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Salut compagnons !

Couverture du livre « Salut compagnons ! » de Mohamed Mokeddem aux éditions Mokeddem
  • Date de parution :
  • Editeur : Mokeddem
  • EAN : 9782916903026
  • Série : (-)
  • Support : Papier
Résumé:

Après 27 années d'usine, Adam est usé, dans la précarité Je gagnais bien ma vie à Nord et Alpes. J'avais mon baton de maréchal. A quoi bon aller chercher ailleurs ! Et pourtant.. Le téléphone sonna un matin... Mon interlocuteur avait une voix grave et posée. J'aimerais bien vous rencontrer !... Voir plus

Après 27 années d'usine, Adam est usé, dans la précarité Je gagnais bien ma vie à Nord et Alpes. J'avais mon baton de maréchal. A quoi bon aller chercher ailleurs ! Et pourtant.. Le téléphone sonna un matin... Mon interlocuteur avait une voix grave et posée. J'aimerais bien vous rencontrer ! dit-il. Un rendez-vous fut pris à la Porte de St-Ouen. C'était un homme de taille moyenne, élégamment habillé, un visage ascétique, de marbre, une statue, les cheveux en perte, gominés et tirés vers l'arrière, un homme impressionnant. Je vous engage ! dit-il.

A travers le parcours d'Adam, c'est le monde du travail entre 1900 et 1960 qui est restitué. Aussi et surtout les conditions de vie pendant et après l'occupation de Paris, l'exode, le repli des patrons vers le massif central afin de protéger les usines puis leur passage et leur installation en zone libre avec l'argent des contrats signés avec certains ministères, la rareté des ouvriers partis pour le travail obligatoire ou ayant rejoint la Résistance, le troc, les bons matières, le marché noir, les bonbardements dont celui meurtrier d'août 44. Enfin la Libération, les dédommagements de guerre...

Extrait Des hauts d'Eymouthiers, on voit le sud, on devine la mer, on imagine le soleil frapper le sable et la pinède. Ça sent le thym et la lavande, la sardine et le merlan, l'ail et l'huile d'olive, la tomate et l'oignon. Le corps s'excite, le nez palpite, les yeux larmoient. La mer ! Pour la voir, ils avaient fui Paris. Mais au lieu de s'en rapprocher, ils s'en étaient éloignés.
Les amis sont rares à Eymouthiers. ève a vieilli. Elle tricote, lit ou fait des mots croisés près de la cheminée. Ses jambes ne supportant plus son corps, Adam se résigne au lit toute la journée. Le soir venu, il rejoint ève. Le bruit de la chasse d'eau, la porte qui claque, le pied qui traîne, racle le sol, l'annoncent. D'un geste las, ève éteint le téléviseur.
- Pourquoi diable éteins-tu quand je viens regarder?
- Parce qu'il est l'heure de souper !
Adam soupire, pose mollement son corps dans l'antique fauteuil. L'âge en avait fait une boule de chiffons tremblotante. Il rallume le téléviseur, zappe, s'arrête sur la tour Eiffel. ève fronce les sourcils. Paris, c'est avant tout l'Usine. Même les rares amis qui reviennent du sud passent par Paris. Au lieu des ressacs de la mer, ils leur apportent les bruits de la capitale. Et l'Usine ? Mais c'est fini Adam, le patron est mort, son fils a tout vendu et placé son argent ailleurs ! Ah bon ? Son étonnement même était prétexte à évoquer ou maintenir l'Usine au centre de la conversation.
- Les filles ont téléphoné. Elles ne seront pas là pour Noël !
Du temps avait passé. Les filles avaient grandi à son insu, étaient devenues des femmes sans qu'il s'en rendît compte, avaient des préoccupations, des occupations de leur âge, de leur époque, qui le privaient d'elles, le laissaient seul avec ève qui, quand il parle, ne l'écoute pas, ferme les yeux pour ne pas l'écouter. Elle avait appris à le laisser radoter, à ne plus répondre à ses sempiternels Pas vrai, ève ? à son tour il avait appris à se parler, à répondre à ses propres questions. Après avoir longtemps été la cause et le centre de leurs querelles, l'Usine les avait exilés à Eymouthiers, et murés dans le silence.
- Le chien de Toutoune est mort.
- Lequel ? Elle en a une meute ! Tous les chiens errants de la région trouvent refuge chez elle.
- Celui qui a mordu Madame Hesters...
- Eh bien, il ne mordra plus personne !
- C'était son chouchou ! Elle va le faire incinérer.
- Pourquoi ces frais inutiles ? Pourquoi ne l'enterre-t-elle pas dans son jardin ?
- Elle voulait bien mais on l'a convaincue que l'incinération, c'est plus hygiénique.
- Dans le temps on rendait hommage à son chien en l'enterrant dans le jardin... Enfin, tu me diras que même les humains n'ont plus de cimetière !
- On lui a dit que si elle l'enterre dans le jardin, et si les héritiers vendent la maison, il ne restera plus trace d'Hercule.
- C'est qui on ?
- Le vétérinaire !
- Il a bien changé celui-là. Incinérations et interventions chirurgicales en masse, de la productivité, une usine !
Et l'Usine revient au galop. Comment l'oublier ? Elle était son passé. Il était sa mémoire. Il y avait vécu et travaillé, l'avait bâtie de ses propres mains, maintenue en vie et fait ressusciter après que les Américains l'avaient touchée, après que les Allemands l'avaient rasée. Pas vrai, ève ?
ève se lève, s'en va à ses fourneaux, sans lui répondre.
Si au lendemain du bombardement allemand d'août 1944 quelqu'un lui avait dit que dans les dix jours qui suivraient, l'Usine revivrait, il l'aurait traité de fou. Pas vrai, ève ?
ève fait chauffer la soupe.
Les Allemands avaient volé en rase-mottes au dessus d'Ivry, lâché leurs bombes sur la gare et soufflé l'Usine avec. Inimaginable ce qu'un bombardement peut remuer ou produire comme poussière. T'en souviens-tu, ève ?
ève touille la soupe avec délicatesse. Elle doit frissonner, non bouillir, sinon elle devient immangeable. De cette attaque-là, elle se souvient comme si c'était hier mais elle se souvient aussi qu'il avait fallu, dès le lendemain, rendre l'Usine encore plus jeune et plus forte pour qu'elle les mangeât mieux !
Adam toussote, plonge ses mains veinées dans l'une et l'autre poche du peignoir pour y trouver ses cigarettes, en contemplant le portrait de l'Usine accroché au mur. Le verre remplace la brique et le bois. Investissant l'univers de l'immobilier, l'Usine est devenue une rentière. De derrière ces murs feutrés sortaient autrefois des meubles métalliques qu'il avait lui-même conçus et réalisés : armoires, bureaux, sièges, bibliothèques, boîtes de rangement, aussi beaux et solides les uns que les autres, ce qui avait valu à l'Usine, le label Qualité France !
Il allume sa cigarette. Qui l'eût cru ! Le lendemain même du raid allemand, hommes, femmes et enfants s'étaient présentés devant lui non pour travailler mais pour sauver l'Usine, mère nourricière et dévoreuse à la fois. Au bout de quelques heures, c'était une équipe de ramoneurs aussi noirs les uns que les autres qu'il dirigeait. En dix jours, les toitures ayant été protégées avec des bâches, les trous béants dans les murs bouchés avec des planches, les machines dégagées, remises en état de marche, les matières premières triées, les bureaux à peu près nettoyés, les lignes électriques réparées, les moteurs vérifiés, certains ateliers pouvaient redémarrer dans des locaux ouverts à tous les vents. Des braseros alimentés avec du bois de récupération donnaient une impression de chaleur. Adam et ève étaient eux aussi, de nouveau, installés dans le pavillon de l'Usine, sans fenêtres mais pourvu d'un toit. Il leur avait fallu racheter du linge, de la vaisselle, des meubles. Ils étaient heureux et optimistes. La vie redevenait belle. Pas vrai, ève ?
ève prépare la salade. Non, ce n'était pas l'Usine qui avait payé toutes ces dépenses, ni elle qui les avait fait vivre l'hiver suivant. T'en souviens-tu, Adam ?
Adam se saisit du tisonnier, remue le foyer de la cheminée. Les bûches éclatent, se raniment. De petites flammes s'élèvent, en lèchent les parois noires. L'hiver avait été rigoureux, sans charbon cette année-là. Puis ce fut le printemps 45, la défaite totale de l'Allemagne, son occupation et le démembrement de son parc industriel par les alliés. Des nuées d'hommes d'affaires européens s'étaient abattues sur le pays vaincu pour prendre ce qu'il y avait à prendre. Le Patron y était allé lui aussi. Connaissant bien l'Allemagne, et ayant travaillé avec les Allemands en temps de paix et de guerre, il savait mieux que quiconque où récupérer le matériel dont l'Usine avait besoin. Avec l'argent des dommages de guerre, le matériel acheté par l'intermédiaire de l'Administration des Domaines qui bradait le butin de guerre français, Adam avait fait redémarrer l'Usine, et en un rien de temps doublé son effectif, quintuplé sa production, décuplé son chiffre d'affaires.
ève sort le pain du congélateur. Plus le Patron s'enrichissait, plus eux devenaient pauvres et sans force.
Adam se frotte les mains l'une contre l'autre. L'âge et la tôle les avait abîmées, ravinées. Oui, l'argent était bien allé dans les poches du Patron, pas dans les siennes ! Avec l'importation des nouvelles machines américaines, il avait fallu produire encore plus pour amortir leur coût d'achat, celui des extensions d'ateliers aussi, rattraper le retard, damer le pion aux concurrents, conquérir de nouveaux marchés, arracher de nouveaux contrats, imposer le label de l'Usine, réduire le personnel qui réclamait des augmentations de salaires.
Adam maltraite encore une fois la bûche qui se consume, allume une cigarette.
ève pose la boule de pain sur la cheminée. Il ne faut surtout pas qu'elle y demeure longtemps, sinon elle durcit.
Adam tire sur sa cigarette. Il tousse...
Il finira comme la bûche, en cendres, s'il n'arrête pas de fumer et de parler de l'Usine.
- Ça va mon chéri ? Toujours là ève, à l'affût de la moindre toux pour se manifester. Elle et le docteur, une paire de rabat-joie ! à son âge, il pouvait bien se permettre un porto et quelques cigarettes de temps à autre. Sa toux se prolonge, s'amplifie. La cigarette lui échappe des mains. ève la ramasse, la jette dans la cheminée, se garde de lui lancer : tout ça, à cause de la cigarette ! pour ne pas l'irriter davantage. Lorsqu'il tousse, s'accrochant fort aux accoudoirs du fauteuil, Adam revoit le Patron se plaignant des retards de livraison, estimant que l'Usine ne donne pas son maximum, que les produits fabriqués ne sont pas assez variés. C'était l'enfer. Il mangeait et dormait peu, abandonnait sa famille et ses loisirs, travaillait comme une bête de somme pour un chiffre d'affaires qu'il ne partageait pas, qu'on lui cachait. Ereinté par le travail, il eut sa première crise de coliques néphrétiques en 1950 lors d'un voyage à Londres, bientôt suivie par d'autres, avant qu'on ne l'opérât et qu'on lui enlevât un calcul gros comme une olive. ève avait alors insisté pour qu'il donnât sa démission. Elle avait raison. Pourquoi se claquer dans une putain d'affaire où il gagnait moins que le plus mauvais des vendeurs, avec cent fois plus de soucis et de responsabilités ? Le lendemain, il entra d'un pas décidé dans le bureau du Patron. - Adam, soyez raisonnable, nous avons traversé trop d'épreuves ensemble pour nous séparer sur un malentendu ! Votre état de santé fausse votre jugement, il est la principale raison de votre écoeurement ! Il aurait dû le quitter à ce moment-là, ne pas revenir sur sa décision. Mais le Patron lui avait remis un chèque, offert une Citroën, majoré son salaire de près de la moitié. Il commençait, après vingt ans de loyaux services, à gagner de l'argent. En contrepartie, il devait redoubler de férocité au labeur pour multiplier le chiffre d'affaires, diviser par deux les coûts de revient, créer de nouveaux modèles, améliorer les méthodes de fabrication et l'outillage. Son génie n'ayant pas de limite, il oeuvra dur pour imposer l'esthétique du fer au détriment du bois, partout dans le monde. - à table ! - J'arrive. Pour que le coeur continue de battre, il faut se résoudre à l'ordonnance du docteur, chaque soir, à l'heure de passer à table, depuis dix ans. ève y veille. Elle lui sert un verre d'eau, lui met les trois comprimés dans la main. Il boit l'eau, jette les comprimés dans la cheminée dès qu'elle a le dos tourné. à quoi bon ? Tout aurait dû être pour le mieux et continuer sur cette lancée. Eh bien non, tout avait recommencé. L'Usine ne produisait pas assez. L'Usine était en retard dans les livraisons. Les prix de revient étaient trop élevés. Aux réunions, il se présentait comme devant un tribunal où il était condamné à l'avance. - Adam, ça va refroidir. Il veut se lever mais ses jambes le trahissent. Il payait de sa santé, son amour et sa servitude pour l'Usine. ève accourt. - Tiens voilà ta canne ! L'intervention chirurgicale de 1958 avait eu raison de son corps et de son moral. ève l'avait alors sommé de démissionner sinon elle divorçait. Mais le patron sut si bien manoeuvrer qu'il le fit demeurer dans l'Usine jusqu'au printemps de l'année 1960. Ce jour-là, il devait quitter une affaire où il avait donné le meilleur de lui-même pendant vingt-sept ans et trois mois. Ce jour-là, le Patron tint à ce qu'il sortît par la grande porte. Le travail cessa une demi-heure plus tôt que d'habitude afin que l'ensemble du personnel s'associât à l'hommage que l'Usine lui devait. Avec son talent et sa facilité habituelle, le Patron fit un raccourci de sa carrière, mit en valeur les services rendus, dit que l'Usine devait beaucoup à Adam, que son départ n'en était pas un, qu'il restait conseiller technique de son affaire, qu'ils allaient avoir l'occasion de se revoir. Au nom de tous, il lui souhaita une retraite calme et paisible, et, devant les quatre cents ouvriers, comme s'il les prenait tous à témoin pour sa géné-rosité, il lui avait remis une enveloppe. Merci, je. L'émotion avait étranglé sa gorge et cassé sa voix. Applaudissements, tintements de coupes de champagne, poignées de mains et embrassades lui signifièrent la fin d'une époque, le début de sa fin, de son inutilité dans l'Usine. Touchera-il jamais à un marteau ? Reviendra-t-il jamais dans ces lieux ? Ses yeux, mangés par la soudure, avaient cherché réponse dans ceux du Patron. - Tu veux de la soupe ou de la salade ? - Plutôt un verre de vin ! - Boire avant de manger, c'est mauvais pour le coeur. Tout était mauvais pour son coeur, la soupe aux brocolis y compris. Le Patron l'avait délaissé pour aller saluer des invités d'importance, des personnes d'avenir. Son fils lui avait serré la main à son tour avant de suivre son géniteur, le laissant avec sa mère, une grande blonde aux yeux bleus dont la tristesse tuait la beauté du visage. Après toute une vie de dévouement et de labeur, elle se retrouvait en marge de l'affaire. - Pauvre femme ! dit ève. - De qui parles-tu ? demande Adam - De Madame Hesters ! Le Patron, déjà d'un certain âge, désireux d'avoir un second héritier, n'hésita pas à mettre dans son lit, l'amie de son propre fils; celui-ci pouvait finalement s'imposer dans les affaires du père, et, le plus drôle, ou le plus tragique, épouser la soeur de son ex-amie, plus belle, plus ambitieuse. Les deux soeurs étaient venues vivre sous le toit de la Patronne. Elle, qui avait été à l'origine de l'Usine, n'en contrôlait plus les rouages, le père et le fils s'étant entendus pour la neutraliser. Dire que je l'ai fait riche, l'avorton ! S'en souvient-il ? Non, mon chéri, l'Usine n'a pas de mémoire! L'Usine est un nazi défait. Elle brûle ses archives, change d'identité et de maîtres. L'Usine ne se sacrifie pour personne ! - On aurait pu l'avertir si elle avait le téléphone. Il faudra songer à faire un saut chez elle. - De qui tu parles ? - De Toutoune, voyons ?! Au Diable Toutoune. - Il y a trop de lait dans cette soupe ! - Le lait consolide les os ! Essuie-toi la bouche, mon chéri ! C'est avec un bout de pain qu'il débarrasse le coin des lèvres de sa bave. - C'est du pain ou une bûche ?! ève avait négligé le pain cinq minutes de trop sur la cheminée. Bien sûr, la baguette parisienne était beaucoup plus tendre. Elle se lève, lui essuie le menton avec sa serviette. Elle en profite pour passer sa main sur sa tête. Un geste de tendresse, vieux comme un souvenir amoureux, de compassion aussi, comme lorsqu'il était revenu de l'Usine pour la dernière fois, les yeux vides, le coeur déchiré. - Veux-tu que je te prenne un rendez-vous chez le kiné ? - Non. Ce soir-là... C'était comme si on l'avait roué de coups. Il était rentré désireux de soleil, d'eau de mer, et de déjeuners, torse nu. Partons, ève ! Une envie soudaine de partir le plus loin possible de l'Usine, de fuir Paris pour tout oublier, retrouver son corps défait par le temps et le fer. - Encore une louche ? Il avait vendu la villa de Quincy-sous-Sénart, et acheté une maison à Golfe-Juan, à un prix dérisoire. Mais sa remise en état pour pouvoir y vivre fut une autre histoire. Un ami architecte lui avait établi un projet de restauration et d'agrandissement à portée de bourse. Celui-ci, certainement de bonne foi, n'était pas au courant des pratiques de constructions sur la côte. Ses devis équivalaient à l'édification d'une étable. Alors que les travaux de maçonnerie étaient très avancés, il lui avait fallu tout revoir à la baisse, matériaux, plomberie, sanitaire, électricité, chauffage, carrelage. Ses disponibilités presque à sec et des mémoires d'entrepreneurs à régler, il s'était tourné vers le Patron. Ne lui avait-il pas laissé entendre qu'il serait là en cas de coup dur, qu'il trouverait toujours une formule pour que sa retraite soit complétée par un petit traitement ? Il était trop occupé pour lui répondre. à Golfe-Juan, à midi, le soleil est à la verticale, la mer est plate, et un petit vent d'est fait vibrer la pinède. Leur maison était à quelques dizaines de mètres de la mer, à flanc de colline. Demain on ira faire trempette, ève ! Mais le lendemain, il y avait le jardin à dé- broussailler, les arbres morts à dégager, d'autres à planter, les murs écroulés à redresser, le garage à finir, et toutes les petites tâches qui rendent la maison confortable et douillette. Juré, promis, demain on ira faire trempette, ève ! Mais le lendemain, le rein d'Adam fait des siennes. Infection urinaire généralisée. La prostate touchée, le docteur et le chirurgien parlent d'opération. Puis ils changent d'avis, prescrivent des antibiotiques et obligent Adam à garder le lit pour de longues semaines. Il se rétablit doucement. La prostate redevenue normale, le spectre de l'opération se dissipa. Allons faire trempette, ève ! Mais avant d'aller faire trempette, il fallait éplucher le courrier, notamment celui annuel de l'Usine, qui indiquait les salaires communiqués à l'Inspection des contributions. - Impossible, il doit y avoir une erreur ?! Joint par téléphone, le comptable de l'Usine trancha. Pas d'erreur. Outre la pension, il y avait lieu d'ajouter les montants de deux chèques perçus l'un en prime de fin d'année 1959, l'autre comme prime de départ en retraite. Le Patron l'avait blousé. Comment s'acquitter d'une telle somme dans un délai de deux mois. Que vendre pour éviter la saisie de la maison ? Rien, ils n'avaient rien accumulé pendant toute une vie de labeur. - Adam, il faut vendre et partir... nous avons vu la mer, vu le soleil, cela suffit ! Maison à vendre. Un industriel parisien se présenta à eux un matin et acheta la maison, cash. Où aller maintenant ? à Eymouthiers ! Cette fois-ci, pas question de travaux ? Promis ! Ils n'avaient ni le temps ni l'âge ni la patience ni la force des bâtisseurs qu'ils furent. Ce n'étaient plus que deux petits vieux harassés par la maladie et aux fins de mois incertaines, qui avaient rêvé de mer et l'avaient vue sans pouvoir s'y tremper.

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