J'avais six ans lorsque j'assistai, à Angoulême, au rapatriement du corps de mon cousin Paul, exécuté par les Allemands. Huit ans après, j'affrontai seul dans cette même ville la mort de Dolorés, ma mère, femme exceptionnelle aux bras si enveloppants ! Souffrir, mais rester digne et continuer... et surtout préserver mon éducation espagnole, et ses valeurs, en réponse aux humiliations de la pauvreté. Emigrés de l'Espagne franciste, nous étions à Angoulême les « espingouins d'en bas » rejetés par « ceux d'en haut », les familles industrielles. Au N° 6 la tristesse et l'ennui étaient légion quotidienne. Mais j'avais en moi cette boule de vie, cette force instinctive, cette revanche dissimulée au plus profond de mon être, cette rage pour moteur de ma vie. Au n° 6, l'ennui et la solitude ne pouvaient être trompés que par ma frénésie de sport et de lecture, que par ma soif d'apprendre, moi l'espagnol ! Une seule voie s'offrait à nous : nous faire remarquer par notre réussite ! Alors chaque note de musique, chaque ligne d'auteur, chaque héros sportif, chaque film, chaque morceau de ce puzzle qui constituait mon rêve, ont constitué ma colonne vertébrale et m'ont aidé à grandir. Bien plus tard, boulimique de la vie, je me suis mis à fréquenter les plus belles, les plus forts, à m'enivrer de jazz, à m'étourdir des clameurs d'un stade... pour guérir. A aimer comme un fou...pour vivre et transmettre.
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