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Voyez-vous est le premier livre de Lætitia Bianchi, livre tout court plutôt que roman puisqu'il est agencé d'une façon à la fois complexe et délibérément ludique. Ce texte alterne un certain nombre de motifs, comme autant de modes d'emploi de la vie moderne : mini-cours de grammaire délirés, fausses réclames, sous-titrages d'émissions télévisées, bestiaires d'anatomie comparée, comptes rendus d'expériences psycho-spéléologiques, digests mythologiques, sujets de dissertation pour élèves turbulents, sans oublier la mélopée persistante des coups de gueules des «enfants très cons» et les professions de foi politico-métaphoriques qui ponctuent violemment les douze chapitres de ce cut-up inclassable. Deux personnages surgissent comme de nulle part : le je fragile d'une narratrice minutieuse, narquoise et contemplative, mais aussi celui aphoristique, sinueux et sensuel d'une «vieille fille». Dans cette structure originale, la savante polyphonie n'étouffe jamais la vitalité insolente des paroles dissidentes, discordantes, déroutantes. In fine, de quoi nous parlent toutes ces bribes de discours ? Elles nous interrogent sur les simulacres de nos vies intimes, sur les faux-semblants de nos existences, sur les lieux communs de nos identités. Et, pour ce faire, elles se ressourcent au coeur des paradoxes qui habitent le moindre fragment de langage, la plus anodine association d'idées, le plus trompeur reflet de telle ou telle icône sociale. Bref, ils sondent dans nos usages des mots et des images l'indice d'une zone de turbulence, quelque chose comme l'ombre d'un doute... On doit aussitôt préciser que ce texte en perpétuelle déconstruction n'échoue dans aucun hermétisme puisqu'il réussit à établir d'emblée une complicité dynamique avec le lecteur. En effet, toutes les références ici mises en relief ou en porte-à-faux font appel à un fonds culturel commun, une sorte de mémoire latente qui remonterait à notre prime enfance. Et c'est dans ce va-et-vient permanent entre une imagerie élémentaire, joyeusement enfantine, et un imaginaire adulte que ce texte parvient à se jouer de sa propre difficulté. Car s'il s'agit d'un jeu de société, au sens propre comme au figuré, ce casse-tête déjoue à mesure toutes les règles que nos idées reçues voudraient lui fixer. On s'amusera à repenser aux fictions illogiques de Lewis Caroll, à leur cruauté doucereuse, à leur mise en abîme drolatique mais jamais innocente. On repensera, sans trop d'esprit de sérieux, au coryphée du théâtre antique. On n'entendra la rumeur lointaine des cent mille personnages pour une seule prose d'un Valère Novarina. Mais faut-il vraiment abuser de tant de noms propres pour donner envie de lire le roman en trompe l'oeil de Lætitia Bianchi ? Voyez-vous ? Voyez vous-même...
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