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La mathématique, en particulier l'élégante topologie, peut-elle influencer toute une vie, un amour ?
Laurent Kropst retrouve de manière inattendue Thomas Arville, la légende des prépas de Louis-le-Grand, la légende de Normale Sup, le successeur tout désigné de Cédric Villani, le futur lauréat de la Médaille Fields, traînant sa peine comme prof de lycée dans une banlieue pourrie.
Au lieu de suivre la voie brillante toute tracée que lui permet son génie des mathématiques, Arville, après être entré à l'École Normale Supérieure part faire un séjour au Japon. Là il travaille peu, mais découvre la vie facile et tombe amoureux d'une jeune fille, Ayako, qui incarne la pureté qui le fascine tant et qu'il recherche partout, et avant tout dans le raisonnement mathématique.
Survient Fukushima. On le presse de rentrer par le premier avion. Impossible de laisser Ayako qui l'a soigné un jour qu'il était malade et dont l'amour sans partage l'émeut. Après avoir étudié de façon rigoureusement scientifique la manière de se protéger du danger, il revient à Paris à la fin de son stage comme prévu, mais avec elle. Terminé le doctorat et la recherche, les universités américaines et la médaille Fields, il doit chercher au plus vite un poste qui lui permette de faire vivre son ménage. Il finit épuisé au lycée de Goussainville, dans un deux-pièces du XIXe arrondissement, en butte au racisme ordinaire que subit sa femme incapable de parler français et harcelée par des maquereaux chinois.
En désespoir de cause il épouse Ayako, ils cherchent à avoir un enfant, il essaie de publier dans des revues scientifiques, tout rate et leur amour se défait. Elle repart au Japon et lui revient à la vie « normale ».
Un roman dérangeant et brillant. Une vision lucide et désabusée de ce qui fait la réussite si on a les talents et les diplômes mais qu'on néglige les réseaux et les relations sociales. C'est aussi ça la modernité.
Revoilà Laurent Kropst déjà rencontré dans Le théorème de Kropst il y a un peu plus de deux ans. Cette fois-ci, il est le faire-valoir de Thomas Arville, celui qui recueille son histoire et par son intermédiaire, nous permet de la recevoir nous aussi. Alors merci Laurent Kropst, parce que cette histoire est vraiment très bonne et comme la précédente, elle réconcilie mathématiques et littérature. Vous savez que je suis aussi bon en mathématiques que C. Angot l'est pour faire des phrases compréhensibles, c'est dire si je ne capte rien à la chose. Et bien, malgré mon handicap, je me suis plu à lire les pages consacrées à la topologie des maths, cette "partie la plus conceptuelle des mathématiques [...]. Il n'y a dans cette section des mathématiques pour ainsi dire aucun calcul à effectuer. Il s'agit uniquement de réfléchir à des formes, ou des systèmes de formes, ou des interactions de systèmes de formes, en prenant appui sur l'ensemble des exemples connus accumulés par l'histoire et la pratique des toutes les autres branches des mathématiques. La topologie s'intéresse à des espaces, à des lieux, dans le sens le plus général du terme, et à leurs propriétés, quelles qu'elles soient. [...] C'est une théorie très unificatrice, qui explique avec extrêmement peu d'axiomes un grand nombre de phénomènes." (p.34). La philosophie des maths en quelque sorte ! D'autres pages qui expliquent la méthode de travail de Thomas pour comprendre Fukushima dans tous ses aspects et sa grande capacité à assimiler et synthétiser les informations sont elles aussi excellentes.
Thomas est un homme pur qui ne supporte pas la compromission, le mensonge et cette philosophie de vie le guide très longtemps, ce qui en fait une sorte d'extra-terrestre dans son monde de compétition extrême et dans le monde en général. Seul son esprit le sauve. "Est-ce que la pureté visée par l'adolescence est une erreur, ou est-ce la vie réelle qui d'ordinaire la contredit sèchement dès l'âge de douze ans, un état qu'il convient de fuir, si on en a comme Thomas, à cause d'un don quelconque, la rare opportunité ?" (p.112) Il raconte son histoire d'amour pour les maths bien sûr, mais aussi pour Ayako son épouse japonaise, sa loyauté envers elle et sa tristesse de ne pas la voir épanouie lorsqu'ils rentrent en France.
Emmanuel Arnaud écrit là un très beau roman (court, 139 pages) avec un personnage hors norme, très attachant. Une vraie belle histoire d'amour à trois personnages, Thomas, Ayako et les maths. Qui Thomas doit-il sacrifier pour vivre ? Il ne peut vivre sans les maths, mais sans Ayako la vie lui est impossible. E. Arnaud décrit la vie d'un homme promis à un bel avenir qui peut se retrouver au plus mal lorsque ses réseaux ne fonctionnent plus, la descente inéluctable lorsque le chemin pris ne convient pas au standing social auquel on se destine. Le monde des élites est impitoyable pour qui ne se plie pas aux mondanités qu'il implique.
Extrêmement bien écrit, Emmanuel Arnaud prouve là son talent déjà plus qu'aperçu avec son roman précédent. Que ceux qui comme moi, n'entravent rien aux maths ne se laissent point décourager, ils rateraient un très bon roman.
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