"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1974, cinq lycéens, la tête pleine de rêves fumeux, abattent par erreur un passant alors qu'ils pensaient agir comme leurs «héros», les membres d'un groupe anar qui venait d'enlever un banquier espagnol à Paris. Lorsque, quarante-cinq ans plus tard, l'un d'eux commence à recevoir anonymement le récit de leur histoire, il part à la recherche de ses anciens camarades. Au gré d'une déambulation nostalgique entre passé et présent, le narrateur reconstitue enfin toutes les circonstances du drame. La photographie sépia d'un pan des seventies et leur cortège de fantômes.
« Léo Ferré, on s'en farcissait la caboche. (…) La Mutualité explosive, les galas de soutien. Ferré et Zoo, Ferré et Glenmor au vent fou d'une Bretagne rebelle. Et ses mots, définitifs, comme des coups de feu. Les armes et les mots c'est pareil … Des phrases bien sombres et belles comme une nuit émeutière. A vous laquer le coeur et vous en mettre plein la vue. On est trop sérieux quand on a dix-sept ans. On s'enflamme à la moindre étincelle. On est amadou, buisson propice. Léo avait craqué l'allumette. »
Ils étaient cinq lycéens, dix-sept ans en 1974. Un soir, grisés par des idéaux d'extrême-gauche, enivrés aux exploits mortifères des GARI ( Groupes d'action révolution révolutionnaires internationales, d'obédience anarchiste ), saoulés à se lancer des mots en l'air, ils ont tué un homme qui passait au mauvais endroit au mauvais moment, une balle perdue. Ils n'ont jamais été pris mais quarante-cinq ans après, l'un d'eux reçoit un texte anonyme qui raconte ce qui s'est passé ce jour-là, remontant du passé des événements que chacun voudrait tu à jamais.
Dans ce roman noir très réussi, le suspense à proprement parler est bien présent mais presque relégué au deuxième plan : qui a pressé la détente pour tuer ? qui a écrit le texte menaçant de tout révéler ? Une double réponse totalement satisfaisante est donnée à la fin, le récit oscillant entre passé et présent avec la quête du narrateur, un des cinq anciens lycéens, à retrouver ces anciens camarades. Mais ce n'est pas cela qui intéresse le plus Patrick Pécherot.
Le roman prend le pouls de toute l'effervescence politique au mitan des années 1970, le temps des dictatures voisines ( Franco en Espagne, les colonels en Grèce ), des tensions politiques extrêmes ( les années de plomb en Italie ). En 1974, est enlevé à Paris le directeur espagnol de la Banque de Bilbao dans un contexte de très dure répression contre la MIL ( Mouvement ibérique de libération ) et la CNT anarchiste qui a repris la lutte armée. En France, les attentats à l'explosif contre les intérêts économiques espagnols, commis par les GARI, se multiplient. Autant de feuilletons qui passionnent les cinq lycéens jusqu'à les obséder, ils veulent eux aussi changer le monde, « pétards prêts à servir » dans ce temps aux plaies à vif.
Pour tout bagage ( citation de la chanson de Léo Ferré « Vingt ans » ) est un roman qui questionne la mémoire. le narrateur, rongé par la culpabilité, s'adresse à celui qu'ils ont tué. Dans cette adresse, il pioche dans la boîte à souvenances, animant des kodakchromes, avec la nostalgie sépia d'un sexagénaire qui se souvient de sa jeunesse passée. Avec une finesse psychologique poignante, c'est toute la bande des cinq lycéens qui revit à travers de magnifiques descriptions : Paul, le leader au bagou anticapitaliste ; Antoine qui remonte sa mèche d'un geste piqué à Jean-Pierre Léaud ; Yvon, taciturne et fragile ; Arthur, le narrateur, suiveur ; et Sylvie qui filme tout ce qu'elle voit et ne craint personne dans ses tenues hippies sur son ciao orange, sa petite-soeur Chloé n'en perd pas une miette.
Lorsque le passé ressurgit, se pose l'impérieuse question du devenir des idéaux de la jeunesse, quarante-cinq après. Patrick Péchérot y répond dans une réflexion impressionniste qui enveloppe le lecteur d'une ouate mélancolique avec ses fantômes du passé et les secrets des vivants, révélant une très belle plume, très élaborée derrière ses mots gouailleurs qui laissent deviner les grains des personnages comme leurs ambiguïtés d'individus brisés dans un mécanisme collectif qui les dépasse.
« Reprendre le chemin de l'école, c'est la grande illusion. Jamais ne reviennent le goût des Malabar, l'odeur de la cour et celle des marronniers. On renifle des parfums de synthèse en faisant semblant de rien mais ils sont bien pourris. »
Un roman à la fois tranchant et tendre, mélancolique et âpre, doux-amer au final, d'un auteur qui sait faire revivre l'Histoire à hauteur d'hommes et de femmes en restituant la justesse des voix d'adultes qui ont rêvé trop grand pour eux lorsqu'ils étaient adolescents.
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