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Omniprésente dans l'oeuvre de Jean Muno, la révolte existentielle avait jusqu'ici pris les chemins détournés du rêve, de l'humour, de l'ironie.
Avec Ripple-marks (1976), la révolte éclate. Une férocité allègre et tonique a succédé à l'ironie, l'eau-forte supplante la taille-douce, le vinaigre vire au vitriol. Les sauvages des premiers livres sont devenus des cannibales. Non que cette oeuvre inclassable (il s'agit moins d'un roman que d'une méditation poétique, d'un discours sur l'écriture et, partant, d'une « mise en abîme ») échappe totalement aux constantes d'une dramaturgie romanesque dont les règles semblent fixées de longue date : un narrateur discret, effacé, mais attentif, tentant sans cesse de se définir, ou plutôt de se situer par rapport aux autres, à cette espèce de mascarade qu'est à ses yeux la société et dont il se sent beaucoup moins le protagoniste que le témoin lucide. (S'il ne s'agit pas d'un récit écrit à la première personne, la remarque reste valable pour le protagoniste).
Mais, contrairement aux autres livres de Muno, écrits d'une traite avant d'être retravaillés, Ripple-marks fut conçu à partir de notes éparses, prises par l'auteur jour après jour, au cours de vacances à Nieuport. La plage déserte devenant la page blanche, souvenirs et fantasmes s'y inscrivent pêle-mêle, coupés d'observations immédiates, des raccrocs de l'imagination fabulatrice et de l'invention langagière. Il n'est donc pas étonnant que le livre procure d'entrée de jeu une salubre sensation de liberté ; sans doute le montage a-t-il été réalisé avec beaucoup de soin, dans un mouvement accéléré, un tournoiement de plus en plus rapide qui atteint, dans les dernières pages, à une sorte de fureur panique ; il n'y subsiste pas moins quelque chose de la disparate initiale, un rythme syncopé qui confère au récit son allure très moderne.
On a dit - et c'est vrai - que Ripple-marks était un règlement de comptes, la revanche d'un homme sur son éducation, sur son milieu social, sur son « environnement » culturel ; mais c'est aussi une « fête des mots » où, pour la première fois, semble-t-il, dans l'oeuvre de Muno, l'écriture devient, sinon une fin en soi, du moins un objet de réflexion, de délectation, de dilection profonde. Ce livre est, en un certain sens, une cure de désintoxication, une psychanalyse ; l'auteur, apparemment, en sort guéri ; sa victoire sur ses personnages est le symbole de sa victoire sur lui-même, à la fois libération et palingénésie.
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