avoir été un acte criminel. Elle accouchera d’une petite fille avec laquelle naîtra l’espoir d’une nouvelle liberté.
Chronique très intéressante, je le lirais bien ,il m'a attirée de cette famille Finlandaise eest se mélange ma plaît bien à découvrir
La chronique est belle. Elle fait le tour de son sujet. Mais je ne suis pas sûr d'avoir envie de lire cette fresque familiale. Pas certain d'y trouver une inspiration à vivre ma vie familiale dans la simplicité de la durée que j'apprécie dans mes liens relationnels.
Bonsoir, merci pour cet avis sur cette fresque familiale que je lirai certainement.