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Ce numéro thématique est consacré à Reiner Schürmann, phénoménologue qui, dans Le principe d'anarchie et Des hégémonies brisées, a prolongé et interrogé la pensée du second Heidegger pour tenter de repenser l'historicité de la pensée occidentale et le statut postmétaphysique de l'Ereignis.
Il s'ouvre sur la traduction, par Bruce Bégout, de l'article de Schürmann intitulé « «Que dois-je faire» à la fin de la métaphysique ? », qui pose la question de l'agir dans sa relation avec le problème du statut et du destin des « principes époquaux » qui régissent l'être et l'action. La question « que dois-je faire ? » sonne le glas d'une certaine normativité principielle dont il s'agit alors, sous le nom d'anarchie, de mesurer le possible ainsi ouvert.
Dans « Reiner Schürmann, phénoménologue des ultimes », Vincent Giraud introduit à sa pensée au fil conducteur du phénomène et du mot d'ordre « sauver les phénomènes ». Si ce qui se montre est originairement un singulier, que les différents « fantasmes hégémoniques » réduisent à un cas particulier de leur loi, retrouver les phénomènes se fera par une épopée du singulier qui nous établit dans la « condition tragique », fond de notre rapport à l'apparaître.
Dans « Fin de partie. Philosophie de l'histoire et clôture de la métaphysique chez Reiner Schürmann », Bruce Bégout interroge la notion d'époque dans sa philosophie, montrant que sa critique de la philosophie de l'histoire procède d'une conception de l'histoire comme dépérissement des hégémonies, à laquelle se soustrait l'ultime époque. Il met en question le paradigme ontologique du contingent, fondement anarchique de la philosophie tragique.
Dans « La recherche des origines : entre anamnèse et oubli. Heidegger relu par Schürmann », Servanne Jollivet en expose la lecture de Heidegger à partir des textes tardifs, qui en radicalise le geste et en montre l'ambivalence : en l'inscrivant dans l'histoire des hégémonies, il remonte de l'interrogation sur les origines à l'origine première, repensée de manière non fondamentale comme « violence originaire ».
Dans « L'absent, vois-le comme fermement présent », Thomas Aït Kaci s'attache au problème de l'effacement de la figure hégélienne dans Des hégémonies brisées. Que dans son opiniâtre combat mené contre la dialectique, du commencement à la fin et de Parménide à Heidegger, Schürmann ne rencontre pas à un moment ou à un autre son adversaire hégélien, surprend. Quel est le sens philosophique d'une telle absence, concertée et déconcertante ?
Dans « Des langues brisées. Silence et origine dans la pensée de Reiner Schürmann », Vincent Blanchet comprend l'ensemble de son oeuvre à la lumière de la méditation de la langue qui la traverse jusqu'à son accomplissement dans Des hégémonies brisées ; il s'agit par là d'interroger la possibilité, pour la parole, de demeurer fidèle aux conditions dernières de l'expérience.
Enfin, dans « La source », Emmanuel Cattin s'attache à la question de ce que Schürmann nomme « l'origine », en lien essentiel à « l'expérience originaire avec le langage ». Dans l'héritage de l'Ereignis de Heidegger, Schürmann n'aura cessé de méditer le sens de la source de tout apparaître, et le mode de séjour accordé à celle-ci, « l'errance ». Entre le Maître Eckhart de 1972 et Des hégémonies brisées de 1996, la joie errante aura disparu pour céder devant le regard tragique.
D. P.
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