Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
Mehdi Charef n'avait encore jamais abordé de front son arrivée en France à l'âge de 10 ans, en 1962, dans le bidonville de Nanterre. Ce livre est le premier d'une trilogie retraçant l'enfance et l'adolescence de cette génération venue rejoindre ses pères, arrivés en éclaireurs dans la France des années 1960-1970.
Il y décrit le froid, la boue, l'humiliation du bidonville et le racisme ordinaire d'une France ou les ratonnades étaient banales, mais aussi l'instituteur qui leur apprend à aimer la vie autant que Victor Hugo ou la douceur d'une voisine. Comme un retour aux premiers mots d'une histoire qui a ensuite déraillé, Rue des Pâquerettes revient sur les raisons profondes pour lesquelles la France vit, aujourd'hui encore, l'immigration comme un problème.
Mon père va la trouver ; la pépite ! C’est bien pour cela qu’il s’époumone dans l’odeur âcre du goudron brûlant, qu’il s’esquinte à creuser au plus profond. Il ne le dit pas, surtout à ma mère qui serait capable de se moquer de lui. Mais il y croit dur comme fer quand il enfourche son Solex, son lourd bleu sur les épaules, avec ses bottes lacées, ses gants larges sur le guidon. On leur a raconté, à lui et à d’autres chercheurs d’or venus aussi de pays lointains, que la sueur des hommes qui ont travaillé là s’était polie avec le temps pour devenir pépite. Un jour, mon père fracassera d’un coup de pioche la pierre qui l’abrite.
La pépite rira aux éclats, scintillera, clignotera… Sans alerter ses collègues, il n’est pas fada mon père, il lâchera sa pioche, le souffle coupé, la main tremblante. Entre ses doigts aux ongles cassés, il la saisira, si fine, une goutte d’eau, la posera délicatement dans le creux calleux de sa paume.
Elle bouge, s’étire. On dirait une larme.
Auteur notamment du Thé au harem d’Archi Ahmed (1983), Mehdi Charef, qui a publié trois autres romans et réalisé onze films, retrouve ici l’écriture après treize ans d’interruption. Dans Rue des Pâquerettes, il revient sur son arrivée en France en 1962. Il y raconte l’absurdité de l’exil, la boue du bidonville et les silences rentrés ; mais aussi la soif des mots d’un enfant avide de raconter ce qu’il comprend du monde qui l’entoure.
Majuscule d’un cahier du jour « Rue des Pâquerettes » est un récit olympien, profond, sublime, si sublime. L’auteur Medhi Charef écrit sur l’ardoise mémorielle à la craie blanche, un récit lumineux et vivifiant. Pourtant, on aurait pu sombrer dans le pathos, le gris, les larmes et les jugements, poussières sous le tapis de l’irrévocable. Il n’en est rien. Mehdi Charif est habile, perspicace, sème dans les ruelles gorgées de boue, des miettes de pain empreintes de force et de courage pour ces petits Algériens dont les ailes ont du mal à s’ouvrir. L’école des Pâquerettes est un nom de gloire, fil rouge emblématique d’un récit pragmatique dont les images semblent celles d’un film en noir et blanc des années 60. Mené par une voix off, celle d’un petit Algérien de 10 ans déraciné de sa terre-mère et dont l’intelligence est un garde-fou. « ça ne fait pas très longtemps que je suis en France, à l’école des Pâquerettes, et déjà monsieur Raffin, notre instituteur m’a désigné pour faire la lecture dans la classe. » Ce petit Poulbot des temps modernes, à l’âme d’un chevalier. Petit point dans ce bidonville, pâquerette poussée subrepticement entre les fissures de sa cabane bancale, spartiate et sans confort où il s’éveille à la vie avec les siens. Arrivés en France, bagages lourds sur la conscience d’un père qui accueille ces derniers dans le sombre de ses jours. « Il fait très froid dans la baraque. Mon père est allé à la mairie demander des couvertures, que nous aurons la semaine prochaine. La Seine est gelée. » Notre petit hôte va s’enrichir, grandir dans le miracle de l’intelligence. Son maître, plus qu’un enseignant offre à son élève le vertueux, la persévérance., la foi en son devenir. « Comme convenu avec mon maître, tous les samedis midi, je lui fais lire ce que j’ai noté dans le calepin qu’il m’a offert. » « Jamais de « cependant » ou d’autres adverbes de ce style, ne peins pas avec le pinceau des autres, n’écoute rien qui ne soit de ton parler à toi pour le moment…. » Ce récit est une étoffe de laine dont on prend toute l’énergie, un symbole de lutte et d’espoir. Un récit qui illumine les valeurs de l’enseignement, ces hommes et femmes de bonne volonté, ces passeurs du verbe. Ce bidonville palpite sous la douceur d’une trame ciselée, juste et aérienne comme si les phrases étaient un chant venu des profondeurs de la terre et dont la musique fait écho à Medhi Charef. Dans cette idiosyncrasie où l’immigration est synonyme de survivance et d’entraide, ce Petit Chose dont on aime la ténacité est le symbole d’une intégration possible et réussie. Son père au corps lourd de fatigue n’est pas un contre-exemple. Juste ce manichéen qui pose sa stature à fleur de peau, de sueur et de gerçures, bercé au son du marteau piqueur, c’est ici, qu’il récite à n’en plus finir son rêve de trouver la pépite emblématique, nourricière et égalitaire. Sa famille n’est pas un fardeau pour lui mais un point d’appui invincible. Ce récit est une invitation à fouler le réel . Cette page de notre Histoire est certes un sanglot étouffé dont on détourne les yeux de honte. Néanmoins dans ce récit la pépite trouvée grâce à la noblesse du père est théologale. Publié par les Editions Hors d’Atteinte « Rue des Pâquerettes » est en lice pour Le Prix Hors Concours 2019 Gaëlle Bohé et c’est une grande chance.
Mehdi Charef est né en Algérie. Il a dix ans lorsqu'il arrive en France en 1962. Il a vécu les cités de transit et les bidonvilles de Nanterre. Fils d’ouvrier, il a travaillé près de quinze ans en usine avant de devenir écrivain, cinéaste et scénariste, rien de moins !
Mehdi Charef a écrit des romans, des pièces de théâtre, il a à son actif de nombreux films en tant que réalisateur et/ou scénariste. Il a obtenu en 1986 le César de la meilleure première Œuvre pour Le Thé au Harem d’Archimède qui n’est autre que l’adaptation de son roman Le Thé au Harem d'Archi Ahmed.
Après treize ans d’absence dans le milieu de l’écriture, Mehdi Charef revient avec Rue des pâquerettes qui est publié chez une toute nouvelle maison d’édition, Hors d’atteinte, dont je tiens à signaler la qualité du travail. La couverture est juste magnifique, le graphisme et le papier également. Rue des pâquerettes est le premier livre que cette maison édite. Un véritable petit bijou !
Rue des pâquerettes est le premier roman d’une trilogie retraçant l’enfance et l’adolescence de Mehdi Charef et de toute cette génération venue rejoindre leurs pères arrivés en éclaireurs dans la France des années 1960-1970. La France a permis l'arrivée de familles entières d'immigrés pour préparer le départ en retraite de ces pères. Á cette époque il y avait beaucoup de travail et pas assez d'ouvriers. Mehdi Charef est donc de cette seconde génération.
Rue des pâquerettes s'ouvre sur l'arrivée en France de l'auteur, de sa maman et de ses frères et sa sœur. Ils débarquent à la gare d'Austerlitz. Tout juste arrivés, que déjà il prend conscience du regard que les autres portent sur eux. La maman de Mehdi portait le haïk (voile blanc). Dans le taxi qui le mène à Nanterre, Mehdi sera subjugué par les affiches de cinéma. Mais en découvrant sa nouvelle demeure, il va très vite connaître la honte, la peur, le froid, la boue, l’humiliation du bidonville, le racisme ordinaire. Mehdi Charef comprendra que le retour au pays n'interviendra pas de sitôt, voire jamais. L'école devient alors une échappatoire à sa condition sociale. Les séances de cinéma, un rêve. Son amour du français, des mots, des livres lui permettra de quitter rapidement la classe de rattrapage qu'il a intégré à l'école de la Rue des pâquerettes. Une fois son certificat d'études en poche, il pourra ambitionner d'intégrer l'usine plutôt que de travailler au froid comme son père qui était terrassier, c'est du moins ce que lui prédit le directeur de l'école, Monsieur Besson. Jamais à cette époque il aurait été imaginable que Mehdi Charef devienne écrivain, scénariste, cinéaste.
C'est avec beaucoup de pudeur, une infinie tendresse et sans rancœur aucune que, dans ce premier volume, Rue des pâquerettes, et du haut de ses dix ans, Mehdi Charef évoque les conditions de vie misérables dans les bidonvilles de Nanterre. Il se livre avec poésie et retenue. Invité lors de la seconde édition du Rock'n Books qui s'est tenu le 9 mars dernier à Valmondois (95), Mehdi Charef a expliqué qu'au-delà du besoin d’écrire pour laisser une trace, c'est pour cette première génération d'immigrés, pour faire exister ses parents qu'il a décidé de raconter son enfance.
Rue des pâquerettes est le premier volet d'un récit autobiographique particulièrement poignant, qui mérite d'être lu. On attend la suite avec impatience.
https://the-fab-blog.blogspot.com/2019/03/mon-avis-sur-rue-des-paquerettes-de.html
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