"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un voyage au centre d'un Brésil scindé dans lequel tout dialogue semble être devenu impossible. Après plus de vingt ans d'absence, un homme abandonné par sa femme et son fils décide de revenir dans sa ville natale, au centre du Minas Gerais. Tous les liens des familles émigrées italiennes qui s'y étaient installées et en formaient le tissu social ont été détruits par les problèmes économiques qui les ont dispersées à travers le pays.
On le suit pendant six jours, il va retrouver ses frères et soeurs, rencontrer d'anciens condisciples et de vieilles connaissances locales. L'ombre du suicide de sa jeune soeur et l'impossibilité de toute communication avec ceux qu'il retrouve accompagnent ses tentatives de renouer avec le passé. Le roman se livre à une réflexion sur une société où les différentes classes sociales ne peuvent plus dialoguer et dans laquelle, selon l'un des personnages, elles sont devenues « des planètes errantes » prêtes à entrer en collision et à se détruire.
Oséias, le narrateur, n'a presque plus rien. A 54 ans, il est divorcé, n'a plus de contacts avec son fils, a quitté son travail. Il ne lui reste que les souvenirs du passé, la nostalgie du temps – lointain – où tout allait moins mal. Après 20 ans d'absence, il a décidé de retourner dans sa ville natale, au milieu du Minas Gerais, où vivent encore ses frères et soeurs. Il espère y retrouver son identité, se réconcilier avec les fantômes du passé, solder les comptes, boucler la boucle,... quoi précisément, on ne le comprendra qu'au fil de la lecture.
Le récit commence quand Oséias débarque du bus à la gare routière, et s'étale sur six jours, pendant lesquels il va rendre visite à ses frères et soeurs et rencontrer, fortuitement ou pas, d'anciennes connaissances. Plus ou moins bien accueilli par les uns ou les autres, il réalise que ses tentatives de parler du passé et de la mort de sa jeune soeur presque 40 ans plus tôt, sont vouées à l'échec. Personne ne tient à se souvenir, tous esquivent, faisant mine de s'agripper au quotidien et de regarder vers l'avenir. Culpabilité, remords, douleur ? Qui sait...
La narration de ce roman est particulière et demande un temps d'adaptation. On est dans la tête d'Oséias, embarqué dans ses pensées, pris dans un flux de conscience qui saute de la description méticuleuse des gestes anodins et répétés du quotidien aux souvenirs et réflexions sur le passé, le tout sans prévenir, au milieu d'un paragraphe, sans souci de la ponctuation. Deux mouvements s'opposent : celui, centripète, par lequel Oséias tente de revenir au point de départ, au coeur des origines, à la colonie de familles chaleureuses, émigrées d'Italie, et l'autre, centrifuge, qui a conduit ces mêmes familles à l'éclatement et la dispersion en raison de l'exode rural. Et à l'intersection de ces deux spirales, la question sans réponse : que se serait-il passé si Oséias était resté ?
"Remords" met en scène un personnage désabusé, décrit les échecs et les petites victoires des protagonistes dont les vies sont, toutes, étriquées. Dressant le portrait d'un certain Brésil provincial, il parle de déclin économique, de migration, d'incommunicabilité entre les générations et les classes sociales, et de la vie, dans toute sa complexité, des gens ordinaires aux prises avec les difficultés du quotidien. Avec des personnages dont la plupart suscitent l'empathie, voici un roman sombre et suffocant, mais touchant. A lire par grand beau temps.
Passer à côté de ce livre sans l'ouvrir et donc sans prendre le risque de se faire avoir, de se faire happer serait une erreur. Avec des petits bouts de phrases les uns après les autres, qui forment des grandes phrases qui suivent le cheminement de l'esprit d'Oséias, Luiz Ruffato écrit un roman au style personnel envoûtant. Un rythme lancinant, un truc qui vous prend et ne vous lâche plus. Une puissance narrative rare construite avec des mots simples, des répétitions de certaines actions multi-quotidiennes, comme par exemple celle d'aller dans la salle de bain de l'hôtel miteux : "J'arrache mon caleçon, soulève le couvercle des W-C, m'assois. Je soulage ma vessie, mes intestins. Soyez bref. Laissez la salle de bains propre pour le prochain. Au plafond, taches de moisissures, noirâtres, toiles d'araignée. Je referme le couvercle des W-C. J'appuie sur le bouton de la chasse. Un filet d'eau coule, sans pression. J'écarte le rideau en plastique, tourne les robinets, l'eau froide gicle dans tous les sens." et quasi réécrite mot pour mot plusieurs fois. de même l'expression qui revient à moult reprises : "Je nettoie mes lunettes avec le pan de ma chemise." Les phrases parfois ne sont pas finies, car la pensée d'Oséias est interrompue par un interlocuteur, ou son rêve s'arrête par un réveil en sursaut. J'ai trouvé cela assez gonflé et ça permet de rester dans le texte assez dense, sans pause et aisé à reprendre même arrêté en pleine page.
Luiz Ruffato montre combien cet homme ne va pas bien, combien ça lui est difficile mais indispensable de revenir affronter son enfance. Il raconte également le Brésil actuel qui a beaucoup changé ces dernières années, la pauvreté, la violence, la corruption et le fossé entre les classes sociales qui s'agrandit. J'aime quand un écrivain me surprend avec un thème pourtant multi traité en littérature. Très belle découverte.
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