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Poisson tambour

Couverture du livre « Poisson tambour » de Corinne Desarzens aux éditions Bernard Campiche
Résumé:

Sa vie inconnue.
Les questions qu'il ne m'avait pas posées. Ce que j'aurais aimé lui raconter, avec des interruptions, juste pour me rendre compte s'il était captivé ou non. Ferré, dirait le pêcheur. Mais cela aurait été impossible, de toute façon, depuis plusieurs années. Nous ne parlions... Voir plus

Sa vie inconnue.
Les questions qu'il ne m'avait pas posées. Ce que j'aurais aimé lui raconter, avec des interruptions, juste pour me rendre compte s'il était captivé ou non. Ferré, dirait le pêcheur. Mais cela aurait été impossible, de toute façon, depuis plusieurs années. Nous ne parlions plus. Avoir de ses nouvelles revenait à laisser la personne qui en donnerait tracer un geste dans l'air, une courbe, un zigzag, un baromètre de santé.
Calme, statu quo, avis de tempête, violence. Un bulletin de météo marine, plein d'abréviations, aride, sans rien des hésitations du capitaine dedans. Troublant, aussi, de se sentir inconnu à soi-même en réalisant qu'il est à jamais impossible de se voir s'avancer dans une allée, ou s'éloigner, à jamais impossible de se voir soi-même, de dos. Seuls les jumeaux identiques le peuvent. Frédéric était un jumeau identique.
Dans chaque vie grandit un sentiment d'insuffisance, s'étalent les restes d'une stupeur d'origine. De la peine ? Non. Le souvenir diffus, plutôt, mais persistant de quelque chose à côté de quoi on est passé sans voir, de quelque chose de négligé, d'oublié, de presque perdu. Et l'émerveillement de ce qui continue à le faire bouger, quand on reste éveillé dans le noir, sur le dos, à s'interroger. Les yeux ouverts dans le noir, parfaitement bien et parfaitement désolés, maintenant que les mots s'enfoncent doucement dans le silence.
Un silence d'eau et de nuit, les mots comme des pièces de monnaie tombant en spirale, très lentement, dans une fontaine porte-bonheur. Le corps de mon frère a éclaté. Je redoute le moment où les hommes en uniforme mettront la carte postale dans une pochette en plastique scellé, avec un numéro et la fiche d'identité électronique de mon frère. Un oeil sur le AA pour le mémoriser, j'emporte le post-it, la boîte de carton qui fait s'effondrer encore plus les journaux, et je soulève la balance pour retirer la carte postale.
Une carte postale que je lui ai adressée moi-même, il y a bien vingt ans. Un pont sur la Seine et deux danseurs. Une carte que je reconnais mais n'ai pas envie de regarder. Pas maintenant. Rassembler les morceaux est la moindre des choses que je puisse faire.

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