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Amrita est au chevalet. Elle porte un ample tablier de peintre noir et des bracelets de perles qui cliquettent à chacun de ses gestes. Ses cheveux sont sommairement attachés en chignon. Le soleil du matin éclaire le fauteuil Récamier couvert d'un drap blanc, où est allongée une jeune fille appuyée sur les coudes, un livre entre les mains, nue sous une étoffe de soie où l'on devine un dragon brodé. - Écoute ça, Amrita, on croirait qu'il l'a écrit pour toi : Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche Est large à faire envie à la plus belle blanche ; À l'artiste pensif ton corps est doux et cher ; Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair... Qui était Amrita Sher-Gil, cette femme au destin fulgurant née en Hongrie et morte en Inde, qui portait colliers de perles et manteaux de fourrure dans le Paris des années vingt et qui a peint la vie humble et aride des habitants de Shimla dans une oeuvre aujourd'hui considérée comme majeure ? Dans Rouge indien, Nathalie Rouanet retrace la brève vie d'Amrita Sher-Gil à la manière d'un scénario : son enfance en Hongrie puis en Inde, ses années de formation à Paris, nourries de ren- contres illustres au parfum de scandale, et sa fin tragique alors qu'elle n'avait que vingt-huit ans. Par sa création et son mode de vie, cette artiste exigeante, à la sexualité exaltée, a posé les bases de la peinture moderne et de l'émancipation fémi- nine en Inde.
Amrita Sher-Gil (1913-1941) est une artiste peintre, fille aînée d'un érudit indien Umrao Sher-Gil et d'une cantatrice hongroise Marie-Antoinette Gottesman-Baktay. Peu connue, elle fut pourtant une artiste dont on parla beaucoup à la fin des années 30 et au tout début des années 40. Elle grandit en Hongrie pendant la Première Guerre Mondiale, puis voyagea beaucoup en Inde le pays de son père et en Europe. Elle fut notamment élève d'une école d'art de Florence et de l'école des beaux-arts de Paris entre 1930 et 1934. Puis elle décida de retourner vivre en Inde et sa peinture évolua, ses inspirations occidentales et indiennes se mêlant pour créer une œuvre originale qui commença à faire parler, dans son pays d'abord.
Amrita eut une vie mouvementée, elle fit de nombreux allers-retours Europe-Inde, des voyages dans l'Inde de l'époque encore plus vaste qu'aujourd'hui car point encore partagée entre Inde et Pakistan par les volontés de l'ex-colonisateur ; elle eut une relation conflictuelle avec sa mère dès lors qu'Amrita souhaitât vivre en femme libre et indépendante ; elle eut aussi beaucoup d'amants et d'amantes, tomba enceinte et avorta. Mais surtout, elle peignit beaucoup, les petites gens d'Inde ceux qu'on ne voyait pas, des autoportraits, des portraits de ses ami-e-s...
Sur la base d'une vie pas très renseignée et suite à la découverte des toiles de l'artiste au musée d'art moderne de Delhi, Nathalie Rouanet décide de consulter les albums de famille (son père, Umrao fut un féru et un grand créateur d'autochromes), la correspondance d'Amrita et son journal et d'en faire un livre. Et pas une biographie, mais un roman, qui permet une plus grande liberté tout en restituant les éléments biographiques. Son roman est un scénario de film, avec les descriptions des lieux, des poses des personnages, des décors qui, pour beaucoup, seront les toiles d'Amrita, elles aussi décrites. J'aime bien le procédé qui donne vie à l'artiste, à ses proches et aux gens qu'elle rencontre et/ou peint. Il permet aussi de combler des trous dans la biographie avec des suppositions énoncées comme telles, des retours en arrière, différents plans, enfin tout ce qu'on trouve au cinéma. Et Nathalie Rouanet écrit joliment, son récit est alerte, vif et colle au personnage dont elle parle. Elle rend hommage à cette artiste peu connue chez nous (dont on peut lire ça et là qu'elle serait la Frida Kahlo indienne) et qui mérite qu'on aille voir ses œuvres, Internet a cela de bien qu'on peut en voir quelques unes sur certains sites, et franchement, elles donnent envie d'en voir plus et en vrai.
Nathalie Rouanet, par ailleurs traductrice en allemand, écrit là son premier roman français.
Amrita Sher-Gil est née en 1913, le 30 janvier, elle aurait eu 110 ans le jour de la sortie de ce livre chez Perspective cavalière, dans une sublime couverture. Elle est décédée à 28 ans, assez mystérieusement.
Pour la quatrième publication des Éditions Perspective Cavalière, et la toute première de fait d'une auteure française, Nathalie Rouanet, direction la Hongrie pour la naissance d'une peintre, pour achever ce périple par sa mort en Inde, en passant par Paris, qui a été l'étape décisive quant à la révélation de son talent et la gestation de son oeuvre. Il est en effet question de Amrita Sher-Gil. Au-delà de son talent, issu de l'influence des maîtres Européens sur une orientation d'influence résolument indienne, le titre parle pour lui, c'est la personnalité hors du commun de la femme, totalement libre et indépendante qu'elle fut, menant une vie voulue, assumée et consumée d'un bout à l'autre, alors même que l'époque et que les sociétés dans lesquelles elle a évolué, l'Inde particulièrement, se faisaient fort de codes sociaux bien ancrés.
Rien de mieux que les propres mots de l'auteure pour parler de son œuvre, et c'est par le biais de la maison d'édition Perspective Cavalière, que sur Twitter ou sur Instagram, de courtes présentations vidéos par Nathalie Rouanet elle-même sont disponibles. À noter que Nathalie Rouanet est traductrice, notamment de Nina Berberova et de livres d'art, déjà auteure, en allemand et français de textes en prose, de la poésie et adepte de poésie parlée, en d'autres mots, le slam. Nathalie Rouanet a découvert les peintures de Amrita Sher-Gil à l'occasion d'une visite au musée d'Art Moderne de Delhi, il y a déjà dix-sept ans de cela. Si Amrita Sher-Gil est une personnalité très confidentielle en France, en dehors de l'Inde, elle a été exposée, au moins, à Munich et à Budapest, son neveu Vivan Sundaram lui a consacré une monographie.
Peut-être sont-ce toutes les nuances de rouge jaillissant des tableaux de Amrita Sher-Gil qui ont saturé l'espace visuel de Nathalie Rouanet lorsqu'elle a pénétré dans la salle d'exposition. Peut-être sont-ce les vingt-huit ans de la courte vie de cette peintre, dont l'auteure partageait visiblement le goût pour l'Inde, et les promenades le long du Danube, l'une à Budapest, l'autre à Vienne. Si le sujet du récit de Nathalie Rouanet est remarquable, la façon dont elle le mène, sous une narration cinématographique, est à sa hauteur avec toutes les indications afférentes, faisant de la vie de Amrita Sher-Gil un véritable court-métrage animé, entre les différents va-et-vient de l'artiste-peintre et une caméra en mouvement, et très marqué visuellement, grâce aux différents plans statiques.
À mon sens, le roman des vingt-huit années de vie de Amrita Sher-Gil se divise en trois grandes parties : la première consacrée aux jeunes années de l'artiste dans sa Hongrie natale aux côtés de la famille maternelle. Vient ensuite l'exil en Inde, auprès de la famille paternelle, entrecoupée par ses années d'apprentissage à Paris où elle découvrira les maîtres et donnera ses premiers coups de pinceaux. La révélation de l'artiste et son épanouissement se fera, en effet, les années suivantes sous la lumière indienne, la richesse visuelle du pays, la besogne quotidienne de ses habitants, le vacarme de la vie. Ce qui m'a d'abord intrigué dans ce roman, ce sont ces racines hongroises et indiennes, avec la volonté d'observer dans quelle mesure chacune a pu influencer son art. Et quelle vie fut la sienne, bien trop courte, qui a pu autant marquer l'art pictural, même si la France l'a un peu mis au rancard Et, dès lors que l'on me parle de roman féministe, j'ai ma propre voix féministe qui s'éveille. Amrita Sher-Gil, de la même façon que Frida Kahlo au Mexique, a révolutionné l'art de son pays, tout comme elle a marqué l'histoire du féminisme en Inde, l'auteure le dit elle-même.
Si l'auteur a bâti son roman autour de cette narration cinématographique, assez surprenante en première lecture, qui consiste à mettre en mouvement l'objectif de la caméra pour enfin le fixer en un ultime plan fixe, une dernière image, une photographie, un tableau. Les descriptions ne manquent pas, naturellement, pour reconstituer la vie chargée de Amrita Sher-Gil, issue d'un mariage mixteoù la placidité austro-hongrois de sa mère côtoie l'effervescence bouillonnante du pays de son père, où elle finira de passer sa vie à peindre les gens ordinaires, les anonymes qui font partie de ce grouillement incessant de bruits, de lumières et d'odeurs qui saturent l'air et la vie. L'identité de la peintre n'est pas antinomique, contrairement aux premières apparences, si l'un des côtés l'emporte et est la source de son inspiration, l'autre partie apparaît être nécessaire à sa vie intime et affective puisqu'elle épouse son cousin hongrois.
L'Inde plus qu'une origine apparaît comme une inspiration et une influence, une passion, qui vient de sa mère, la première qui s'est aventurée en Inde et y a rencontré son père. Le charme d'un orient qui a envoûté la mère aussi bien que les filles.
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