"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Entendre qui que ce soit parler sans le Savoir est un idéal. Ça arrive très peu et de moins en moins: on entend partout partout parler avec le Savoir, son petit savoir à soi ou le Grand. On est cernés par des Je-sais. Et comme notre lot commun est plutôt d'être des Sais-pas, on se demande. Qu'est-ce qui se passerait si on n'utilisait plus le Savoir pour se parler? Si on s'en servait à propos. Depuis où parlerait-on? Depuis le coeur, le ventre, le sexe, la simple parole? Ce serait la fin du monde tel qu'il est. Entrer dans Parler sans le Savoir c'est entrer à la fois dans le monde tel qu'il est et dans le monde tel qu'il pourrait être mais qu'il ne sera jamais. Un lieu où la conscience accablée de l'enfer que se font vivre les humains entre eux, travaillée comme elle l'est dans ce texte, procure en elle-même et se procure à elle-même une évasion possible. C'est une expérience unique. Le monde de Fernand Fernandez est une expérience unique où on entend à la fois ceux qui savent, ceux qui croient savoir, ceux qui ne savent rien, et ceux qui sont libérés de cette obsession: les fous les simplets les malades, mais aussi ceux qui utilisent leur parole tout autrement, parce que leur obsession s'est tournée ailleurs et qu'ils ont trouvé leur liberté propre dans leur propre parole. Si on ne les écoute pas, et avec le respect qui leur est dû, ce n'est pas dommage pour eux c'est dommage pour nous. Et s'il fallait le dire une fois de plus c'est l'occasion: les notions d'intelligence et de bêtise sont vraiment à reconsidérer, quand la crainte d'avoir l'air bête peut développer une terrifiante bêtise au cube, et que parmi les plus belles intelligences se trouvent celles de ceux qui sont privés de parole. L'existence des voix de Fernandez-homme-orchestre qui sont à l'oeuvre au quotidien depuis des années ne dépend ni de leur publicité ni de leur publication, tant le désir de FF est autre, tant son oeuvre est à l'oeuvre -et sa force donc. FF dit qu'on peut bien lire PSLS comme on veut, y compris comme une espèce de théâtre psychique, si on n'oublie pas qu'il s'agit d'en sortir. Lui-même préfère le nommer psyence-fiction. Et quand il dit de ce travail perpétuel qu'il lui reconnaît l'ambition de se débarrasser des représentations que porte le langage et qui encombrent en en convoquant un maximum pour les identifier, quand il dit que parler sans le Savoir ne signifie pas parler en ignorant, même si évidemment l'ignorance a aussi voix au chapitre, mais rebondir dans un monde d'hémorragie du langage, un monde où le langage comme vecteur du sens s'autodétruit dans la profusion et l'équivalence des points de vue, où le bavardage et le débat sont devenus une seconde nature, la forme par défaut de la conversation réelle, qui force à se réapproprier le foisonnement souvent toxique des énoncés dans un espace à soi, un espace où faire entendre ses propres voix, ce qui permet d'échapper joyeusement à la noyade, il faudrait aussi ressentir avec lui la charge de celui qui est à l'affût, et travaille à se rapprocher de ce que serait une vie simple - une chose très complexe pour qui se méfie du simplisme. Ce travail est un géant pacifique qui dévore lui-même tout ce qui se mange aux alentours avant de nous le rendre, et qui se fout complètement du bon ordre d'aujourd'hui, de tous les bords établis, même le hors-bord. Mais voilà aussi une occasion unique de se demander de quoi on se protège en parlant avec le Savoir? De quoi a-t-on peur? Qu'est devenue notre capacité au babil? À la glossolalie? Au simple chant? À l'invention? Et beaucoup, beaucoup d'autres questions qui heureusement ébranlent nos socles, puisque le frère siamois de Savoir ce n'est ni Donner ni Partager, et ça c'est un malheur terrible mais c'est Pouvoir -ce faux frère qui depuis toujours semble-t-il nous passionne par ici.(clv)
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